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BarbaraPompili : "Une ville n'est pas gaie parce qu'il y a des vitrines allumées la nuit quand il n'y a personne dans les rues. Une ville triste, c'est une ville où il n'y a plus d'activité (), ce n'est pas une ville
Lachaine officielle de l'émission de France 3.C'est pas sorcier, le magazine de la découverte et de la science.Pourquoi y a-t-il des bulles dans le champagn
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BOrWK. €19,90 Vous voulez une réduction? Devenez membre du Clan! Description Informations complémentaires Avis 0 DescriptionLe Whisky c’est pas sorcier est un ouvrage à mettre en toutes les mains tant il aborde le whisky avec facilité et découvrirez ici les bases de ce spiritueux hors norme. De la distillerie à la dégustation, entrez dans un monde fait de techniques et de légendes. Apprenez à déguster du whisky mais aussi savoir acheter du whisky, connaître les cocktails et cuisiner au whisky ! Voyagez à travers le monde en découvrant les whiskies écossais, les whiskeys, bourbons et rye américains, les précieux whiskies japonais…Édition complémentairesPoids1 kgEn poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l’utilisation de Cookies ou autres traceurs pour vous proposer, des produits ciblées adaptés à vos centres d’intérêts ainsi que pour le bon fonctionnement du site. ParamétrageACCEPTER
En Catalogne, le cava est omniprésent et il est plus consommé que le champagne Les Espagnols sont toujours étonnés de voir que le cava, un de leurs meilleurs produits gastronomiques, n’a pas la notoriété qu’il mérite à l’étranger. Ce vin pétillant est produit en Catalogne depuis le XIXe siècle, suite à l’arrivée d’une maladie dans les vignobles qui obligea les locaux à réintroduire d’autres cépages blancs. Ceux-ci ont finalement encouragé la création d’un nouveau produit basé sur le mode de production du champagne, mais à partir de cépages locaux. La main de l’homme et les vignes autochtones Parellada, Macabeu et Xarello ont alors donné naissance au cava et à l’éternelle bataille entre le cava catalan et le champagne français. En Catalogne, le cava est omniprésent, et même les meilleurs champagnes français n’arrivent qu’en deuxième position. Qu’est-ce que le cava? Le cava est légalement reconnu par l’Union européenne comme un vin à bulles de qualité produit dans une certaine région, en l’occurrence la Catalogne. Cette terre a vu naître de nombreux personnages, du célèbre artiste surréaliste Salvador Dali, au jeune champion du PSPC Ramon Colillas, en passant par la fameuse chanteuse d’opéra Montserrat Caballé, et le cava possède bien l’effervescence de cette richesse locale. Ce vin pétillant est une partie importante de la culture et des traditions catalanes, il est souvent consommé lors des célébrations. La boisson est même associée à un certain type de pain, et elle est souvent servie pendant le dessert puisqu’il s’agit d’un type de vin doux. Pourtant, le cava arrive seulement en 3èmeposition des vins mousseux les plus célèbres au monde après le champagne de France et le Prosecco d’Italie. L’un des avantages du cava sur le champagne est sans aucun doute son prix qui commence autour de 4 euros contre une vingtaine d’euros pour le vin pétillant français. Photo par Herrero Uceda / CC BY Ce vin pétillant est une partie importante de la culture et des traditions catalanes Comment produit-on le cava ? La méthode traditionnelle de production du cava est la même que celle utilisée pour produire du champagne, mais elle est adaptée aux cépages catalans. Les variétés utilisées pour la production du cava ont chacune quelque chose d’unique le macabeu apporte le parfum et la douceur, la parellada la fraîcheur, et le xarel amène de la structure au vin. Pour le cava blanc, on utilise aussi les variétés chardonnay et subirat, mais pas en tant que cépage principal. Le cava existe aussi en vin rosé, avec les variétés garnatxa noir, monestrell, le pinot noir et le trepat. En résumé, le vin de base est fait avec ces cépages, après quoi on y ajoute une liqueur qui est un mélange de vin blanc, de sucre et de levure. Le liquide est placé dans des bouteilles en verre et il ensuite fermenté deux fois. On effectue ensuite un processus de nettoyage pour retirer la terre et les impuretés. À la fin, l’alcool est embouteillé avec un bouchon en liège, enveloppé et couronné par un couvercle en métal portant le nom de la marque de cava. Types de cava Saviez-vous que le cava possède de nombreuses variations selon la quantité de sucre qu’il contient ? Tout dépend de la liqueur qui est ajoutée dans le vin. En général, le cava le plus bu est le Nature Brut, pour les amateurs de subtilité, ou le Brut pour ceux qui aiment les douceurs sucrées. Voici l’ensemble de ses variations Brut Nature de 0 à 3 grammes par litre sans sucre ajouté Extra Brut entre 3 et 6 grammes par litre Brut de 6 à 12 grammes par litre Extra Sec entre 12 et 17 grammes par litre Sec de 17 et 35 grammes par litre Semi-sec entre 33 et 50 grammes par litre Dolç / Doux plus de 50 grammes par litre Photo par cyclonebill / CC BY Légende Le cava le plus bu est le Nature Brut ou le Brut Quels sont les meilleurs cavas? Les cavas les plus connus à l’échelle internationale sont le cava Freixenet et le cava Codorniu, probablement parce que ces sociétés ont été les plus rapides à exporter du cava dans d’autres pays et qu’elles existent depuis longtemps. Attention, cela ne veut pas dire que leurs cavas sont les meilleurs, les recommandations générales concernant les types de Nature Brut et Brut se tournent vers Cava Llopart Imperial Gran Reserva Brut Estel d’Argent Brut Nature Reserva Rovellats Brut Nature Castell de Peralada Brut Rosé 1 + 1 = 3 Rosé Brut Nature Pinot Noir Le cava est délicieux tel quel mais il peut également être utilisé dans de nombreux cocktails, le plus célèbre étant le mimosa. Si vous voulez essayer un vrai classique du cava catalan, vous devez faire une sangria au cava, c’est délicieux et très frais parfait en été. Vous avez juste besoin de cava, de Cointreau, de jus d’orange, de sucre, et de morceaux de fruits de toutes sortes pour lui donner une saveur fruitée. C’est à vous maintenant de vous faire une idée, du cava, du champagne et du Prosecco, quel est votre vin mousseux préféré ?
Le vignoble de Champagne cliquer sur l’image pour l’agrandir En 1936, les récoltants et négociants de Champagne sont officiellement distingués par le terme appellation d’origine contrôlée », la première du monde. En savoir plus. Nombre de domaines viticoles 4 776 récoltants expéditeurs, 66 coopératives et 293 négociants Le vignoble compte 34 000 ha soit % du vignoble français 4,9 milliards de CA 1 400 millions de bouteilles en stock. Voir les chiffres clé. Le rendement en Champagne n’est pas fixe, hl/ha il change tous les ans par rapport à la demande achat de bouteilles de l’année précédente. IL varie entre 90 et 65 hl/ha. Voir le marché mondial des vins effervescents FranceAgrimer. Prestige et notoriété importante. Le religieux Dom Perignon fut un bon assembleur. Les anglais au XVIIéme siècle achètent du vin blanc en champagne et le transforment eux-même en ajoutant du sucre qui provoque une seconde fermentation. Le champagne à démarre dans la région de Troyes sol de craie. Cinq départements Aube, marne,Aisne, haute Marne, Seine et Marne. Cote des blancs cote de Bars Cote de Sezanne, Climat océanique et continental. Ils peuvent chaptaliser ajout de sucre. 3 cépages chardonnay pinot noir, pinot meunier. C’est pas sorcier -CHAMPAGNE Les lettres sur les bouteilles. NM négociant manipulateur toutes les grandes maisons ne sont pas propriétaires de leurs parcelles. Raisins 7 à 10 € en champagne ici 1 à 1,2 € RM le producteur travaille sa vigne et son vin. MC manipulateur cooperateur il fait son vin à la cave coopérative. CM cooperateur cave coopérative qui achète du raisin et fait son champagne. MA marque annexé. Vendu en grande surface. En savoir plus. Les étapes de la vinification du Champagne cliquer sur l’image pour l’agrandir La Vinification Après le pressurage, les moûts sont placés en cuves où ils vont subir successivement deux fermentations sur une durée de 2 à 3 semaines. La fermentation alcoolique le jus est transformé en vin sous l’action des levures qui, en consommant le sucre, le transforment en alcool et dégagent du gaz carbonique. Ce dernier est évacué par le haut des cuves. Les vins obtenus sont des vins blancs tranquilles, qui titrent environ 10,5° d’alcool. La fermentation malolactique elle consiste en la transformation de l’acide malique en acide lactique grâce à des bactéries sélectionnées. Cette fermentation permet d’adoucir l’acidité des vins et leur confère plus de souplesse. Une fois cette fermentation achevée, le vin est laissé quelques mois au repos. A ce stade on l’appelle vin clair ». Assemblage des Cuvées L’un des secrets du champagne réside dans la composition des cuvées ». En effet, la grande majorité des champagnes sont le résultat de mélanges on dit assemblage » de vins issus d’années, de parcelles et de cépages ou crus différents. L’assemblage permet de maintenir aux champagnes un style constant, alors que chaque vendange est différente en terme de quantité et de qualité. Pour cela, on utilise les vins de réserve En effet, chaque année, une partie de la récolte est conservée 2 à 3 ans en cuve ou en fut de chêne après leur fermentation alcoolique. Ces vins, plus évolués, sont assemblés en proportion variable aux vins issus de la vendange. Tout l’art consiste à réaliser un mariage harmonieux et équilibré et l’on comprend que chaque maître de chai conserve jalousement le secret de cette opération qui va donner à son champagne, sa personnalité propre. Si le vin d’une récolte est particulièrement remarquable, on peut créer l’assemblage d’une cuvée avec le vin d’une seule année. Ce champagne sera alors millésimé. Le Tirage Une fois la cuvée réalisée chaque maître en élabore généralement plusieurs, de qualité et de prix différents, le vin est alors mis en bouteilles. C’est le tirage. On y adjoint à cette occasion une petite quantité de liqueur de tirage » sucrée ainsi que des levures sélectionnées, c’est à dire tout ce dont le vin a besoin pour effectuer sa seconde fermentation. Cette seconde fermentation va entraîner un dégagement de gaz carbonique à l’intérieur même de la bouteille qui a été préalablement bouchée. La pression peut alors atteindre 5 à 6 kilos. C’est la prise de mousse », une opération très délicate qui doit absolument se réaliser lentement et à température constante si l’on veut obtenir une mousse fine et permettre aux arômes les plus subtils de se développer. La bouteille est ensuite fermée par un petit opercule creux en plastique appelé bidule » maintenu par une capsule métallique. La maturation des vins Lorsque la prise de mousse est terminée, les levures meurent et forment un dépôt dont les molécules entrent en interaction avec celles du vin. Parallèlement, un échange gazeux s’opère avec l’extérieur. Cette action du dépôt et cette légère oxydation contribuent à faire évoluer les arômes et améliorent les qualités gustatives du champagne. La durée de maturation varie selon les types d’assemblage et le résultat recherché, mais la législation fixe dans un souci de qualité des durées minimales assez longues, qui se démarquent des autres vins effervescents • 15 mois minimum après tirage, dont 12 sur latte, pour les champagnes non millésimés. • 3 ans pour les champagnes millésimés. Le remuage Lorsque la maturation est jugée suffisante et avant de pouvoir expédier les bouteilles, il faut éliminer le dépôt qui trouble le champagne. Le remuage est une technique ancestrale typiquement champenoise qui consiste à faire descendre le dépôt dans le col de la bouteille pour pouvoir l’expulser en totalité. Il peut se faire de façon manuelle ou automatique. Méthode traditionnelle La technique consiste à placer chaque bouteille à l’horizontale sur un pupitre en bois, puis à tourner le bouteille chaque jour d’1/8 ou d’1/4 de tour à gauche ou à droite. Ces mouvements permettent au dépôt lourd d’attirer le dépôt léger jusqu’aux plus fines particules et donc de rendre le champagne parfaitement limpide. En plus du mouvement de balancier, la bouteille est progressivement redressée à la verticale, ce qui permet au dépôt de descendre jusqu’au col, dans le bidule en plastique. Cette opération manuelle dure environ 1 mois. Le dégorgement Ensuite vient l’étape du dégorgement qui consiste à ouvrir la bouteille pour en expulser le dépôt qui s’est accumulé durant la période de remuage. Il se fait par congélation du col les bouteilles sont sur pointe tête en bas. Le col est plongé dans une solution à -25°C qui congèle le dépôt. Puis la bouteille est retournée et la capsule retirée. Sous l’effet de la pression 6 bars à l’intérieur de la bouteille, le glaçon est expulsé. On y ajoute alors de la liqueur de dosage, qui finalise le goût grâce à une légère adjonction de sucre. C’est la concentration en liqueur de dosage qui permet de faire un Champagne Brut ou un Demi-Sec, voir même un champagne dit Brut 0 » c’est à dire sans liqueur de dosage. Enfin intervient le bouchage par un bouchon de liège maintenu par un muselet métallique. Il ne reste plus qu’à habiller les bouteilles pour pouvoir les expédier. Voir les étapes de la vinification Voir les arômes du champagne.
To be “Rosé” or not to be ? Comment bien choisir ! par Avr 27, 2020 Le vin c'est pas sorcier !Alors évidemment vous pouvez être un poil perdu devant l’offre assez pléthorique qui s’offre à vous dès le printemps dans la variété de vins rosés qu’on vous propose ! Attention aux étiquettes parfois un peu trop marketées ! Pourquoi on arrive... Choisir un vin rouge , c’est toute une histoire ! par Bertrand Chevance Avr 26, 2020 Le vin c'est pas sorcier !Le vin Rouge c’est l’ADN historique du travail des vignerons. Le Rouge c’est le cœur de ce pourquoi on aime boire du y a une telle multitude de possibilités selon les régions, les cépages et les assemblages et les terroirs. Tous les goûts... Les différents types de vins blancs et leur profil par Stephanie Chevance Avr 20, 2020 Le vin c'est pas sorcier !Ce qu’on aime avec le vin blanc, c’est sa variété. De l’apéritif au dessert, le vin blanc offre une telle palette de goûts, qu’il se marie avec de très nombreuses saveurs. On apprend ensemble à bien les associer… – Les vins blancs...
Marivaux Théâtre complet. Tome second L'Ecole des mères Acteurs Comédie en un acte représentée pour la première fois par les comédiens Italiens le 25 juillet 1732 Acteurs Madame Argante. Angélique, fille de Madame Argante. Lisette, suivante d'Angélique. Eraste, amant d'Angélique, sous le nom de La Ramée. Damis, père d'Eraste, autre amant d'Angélique. Frontin, valet de Madame Argante. Champagne, valet de Monsieur Damis. La scène est dans l'appartement de Madame Argante. Scène Première Eraste, sous le nom de La Ramée et avec une livrée, Lisette Lisette. - Oui, vous voilà fort bien déguisé, et avec cet habit-là , vous disant mon cousin, je crois que vous pouvez paraÃtre ici en toute sûreté; il n'y a que votre air qui n'est pas trop d'accord avec la livrée. Eraste. - Il n'y a rien à craindre; je n'ai pas même, en entrant, fait mention de notre parenté. J'ai dit que je voulais te parler, et l'on m'a répondu que je te trouverais ici, sans m'en demander davantage. Lisette. - Je crois que vous devez être content du zèle avec lequel je vous sers je m'expose à tout, et ce que je fais pour vous n'est pas trop dans l'ordre; mais vous êtes un honnête homme; vous aimez ma jeune maÃtresse, elle vous aime; je crois qu'elle sera plus heureuse avec vous qu'avec celui que sa mère lui destine, et cela calme un peu mes scrupules. Eraste. - Elle m'aime, dis-tu? Lisette, puis-je me flatter d'un si grand bonheur? Moi qui ne l'ai vue qu'en passant dans nos promenades, qui ne lui ai prouvé mon amour que par mes regards, et qui n'ai pu lui parler que deux fois pendant que sa mère s'écartait avec d'autres dames! elle m'aime? Lisette. - Très tendrement, mais voici un domestique de la maison qui vient; c'est Frontin, qui ne me hait pas, faites bonne contenance. Scène II Frontin, Lisette, Eraste Frontin. - Ah! te voilà , Lisette. Avec qui es-tu donc là ? Lisette. - Avec un de mes parents qui s'appelle La Ramée, et dont le maÃtre, qui est ordinairement en province, est venu ici pour affaire; et il profite du séjour qu'il y fait pour me voir. Frontin. - Un de tes parents, dis-tu? Lisette. - Oui. Frontin. - C'est-à -dire un cousin? Lisette. - Sans doute. Frontin. - Hum! il a l'air d'un cousin de bien loin il n'a point la tournure d'un parent, ce garçon-là . Lisette. - Qu'est-ce que tu veux dire avec ta tournure? Frontin. - Je veux dire que ce n'est, par ma foi, que de la fausse monnaie que tu me donnes, et que si le diable emportait ton cousin il ne t'en resterait pas un parent de moins. Eraste. - Et pourquoi pensez-vous qu'elle vous trompe? Frontin. - Hum! quelle physionomie de fripon! Mons de La Ramée, je vous avertis que j'aime Lisette, et que je veux l'épouser tout seul. Lisette. - Il est pourtant nécessaire que je lui parle pour une affaire de famille qui ne te regarde pas. Frontin. - Oh! parbleu! que les secrets de ta famille s'accommodent, moi, je reste. Lisette. - Il faut prendre son parti. Frontin... Frontin. - Après? Lisette. - Serais-tu capable de rendre service à un honnête homme, qui t'en récompenserait bien? Frontin. - Honnête homme ou non, son honneur est de trop, dès qu'il récompense. Lisette. - Tu sais à qui Madame marie Angélique, ma maÃtresse? Frontin. - Oui, je pense que c'est à peu près soixante ans qui en épousent dix-sept. Lisette. - Tu vois bien que ce mariage-là ne convient point. Frontin. - Oui il menace la stérilité, les héritiers en seront nuls, ou auxiliaires. Lisette. - Ce n'est qu'à regret qu'Angélique obéit, d'autant plus que le hasard lui a fait connaÃtre un aimable homme qui a touché son coeur. Frontin. - Le cousin La Ramée pourrait bien nous venir de là . Lisette. - Tu l'as dit; c'est cela même. Eraste. - Oui, mon enfant, c'est moi. Frontin. - Eh! que ne le disiez-vous? En ce cas-là , je vous pardonne votre figure, et je suis tout à vous. Voyons, que faut-il faire? Eraste. - Rien que favoriser une entrevue que Lisette va me procurer ce soir, et tu seras content de moi. Frontin. - Je le crois, mais qu'espérez-vous de cette entrevue? car on signe le contrat ce soir. Lisette. - Eh bien, pendant que la compagnie, avant le souper, sera dans l'appartement de Madame, Monsieur nous attendra dans cette salle-ci, sans lumière pour n'être point vu, et nous y viendrons, Angélique et moi, pour examiner le parti qu'il y aura à prendre. Frontin. - Ce n'est pas de l'entretien dont je doute mais à quoi aboutira-t-il? Angélique est une Agnès élevée dans la plus sévère contrainte, et qui, malgré son penchant pour vous, n'aura que des regrets, des larmes et de la frayeur à vous donner est-ce que vous avez dessein de l'enlever? Eraste. - Ce serait un parti bien extrême. Frontin. - Et dont l'extrémité ne vous ferait pas grand-peur, n'est-il pas vrai? Lisette. - Pour nous, Frontin, nous ne nous chargeons que de faciliter l'entretien, auquel je serai présente; mais de ce qu'on y résoudra, nous n'y trempons point, cela ne nous regarde pas. Frontin. - Oh! si fait, cela nous regarderait un peu, si cette petite conversation nocturne que nous leur ménageons dans la salle était découverte; d'autant plus qu'une des portes de la salle aboutit au jardin, que du jardin on va à une petite porte qui rend dans la rue, et qu'à cause de la salle où nous les mettrons, nous répondrons de toutes ces petites portes-là , qui sont de notre connaissance. Mais tout coup vaille; pour se mettre à son aise, il faut quelquefois risquer son honneur, il s'agit d'ailleurs d'une jeune victime qu'on veut sacrifier, et je crois qu'il est généreux d'avoir part à sa délivrance, sans s'embarrasser de quelle façon elle s'opérera Monsieur payera bien, cela grossira ta dot, et nous ferons une action qui joindra l'utile au louable. Eraste. - Ne vous inquiétez de rien, je n'ai point envie d'enlever Angélique, et je ne veux que l'exciter à refuser l'époux qu'on lui destine mais la nuit s'approche, où me retirerai-je en attendant le moment où je verrai Angélique? Lisette. - Comme on ne sait encore qui vous êtes, en cas qu'on vous fÃt quelques questions, au lieu d'être mon parent, soyez celui de Frontin, et retirez-vous dans sa chambre, qui est à côté de cette salle, et d'où Frontin pourra vous amener, quand il faudra. Frontin. - Oui-da, Monsieur, disposez de mon appartement. Lisette. - Allez tout à l'heure; car il faut que je prévienne Angélique, qui assurément sera charmée de vous voir, mais qui ne sait pas que vous êtes ici, et à qui je dirai d'abord qu'il y a un domestique dans la chambre de Frontin qui demande à lui parler de votre part mais sortez, j'entends quelqu'un qui vient. Frontin. - Allons, cousin, sauvons-nous. Lisette. - Non, restez c'est la mère d'Angélique, elle vous verrait fuir, il vaut mieux que vous demeuriez. Scène III Lisette, Frontin, Eraste, Madame Argante Madame Argante. - Où est ma fille, Lisette? Lisette. - Apparemment qu'elle est dans sa chambre, Madame. Madame Argante. - Qui est ce garçon-là ? Frontin. - Madame, c'est un garçon de condition, comme vous voyez, qui m'est venu voir, et à qui je m'intéresse parce que nous sommes fils des deux frères; il n'est pas content de son maÃtre, ils se sont brouillés ensemble, et il vient me demander si je ne sais pas quelque maison dont il pût s'accommoder... Madame Argante. - Sa physionomie est assez bonne; chez qui avez-vous servi, mon enfant? Eraste. - Chez un officier du régiment du Roi, Madame. Madame Argante. - Eh bien, je parlerai de vous à Monsieur Damis, qui pourra vous donner à ma fille; demeurez ici jusqu'à ce soir, et laissez-nous. Restez, Lisette. Scène IV Madame Argante, Lisette Madame Argante. - Ma fille vous dit assez volontiers ses sentiments, Lisette; dans quelle disposition d'esprit est-elle pour le mariage que nous allons conclure? Elle ne m'a marqué, du moins, aucune répugnance. Lisette. - Ah! Madame, elle n'oserait vous en marquer, quand elle en aurait; c'est une jeune et timide personne, à qui jusqu'ici son éducation n'a rien appris qu'à obéir. Madame Argante. - C'est, je pense, ce qu'elle pouvait apprendre de mieux à son âge. Lisette. - Je ne dis pas le contraire. Madame Argante. - Mais enfin, vous paraÃt-elle contente? Lisette. - Y peut-on rien connaÃtre? vous savez qu'à peine ose-t-elle lever les yeux, tant elle a peur de sortir de cette modestie sévère que vous voulez qu'elle ait; tout ce que j'en sais, c'est qu'elle est triste. Madame Argante. - Oh! je le crois, c'est une marque qu'elle a le coeur bon elle va se marier, elle me quitte, elle m'aime, et notre séparation est douloureuse. Lisette. - Eh! eh! ordinairement, pourtant, une fille qui va se marier est assez gaie. Madame Argante. - Oui, une fille dissipée, élevée dans un monde coquet, qui a plus entendu parler d'amour que de vertu, et que mille jeunes étourdis ont eu l'impertinente liberté d'entretenir de cajoleries; mais une fille retirée, qui vit sous les yeux de sa mère, et dont rien n'a gâté ni le coeur ni l'esprit, ne laisse pas que d'être alarmée quand elle change d'état. Je connais Angélique et la simplicité de ses moeurs; elle n'aime pas le monde, et je suis sûre qu'elle ne me quitterait jamais, si je l'en laissais la maÃtresse. Lisette. - Cela est singulier. Madame Argante. - Oh! j'en suis sûre. A l'égard du mari que je lui donne, je ne doute pas qu'elle n'approuve mon choix; c'est un homme très riche, très raisonnable. Lisette. - Pour raisonnable, il a eu le temps de le devenir. Madame Argante. - Oui, un peu vieux, à la vérité, mais doux, mais complaisant, attentif, aimable. Lisette. - Aimable! Prenez donc garde, Madame, il a soixante ans, cet homme. Madame Argante. - Il est bien question de l'âge d'un mari avec une fille élevée comme la mienne! Lisette. - Oh! s'il n'en est pas question avec Mademoiselle votre fille, il n'y aura guère eu de prodige de cette force-là ! Madame Argante. - Qu'entendez-vous avec votre prodige? Lisette. - J'entends qu'il faut, le plus qu'on peut, mettre la vertu des gens à son aise, et que celle d'Angélique ne sera pas sans fatigue. Madame Argante. - Vous avez de sottes idées, Lisette; les inspirez-vous à ma fille? Lisette. - Oh! que non, Madame, elle les trouvera bien sans que je m'en mêle. Madame Argante. - Et pourquoi, de l'humeur dont elle est, ne serait-elle pas heureuse? Lisette. C'est qu'elle ne sera point de l'humeur dont vous dites, cette humeur-là n'existe nulle part. Madame Argante. - Il faudrait qu'elle l'eût bien difficile, si elle ne s'accommodait pas d'un homme qui l'adorera. Lisette. - On adore mal à son âge. Madame Argante. - Qui ira au-devant de tous ses désirs. Lisette. - Ils seront donc bien modestes. Madame Argante. - Taisez-vous; je ne sais de quoi je m'avise de vous écouter. Lisette. - Vous m'interrogez, et je vous réponds sincèrement. Madame Argante. - Allez dire à ma fille qu'elle vienne. Lisette. - Il n'est pas besoin de l'aller chercher, Madame, la voilà qui passe, et je vous laisse. Scène V Angélique, Madame Argante Madame Argante. - Venez, Angélique, j'ai à vous parler. Angélique, modestement. - Que souhaitez-vous, ma mère? Madame Argante. - Vous voyez, ma fille, ce que je fais aujourd'hui pour vous; ne tenez-vous pas compte à ma tendresse du mariage avantageux que je vous procure? Angélique, faisant la révérence. - Je ferai tout ce qu'il vous plaira, ma mère. Madame Argante. - Je vous demande si vous me savez gré du parti que je vous donne? Ne trouvez-vous pas qu'il est heureux pour vous d'épouser un homme comme Monsieur Damis, dont la fortune, dont le caractère sûr et plein de raison, vous assurent une vie douce et paisible, telle qu'il convient à vos moeurs et aux sentiments que je vous ai toujours inspirés? Allons, répondez, ma fille! Angélique. - Vous me l'ordonnez donc? Madame Argante. - Oui, sans doute. Voyez, n'êtes-vous pas satisfaite de votre sort? Angélique. - Mais... Madame Argante. - Quoi! mais! je veux qu'on me réponde raisonnablement; je m'attends à votre reconnaissance, et non pas à des mais. Angélique, saluant. - Je n'en dirai plus, ma mère. Madame Argante. - Je vous dispense des révérences; dites-moi ce que vous pensez. Angélique. - Ce que je pense? Madame Argante. - Oui comment regardez-vous le mariage en question? Angélique. - Mais... Madame Argante. - Toujours des mais! Angélique. - Je vous demande pardon; je n'y songeais pas, ma mère. Madame Argante. - Eh bien, songez-y donc, et souvenez-vous qu'ils me déplaisent. Je vous demande quelles sont les dispositions de votre coeur dans cette conjoncture-ci. Ce n'est pas que je doute que vous soyez contente, mais je voudrais vous l'entendre dire vous-même. Angélique. - Les dispositions de mon coeur! Je tremble de ne pas répondre à votre fantaisie. Madame Argante. - Et pourquoi ne répondriez-vous pas à ma fantaisie? Angélique. - C'est que ce que je dirais vous fâcherait peut-être. Madame Argante. - Parlez bien, et je ne me fâcherai point. Est-ce que vous n'êtes point de mon sentiment? Etes-vous plus sage que moi? Angélique. - C'est que je n'ai point de dispositions dans le coeur. Madame Argante. - Et qu'y avez-vous donc, Mademoiselle? Angélique. - Rien du tout. Madame Argante. - Rien! qu'est-ce que rien? Ce mariage ne vous plaÃt donc pas? Angélique. - Non. Madame Argante, en colère. - Comment! il vous déplaÃt? Angélique. - Non, ma mère. Madame Argante. - Eh! parlez donc! car je commence à vous entendre c'est-à -dire, ma fille, que vous n'avez point de volonté? Angélique. - J'en aurai pourtant une, si vous le voulez. Madame Argante. - Il n'est pas nécessaire; vous faites encore mieux d'être comme vous êtes; de vous laisser conduire, et de vous en fier entièrement à moi. Oui, vous avez raison, ma fille; et ces dispositions d'indifférence sont les meilleures. Aussi voyez-vous que vous en êtes récompensée; je ne vous donne pas un jeune extravagant qui vous négligerait peut-être au bout de quinze jours, qui dissiperait son bien et le vôtre, pour courir après mille passions libertines; je vous marie à un homme sage, à un homme dont le coeur est sûr, et qui saura tout le prix de la vertueuse innocence du vôtre. Angélique. - Pour innocente, je le suis. Madame Argante. - Oui, grâces à mes soins, je vous vois telle que j'ai toujours souhaité que vous fussiez; comme il vous est familier de remplir vos devoirs, les vertus dont vous allez avoir besoin ne vous coûteront rien; et voici les plus essentielles; c'est, d'abord, de n'aimer que votre mari. Angélique. - Et si j'ai des amis, qu'en ferai-je? Madame Argante. - Vous n'en devez point avoir d'autres que ceux de Monsieur Damis, aux volontés de qui vous vous conformerez toujours, ma fille; nous sommes sur ce pied-là dans le mariage. Angélique. - Ses volontés? Et que deviendront les miennes? Madame Argante. - Je sais que cet article a quelque chose d'un peu mortifiant; mais il faut s'y rendre, ma fille. C'est une espèce de loi qu'on nous a imposée; et qui dans le fond nous fait honneur, car entre deux personnes qui vivent ensemble, c'est toujours la plus raisonnable qu'on charge d'être la plus docile, et cette docilité-là vous sera facile; car vous n'avez jamais eu de volonté avec moi, vous ne connaissez que l'obéissance. Angélique. - Oui, mais mon mari ne sera pas ma mère. Madame Argante. - Vous lui devez encore plus qu'à moi, Angélique, et je suis sûre qu'on n'aura rien à vous reprocher là -dessus. Je vous laisse, songez à tout ce que je vous ai dit; et surtout gardez ce goût de retraite, de solitude, de modestie, de pudeur qui me charme en vous; ne plaisez qu'à votre mari, et restez dans cette simplicité qui ne vous laisse ignorer que le mal. Adieu, ma fille. Scène VI Angélique, Lisette Angélique, un moment seule. - Qui ne me laisse ignorer que le mal! Et qu'en sait-elle? Elle l'a donc appris? Eh bien, je veux l'apprendre aussi. Lisette survient. - Eh bien, Mademoiselle, à quoi en êtes-vous? Angélique. - J'en suis à m'affliger, comme tu vois. Lisette. - Qu'avez-vous dit à votre mère? Angélique. - Eh! tout ce qu'elle a voulu. Lisette. - Vous épouserez donc Monsieur Damis? Angélique. - Moi, l'épouser! Je t'assure que non; c'est bien assez qu'il m'épouse. Lisette. - Oui, mais vous n'en serez pas moins sa femme. Angélique. - Eh bien, ma mère n'a qu'à l'aimer pour nous deux; car pour moi je n'aimerai jamais qu'Eraste. Lisette. - Il le mérite bien. Angélique. - Oh! pour cela, oui. C'est lui qui est aimable, qui est complaisant, et non pas ce Monsieur Damis que ma mère a été prendre je ne sais où, qui ferait bien mieux d'être mon grand-père que mon mari, qui me glace quand il me parle, et qui m'appelle toujours ma belle personne; comme si on s'embarrassait beaucoup d'être belle ou laide avec lui au lieu que tout ce que me dit Eraste est si touchant! on voit que c'est du fond du coeur qu'il parle; et j'aimerais mieux être sa femme seulement huit jours, que de l'être toute ma vie de l'autre. Lisette. - On dit qu'il est au désespoir, Eraste. Angélique. - Eh! comment veut-il que je fasse? Hélas! je sais bien qu'il sera inconsolable N'est-on pas bien à plaindre, quand on s'aime tant, de n'être pas ensemble? Ma mère dit qu'on est obligé d'aimer son mari; eh bien! qu'on me donne Eraste; je l'aimerai tant qu'on voudra, puisque je l'aime avant que d'y être obligée, je n'aurai garde d'y manquer quand il le faudra, cela me sera bien commode. Lisette. - Mais avec ces sentiments-là , que ne refusez-vous courageusement Damis? il est encore temps; vous êtes d'une vivacité étonnante avec moi, et vous tremblez devant votre mère. Il faudrait lui dire ce soir Cet homme-là est trop vieux pour moi; je ne l'aime point, je le hais, je le haïrai, et je ne saurais l'épouser. Angélique. - Tu as raison mais quand ma mère me parle, je n'ai plus d'esprit; cependant je sens que j'en ai assurément; et j'en aurais bien davantage, si elle avait voulu; mais n'être jamais qu'avec elle, n'entendre que des préceptes qui me lassent, ne faire que des lectures qui m'ennuient, est-ce là le moyen d'avoir de l'esprit? qu'est-ce que cela apprend? Il y a des petites filles de sept ans qui sont plus avancées que moi. Cela n'est-il pas ridicule? je n'ose pas seulement ouvrir ma fenêtre. Voyez, je vous prie, de quel air on m'habille? suis-je vêtue comme une autre? regardez comme me voilà faite Ma mère appelle cela un habit modeste il n'y a donc de la modestie nulle part qu'ici? car je ne vois que moi d'enveloppée comme cela; aussi suis-je d'une enfance, d'une curiosité! Je ne porte point de ruban, mais qu'est-ce que ma mère y gagne? que j'ai des émotions quand j'en aperçois. Elle ne m'a laissé voir personne, et avant que je connusse Eraste, le coeur me battait quand j'étais regardée par un jeune homme. Voilà pourtant ce qui m'est arrivé. Lisette. - Votre naïveté me fait rire. Angélique. - Mais est-ce que je n'ai pas raison? Serais-je de même si j'avais joui d'une liberté honnête? En vérité, si je n'avais pas le coeur bon, tiens, je crois que je haïrais ma mère, d'être cause que j'ai des émotions pour des choses dont je suis sûre que je ne me soucierais pas si je les avais. Aussi, quand je serai ma maÃtresse! laisse-moi faire, va... je veux savoir tout ce que les autres savent. Lisette. - Je m'en fie bien à vous. Angélique. - Moi qui suis naturellement vertueuse, sais-tu bien que je m'endors quand j'entends parler de sagesse? Sais-tu bien que je serai fort heureuse de n'être pas coquette? Je ne la serai pourtant pas; mais ma mère mériterait bien que je la devinsse. Lisette. - Ah! si elle pouvait vous entendre et jouir du fruit de sa sévérité! Mais parlons d'autre chose. Vous aimez Eraste? Angélique. - Vraiment oui, je l'aime, pourvu qu'il n'y ait point de mal à avouer cela; car je suis si ignorante! Je ne sais point ce qui est permis ou non, au moins. Lisette. - C'est un aveu sans conséquence avec moi. Angélique. - Oh! sur ce pied-là je l'aime beaucoup, et je ne puis me résoudre à le perdre. Lisette. - Prenez donc une bonne résolution de n'être pas à un autre. Il y a ici un domestique à lui qui a une lettre à vous rendre de sa part. Angélique, charmée. - Une lettre de sa part, et tu ne m'en disais rien! Où est-elle? Oh! que j'aurai de plaisir à la lire! donne-moi-la donc! Où est ce domestique? Lisette. - Doucement! modérez cet empressement-là ; cachez-en du moins une partie à Eraste si par hasard vous lui parliez, il y aurait du trop. Angélique. - Oh! dame, c'est encore ma mère qui en est cause. Mais est-ce que je pourrai le voir? Tu me parles de lui et de sa lettre, et je ne vois ni l'un ni l'autre. Scène VII Lisette, Angélique, Frontin, Eraste Lisette, à Angélique. - Tenez, voici ce domestique que Frontin nous amène. Angélique. - Frontin ne dira-t-il rien à ma mère? Lisette. - Ne craignez rien, il est dans vos intérêts, et ce domestique passe pour son parent. Frontin, tenant une lettre. - Le valet de Monsieur Eraste vous apporte une lettre que voici, Madame. Angélique, gravement. - Donnez. A Lisette. Suis-je assez sérieuse? Lisette. - Fort bien. Angélique lit. - Que viens-je d'apprendre! on dit que vous vous mariez ce soir. Si vous concluez sans me permettre de vous voir, je ne me soucie plus de la vie. Et en s'interrompant. Il ne se soucie plus de la vie, Lisette! Elle achève de lire. Adieu; j'attends votre réponse, et je me meurs. Après qu'elle a lu. Cette lettre-là me pénètre; il n'y a point de modération qui tienne, Lisette; il faut que je lui parle, et je ne veux pas qu'il meure. Allez lui dire qu'il vienne; on le fera entrer comme on pourra. Eraste, se jetant à ses genoux. - Vous ne voulez point que je meure, et vous vous mariez, Angélique! Angélique. - Ah! c'est vous, Eraste? Eraste. - A quoi vous déterminez-vous donc? Angélique. - Je ne sais; je suis trop émue pour vous répondre. Levez-vous. Eraste, se levant. - Mon désespoir vous touchera-t-il? Angélique. - Est-ce que vous n'avez pas entendu ce que j'ai dit? Eraste. - Il m'a paru que vous m'aimiez un peu. Angélique. - Non, non, il vous a paru mieux que cela; car j'ai dit bien franchement que je vous aime mais il faut m'excuser, Eraste, car je ne savais pas que vous étiez là . Eraste. - Est-ce que vous seriez fâchée de ce qui vous est échappé? Angélique. - Moi, fâchée? au contraire, je suis bien aise que vous l'ayez appris sans qu'il y ait de ma faute; je n'aurai plus la peine de vous le cacher. Frontin. - Prenez garde qu'on ne vous surprenne. Lisette. - Il a raison; je crois que quelqu'un vient; retirez-vous, Madame. Angélique. - Mais je crois que vous n'avez pas eu le temps de me dire tout. Eraste. - Hélas! Madame, je n'ai encore fait que vous voir et j'ai besoin d'un entretien pour vous résoudre à me sauver la vie. Angélique, en s'en allant. - Ne lui donneras-tu pas le temps de me résoudre, Lisette? Lisette. - Oui, Frontin et moi nous aurons soin de tout vous allez vous revoir bientôt; mais retirez-vous. Scène VIII Lisette, Frontin, Eraste, Champagne Lisette. - Qui est-ce qui entre là ? c'est le valet de Monsieur Damis. Eraste, vite. - Eh! d'où le connaissez-vous? c'est le valet de mon père, et non pas de Monsieur Damis qui m'est inconnu. Lisette. - Vous vous trompez; ne vous déconcertez pas. Champagne. - Bonsoir, la jolie fille, bonsoir, Messieurs; je viens attendre ici mon maÃtre qui m'envoie dire qu'il va venir; et je suis charmé d'une rencontre... En regardant Eraste. Mais comment appelez-vous Monsieur? Eraste. - Vous importe-t-il de savoir que je m'appelle La Ramée? Champagne. - La Ramée? Et pourquoi est-ce que vous portez ce visage-là ? Eraste. - Pourquoi? la belle question! parce que je n'en ai pas reçu d'autre. Adieu, Lisette; le début de ce butor-là m'ennuie. Scène IX Champagne, Frontin, Lisette Frontin. - Je voudrais bien savoir à qui tu en as! Est-ce qu'il n'est pas permis à mon cousin La Ramée d'avoir son visage? Champagne. - Je veux bien que Monsieur La Ramée en ait un; mais il ne lui est pas permis de se servir de celui d'un autre. Lisette. - Comment, celui d'un autre! qu'est-ce que cette folie-là ? Champagne. - Oui, celui d'un autre en un mot, cette mine-là ne lui appartient point; elle n'est point à sa place ordinaire, ou bien j'ai vu la pareille à quelqu'un que je connais. Frontin, riant. - C'est peut-être une physionomie à la mode, et La Ramée en aura pris une. Lisette, riant. - Voilà bien, en effet, des discours d'un butor comme toi, Champagne est-ce qu'il n'y a pas mille gens qui se ressemblent? Champagne. - Cela est vrai; mais qu'il appartienne à ce qu'il voudra, je ne m'en soucie guère; chacun a le sien; il n'y a que vous, Mademoiselle Lisette, qui n'avez celui de personne, car vous êtes plus jolie que tout le monde il n'y a rien de si aimable que vous. Frontin. - Halte-là ! laisse ce minois-là en repos; ton éloge le déshonore. Champagne. - Ah! Monsieur Frontin, ce que j'en dis, c'est en cas que vous n'aimiez pas Lisette, comme cela peut arriver; car chacun n'est pas du même goût. Frontin. - Paix! vous dis-je; car je l'aime. Champagne. - Et vous, Mademoiselle Lisette? Lisette. - Tu joues de malheur, car je l'aime. Champagne. - Je l'aime, partout je l'aime! Il n'y aura donc rien pour moi? Lisette, en s'en allant. - Une révérence de ma part. Frontin, en s'en allant. - Des injures de la mienne, et quelques coups de poing, si tu veux. Champagne. - Ah! n'ai-je pas fait là une belle fortune? Scène X Monsieur Damis, Champagne Monsieur Damis. - Ah! te voilà ! Champagne. - Oui, Monsieur; on vient de m'apprendre qu'il n'y a rien pour moi, et ma part ne me donne pas une bonne opinion de la vôtre. Monsieur Damis. - Qu'entends-tu par là ? Champagne. - C'est que Lisette ne veut point de moi, et outre cela j'ai vu la physionomie de Monsieur votre fils sur le visage d'un valet. Monsieur Damis. - Je n'y comprends rien. Laisse-nous; voici Madame Argante et Angélique. Scène XI Madame Argante, Angélique, Monsieur Damis Madame Argante. - Vous venez sans doute d'arriver, Monsieur? Monsieur Damis. - Oui, Madame, en ce moment. Madame Argante. - Il y a déjà bonne compagnie assemblée chez moi, c'est-à -dire, une partie de ma famille, avec quelques-uns de nos amis, car pour les vôtres, vous n'avez pas voulu leur confier votre mariage. Monsieur Damis. - Non, Madame, j'ai craint qu'on n'enviât mon bonheur et j'ai voulu me l'assurer en secret. Mon fils même ne sait rien de mon dessein et c'est à cause de cela que je vous ai prié de vouloir bien me donner le nom de Damis, au lieu de celui d'Orgon, qu'on mettra dans le contrat. Madame Argante. - Vous êtes le maÃtre, Monsieur; au reste, il n'appartient point à une mère de vanter sa fille; mais je crois vous faire un présent digne d'un honnête homme comme vous. Il est vrai que les avantages que vous lui faites... Monsieur Damis. - Oh! Madame, n'en parlons point, je vous prie; c'est à moi à vous remercier toutes deux, et je n'ai pas dû espérer que cette belle personne fÃt grâce au peu que je vaux. Angélique, à part. - Belle personne! Monsieur Damis. - Tous les trésors du monde ne sont rien au prix de la beauté et de la vertu qu'elle m'apporte en mariage. Madame Argante. - Pour de la vertu, vous lui rendez justice. Mais, Monsieur, on vous attend; vous savez que j'ai permis que nos amis se déguisassent, et fissent une espèce de petit bal tantôt; le voulez-vous bien? C'est le premier que ma fille aura vu. Monsieur Damis. - Comme il vous plaira, Madame. Madame Argante. - Allons donc joindre la compagnie. Monsieur Damis. - Oserais-je auparavant vous prier d'une chose, Madame? Daignez, à la faveur de notre union prochaine, m'accorder un petit moment d'entretien avec Angélique; c'est une satisfaction que je n'ai pas eu jusqu'ici. Madame Argante. - J'y consens, Monsieur, on ne peut vous le refuser dans la conjoncture présente; et ce n'est pas apparemment pour éprouver le coeur de ma fille? il n'est pas encore temps qu'il se déclare tout à fait; il doit vous suffire qu'elle obéit sans répugnance; et c'est ce que vous pouvez dire à Monsieur, Angélique; je vous le permets, entendez-vous? Angélique. - J'entends, ma mère. Scène XII Angélique, Monsieur Damis Monsieur Damis. - Enfin, charmante Angélique, je puis donc sans témoins vous jurer une tendresse éternelle il est vrai que mon âge ne répond pas au vôtre. Angélique. - Oui, il y a bien de la différence. Monsieur Damis. - Cependant on me flatte que vous acceptez ma main sans répugnance. Angélique. - Ma mère le dit. Monsieur Damis. - Et elle vous a permis de me le confirmer vous-même. Angélique. - Oui, mais on n'est pas obligé d'user des permissions qu'on a. Monsieur Damis. - Est-ce par modestie, est-ce par dégoût que vous me refusez l'aveu que je demande? Angélique. - Non, ce n'est pas par modestie. Monsieur Damis. - Que me dites-vous là ! C'est donc par dégoût?... Vous ne me répondez rien? Angélique. - C'est que je suis polie. Monsieur Damis. - Vous n'auriez donc rien de favorable à me répondre? Angélique. - Il faut que je me taise encore. Monsieur Damis. - Toujours par politesse? Angélique. - Oh! toujours. Monsieur Damis. - Parlez-moi franchement est-ce que vous me haïssez? Angélique. - Vous embarrassez encore mon savoir-vivre. Seriez-vous bien aise, si je vous disais oui? Monsieur Damis. - Vous pourriez dire non. Angélique. - Encore moins, car je mentirais. Monsieur Damis. - Quoi! vos sentiments vont jusqu'à la haine, Angélique! J'aurais cru que vous vous contentiez de ne pas m'aimer. Angélique. - Si vous vous en contentez, et moi aussi, et s'il n'est pas malhonnête d'avouer aux gens qu'on ne les aime point, je ne serai plus embarrassée. Monsieur Damis. - Et vous me l'avoueriez! Angélique. - Tant qu'il vous plaira. Monsieur Damis. - C'est une répétition dont je ne suis point curieux; et ce n'était pas là ce que votre mère m'avait fait entendre. Angélique. - Oh! vous pouvez vous en fier à moi; je sais mieux cela que ma mère, elle a pu se tromper; mais, pour moi, je vous dis la vérité. Monsieur Damis. - Qui est que vous ne m'aimez point? Angélique. - Oh! du tout; je ne saurais; et ce n'est pas par malice, c'est naturellement et vous, qui êtes, à ce qu'on dit, un si honnête homme, si, en faveur de ma sincérité, vous vouliez ne me plus aimer et me laisser là , car aussi bien je ne suis pas si belle que vous le croyez, tenez, vous en trouverez cent qui vaudront mieux que moi. Monsieur Damis, les premiers mots à part. - Voyons si elle aime ailleurs. Mon intention, assurément, n'est pas qu'on vous contraigne. Angélique. - Ce que vous dites là est bien raisonnable, et je ferai grand cas de vous si vous continuez. Monsieur Damis. - Je suis même fâché de ne l'avoir pas su plus tôt. Angélique. - Hélas! si vous me l'aviez demandé, je vous l'aurais dit. Monsieur Damis. - Et il faut y mettre ordre. Angélique. - Que vous êtes bon et obligeant! N'allez pourtant pas dire à ma mère que je vous ai confié que je ne vous aime point, parce qu'elle se mettrait en colère contre moi; mais faites mieux; dites-lui seulement que vous ne me trouvez pas assez d'esprit pour vous, que je n'ai pas tant de mérite que vous l'aviez cru, comme c'est la vérité; enfin, que vous avez encore besoin de vous consulter ma mère, qui est fort fière, ne manquera pas de se choquer, elle rompra tout, notre mariage ne se fera point, et je vous aurai, je vous jure, une obligation infinie. Monsieur Damis. - Non, Angélique, non, vous êtes trop aimable; elle se douterait que c'est vous qui ne voulez pas, et tous ces prétextes-là ne valent rien; il n'y en a qu'un bon; aimez-vous ailleurs? Angélique. - Moi! non; n'allez pas le croire. Monsieur Damis. - Sur ce pied-là , je n'ai point d'excuse; j'ai promis de vous épouser, et il faut que je tienne parole; au lieu que, si vous aimiez quelqu'un, je ne lui dirais pas que vous me l'avez avoué; mais seulement que je m'en doute. Angélique. - Eh bien! doutez-vous-en donc. Monsieur Damis. - Mais il n'est pas possible que je m'en doute si cela n'est pas vrai; autrement ce serait être de mauvaise foi; et, malgré toute l'envie que j'ai de vous obliger, je ne saurais dire une imposture. Angélique. - Allez, allez, n'ayez point de scrupule, vous parlerez en homme d'honneur. Monsieur Damis. - Vous aimez donc? Angélique. - Mais ne me trahissez-vous point, Monsieur Damis? Monsieur Damis. - Je n'ai que vos véritables intérêts en vue. Angélique. - Quel bon caractère! Oh! que je vous aimerais, si vous n'aviez que vingt ans! Monsieur Damis. - Eh bien? Angélique. - Vraiment, oui, il y a quelqu'un qui me plaÃt... Frontin arrive. - Monsieur, je viens de la part de Madame vous dire qu'on vous attend avec Mademoiselle. Monsieur Damis. - Nous y allons. Et à Angélique où avez-vous connu celui qui vous plaÃt? Angélique. - Ah! ne m'en demandez pas davantage; puisque vous ne voulez que vous douter que j'aime, en voilà plus qu'il n'en faut pour votre probité, et je vais vous annoncer là -haut. Scène XIII Monsieur Damis, Frontin Monsieur Damis, les premiers mots à part. - Ceci me chagrine, mais je l'aime trop pour la céder à personne. Frontin! Frontin! approche, je voudrais te dire un mot. Frontin. - Volontiers, Monsieur; mais on est impatient de vous voir. Monsieur Damis. - Je ne tarderai qu'un moment viens, j'ai remarqué que tu es un garçon d'esprit. Frontin. - Eh! j'ai des jours où je n'en manque pas, Monsieur Damis. - Veux-tu me rendre un service dont je te promets que personne ne sera jamais instruit? Frontin. - Vous marchandez ma fidélité; mais je suis dans mon jour d'esprit, il n'y a rien à faire, je sens combien il faut être discret. Monsieur Damis. - Je te payerai bien. Frontin. - Arrêtez donc, Monsieur, ces débuts-là m'attendrissent toujours. Monsieur Damis. - Voilà ma bourse. Frontin. - Quel embonpoint séduisant! Qu'il a l'air vainqueur! Monsieur Damis. - Elle est à toi, si tu veux me confier ce que tu sais sur le chapitre d'Angélique. Je viens adroitement de lui faire avouer qu'elle a un amant; et observée comme elle est par sa mère, elle ne peut ni l'avoir vu ni avoir de ses nouvelles que par le moyen des domestiques tu t'en es peut-être mêlé toi-même, ou tu sais qui s'en mêle, et je voudrais écarter cet homme-là ; quel est-il? où se sont-ils vus? Je te garderai le secret. Frontin, prenant la bourse. - Je résisterais à ce que vous dites, mais ce que vous tenez m'entraÃne, et je me rends. Monsieur Damis. - Parle. Frontin. - Vous me demandez un détail que j'ignore; il n'y a que Lisette qui soit parfaitement instruite dans cette intrigue-là . Monsieur Damis. - La fourbe! Frontin. - Prenez garde, vous ne sauriez la condamner sans me faire mon procès. Je viens de céder à un trait d'éloquence qu'on aura peut-être employé contre elle; au reste je ne connais le jeune homme en question que depuis une heure; il est actuellement dans ma chambre; Lisette en a fait mon parent, et dans quelques moments, elle doit l'introduire ici même où je suis chargé d'éteindre les bougies, et où elle doit arriver avec Angélique pour y traiter ensemble des moyens de rompre votre mariage. Monsieur Damis. - Il ne tiendra donc qu'à toi que je sois pleinement instruit de tout. Frontin. - Comment? Monsieur Damis. - Tu n'as qu'à souffrir que je me cache ici; on ne m'y verra pas, puisque tu vas en ôter les lumières, et j'écouterai tout ce qu'ils diront. Frontin. - Vous avez raison; attendez, quelques amis de la maison qui sont là -haut, et qui veulent se déguiser après souper pour se divertir, ont fait apporter des dominos qu'on a mis dans le petit cabinet à côté de la salle, voulez-vous que je vous en donne un? Monsieur Damis. - Tu me feras plaisir. Frontin. - Je cours vous le chercher, car l'heure approche. Monsieur Damis. - Va. Scène XIV Monsieur Damis, Frontin Monsieur Damis, un moment seul. - Je ne saurais mieux m'y prendre pour savoir de quoi il est question. Si je vois que l'amour d'Angélique aille à un certain point, il ne s'agit plus de mariage; cependant je tremble. Qu'on est malheureux d'aimer à mon âge! Frontin revient. - Tenez, Monsieur, voilà tout votre attirail, jusqu'à un masque c'est un visage qui ne vous donnera que dix-huit ans, vous ne perdrez rien au change; ajustez-vous vite; bon! mettez-vous là et ne remuez pas; voilà les lumières éteintes, bonsoir. Monsieur Damis. - Ecoute; le jeune homme va venir, et je rêve à une chose; quand Lisette et Angélique seront entrées, dis à la mère, de ma part, que je la prie de se rendre ici sans bruit, cela ne te compromet point, et tu y gagneras. Frontin. - Mais vous prenez donc cette commission-là à crédit? Monsieur Damis. - Va, ne t'embarrasse point. Frontin, il tâtonne. - Soit. Je sors... J'ai de la peine à trouver mon chemin; mais j'entends quelqu'un... Scène XV Lisette, Eraste, Frontin, Monsieur Damis Lisette est à la porte avec Eraste pour entrer. Frontin. - Est-ce toi, Lisette? Lisette. - Oui, à qui parles-tu donc là ? Frontin. - A la nuit, qui m'empêchait de retrouver la porte. Avec qui es-tu, toi? Lisette. - Parle bas; avec Eraste que je fais entrer dans la salle. Monsieur Damis, à part. - Eraste! Frontin. - Bon! où est-il? Il appelle. La Ramée! Eraste. - Me voilà . Frontin, le prenant par le bras. - Tenez, Monsieur, marchez et promenez-vous du mieux que vous pourrez en attendant. Lisette. - Adieu; dans un moment je reviens avec ma maÃtresse. Scène XVI Eraste, Monsieur Damis, caché. Eraste. - Je ne saurais douter qu'Angélique ne m'aime; mais sa timidité m'inquiète, et je crains de ne pouvoir l'enhardir à dédire sa mère. Monsieur Damis, à part. - Est-ce que je me trompe? c'est la voix de mon fils, écoutons. Eraste. - Tâchons de ne pas faire de bruit. Il marche en tâtonnant. Monsieur Damis. - Je crois qu'il vient à moi; changeons de place. Eraste. - J'entends remuer du taffetas; est-ce vous, Angélique, est-ce vous? En disant cela, il attrape Monsieur Damis par le domino. Monsieur Damis, retenu. - Doucement!... Eraste. - Ah! c'est vous-même. Monsieur Damis, à part. - C'est mon fils. Eraste. - Eh bien! Angélique, me condamnerez-vous à mourir de douleur? Vous m'avez dit tantôt que vous m'aimiez; vos beaux yeux me l'ont confirmé par les regards les plus aimables et les plus tendres; mais de quoi me servira d'être aimé, si je vous perds? Au nom de notre amour, Angélique, puisque vous m'avez permis de me flatter du vôtre, gardez-vous à ma tendresse, je vous en conjure par ces charmes que le ciel semble n'avoir destinés que pour moi; par cette main adorable sur qui je vous jure un amour éternel. Monsieur Damis veut retirer sa main. Ne la retirez pas, Angélique, et dédommagez Eraste du plaisir qu'il n'a point de voir vos beaux yeux, par l'assurance de n'être jamais qu'à lui; parlez, Angélique. Monsieur Damis, à part, les premiers mots. - J'entends du bruit. Taisez-vous, petit sot. Et il se retire d'Eraste. Eraste. - Juste ciel! qu'entends-je? Vous me fuyez! Ah! Lisette, n'es-tu pas là ? Scène XVII Angélique et Lisette qui entrent, Monsieur Damis, Eraste Lisette. - Nous voici, Monsieur. Eraste. - Je suis au désespoir, ta maÃtresse me fuit. Angélique. - Moi, Eraste? Je ne vous fuis point, me voilà . Eraste. - Eh quoi! ne venez-vous pas de me dire tout ce qu'il y a de plus cruel? Angélique. - Eh! je n'ai encore dit qu'un mot. Eraste. - Il est vrai, mais il m'a marqué le dernier mépris. Angélique. - Il faut que vous ayez mal entendu, Eraste est-ce qu'on méprise les gens qu'on aime? Lisette. - En effet, rêvez-vous, Monsieur? Eraste. - Je n'y comprends donc rien; mais vous me rassurez, puisque vous me dites que vous m'aimez; daignez me le répéter encore. Scène XVIII Madame Argante, introduite par Frontin, Lisette, Eraste, Angélique, Monsieur Damis Angélique. - Vraiment, ce n'est pas là l'embarras, et je vous le répéterais avec plaisir, mais vous le savez bien assez. Madame Argante, à part. - Qu'entends-je? Angélique. - Et d'ailleurs on m'a dit qu'il fallait être plus retenue dans les discours qu'on tient à son amant. Eraste. - Quelle aimable franchise! Angélique. - Mais je vais comme le coeur me mène, sans y entendre plus de finesse; j'ai du plaisir à vous voir, et je vous vois, et s'il y a de ma faute à vous avouer si souvent que je vous aime, je la mets sur votre compte, et je ne veux point y avoir part. Eraste. - Que vous me charmez! Angélique. - Si ma mère m'avait donné plus d'expérience; si j'avais été un peu dans le monde, je vous aimerais peut-être sans vous le dire; je vous ferais languir pour le savoir; je retiendrais mon coeur, cela n'irait pas si vite, et vous m'auriez déjà dit que je suis une ingrate; mais je ne saurais la contrefaire. Mettez-vous à ma place; j'ai tant souffert de contrainte, ma mère m'a rendu la vie si triste! j'ai eu si peu de satisfaction, elle a tant mortifié mes sentiments! Je suis si lasse de les cacher, que, lorsque je suis contente, et que je le puis dire, je l'ai déjà dit avant que de savoir que j'ai parlé; c'est comme quelqu'un qui respire, et imaginez-vous à présent ce que c'est qu'une fille qui a toujours été gênée, qui est avec vous, que vous aimez, qui ne vous hait pas, qui vous aime, qui est franche, qui n'a jamais eu le plaisir de dire ce qu'elle pense, qui ne pensera jamais rien de si touchant, et voyez si je puis résister à tout cela. Eraste. - Oui, ma joie, à ce que j'entends là , va jusqu'au transport! Mais il s'agit de nos affaires j'ai le bonheur d'avoir un père raisonnable, à qui je suis aussi cher qu'il me l'est à moi-même, et qui, j'espère, entrera volontiers dans nos vues. Angélique. - Pour moi, je n'ai pas le bonheur d'avoir une mère qui lui ressemble; je ne l'en aime pourtant pas moins... Madame Argante, éclatant. - Ah! c'en est trop, fille indigne de ma tendresse! Angélique. - Ah! je suis perdue! Ils s'écartent tous trois. Madame Argante. - Vite, Frontin, qu'on éclaire, qu'on vienne! En disant cela, elle avance et rencontre Monsieur Damis, qu'elle saisit par le domino, et continue. Ingrate! est-ce là le fruit des soins que je me suis donné pour vous former à la vertu? Ménager des intrigues à mon insu! Vous plaindre d'une éducation qui m'occupait tout entière! Eh bien, jeune extravagante, un couvent, plus austère que moi, me répondra des égarements de votre coeur. Scène XIX et dernière La lumière arrive avec Frontin et autres domestiques avec des bougies. Monsieur Damis, démasqué, à Madame Argante, et en riant. - Vous voyez bien qu'on ne me recevrait pas au couvent. Madame Argante. - Quoi! c'est vous, Monsieur? Et puis voyant Eraste avec sa livrée. Et ce fripon-là , que fait-il ici? Monsieur Damis. - Ce fripon-là , c'est mon fils, à qui, tout bien examiné, je vous conseille de donner votre fille. Madame Argante. - Votre fils? Monsieur Damis. - Lui-même. Approchez, Eraste; tout ce que j'ai entendu vient de m'ouvrir les yeux sur l'imprudence de mes desseins; conjurez Madame de vous être favorable, il ne tiendra pas à moi qu'Angélique ne soit votre épouse. Eraste, se jetant aux genoux de son père. - Que je vous ai d'obligation, mon père! Nous pardonnerez-vous, Madame, tout ce qui vient de se passer? Angélique, embrassant les genoux de Madame Argante. - Puis-je espérer d'obtenir grâce? Monsieur Damis. - Votre fille a tort, mais elle est vertueuse, et à votre place je croirais devoir oublier tout, et me rendre. Madame Argante. - Allons, Monsieur, je suivrai vos conseils, et me conduirai comme il vous plaira. Monsieur Damis. - Sur ce pied-là , le divertissement dont je prétendais vous amuser, servira pour mon fils. Angélique embrasse Madame Argante de joie. Divertissement Air Vous qui sans cesse à vos fillettes Tenez de sévères discours bis, Mamans, de l'erreur où vous êtes Le dieu d'amour se rit et se rira toujours bis. Vos avis sont prudents, vos maximes sont sages; Mais malgré tant de soins, malgré tant de rigueur, Vous ne pouvez d'un jeune coeur Si bien fermer tous les passages, Qu'il n'en reste toujours quelqu'un pour le vainqueur. Vous qui sans cesse, etc. Vaudeville Mère qui tient un jeune objet Dans une ignorance profonde, Loin du monde, Souvent se trompe en son projet. Elle croit que l'amour s'envole Dès qu'il aperçoit un argus. Quel abus! Il faut l'envoyer à l'école. Couplet La beauté qui charme Damon Se rit des tourments qu'il endure, Il murmure; Moi, je trouve qu'elle a raison, C'est un conteur de fariboles, Qui n'ouvre point son coffre-fort. Le butor! Il faut l'envoyer à l'école. Si mes soins pouvaient t'engager, Me dit un jour le beau Sylvandre, D'un air tendre. Que ferais-tu? dis-je au berger. Il demeura comme une idole, Et ne répondit pas un mot. Le grand sot! Il faut l'envoyer à l'école. Claudine un jour dit à Lucas J'irai ce soir à la prairie, Je vous prie De ne point y suivre mes pas. Il le promit, et tint parole. Ah! qu'il entend peu ce que c'est! Le benêt! Il faut l'envoyer à l'école. L'autre jour à Nicole il prit Une vapeur auprès de Blaise; Sur sa chaise La pauvre enfant s'évanouit. Blaise, pour secourir Nicole, Fut chercher du monde aussitôt, Le nigaud! Il faut l'envoyer à l'école. L'amant de la jeune Philis Etant près de s'éloigner d'elle, Chez la belle Il envoie un de ses amis. Vas-y, dit-il, et la console. Il se fie à son confident. L'imprudent! Il faut l'envoyer à l'école. Aminte, aux yeux de son barbon, A son grand neveu cherche noise; La matoise Veut le chasser de la maison. L'époux la flatte et la cajole, Pour faire rester son parent L'ignorant! Il faut l'envoyer à l'école. L'Heureux stratagème Acteurs Comédie en trois actes représentée pour la première fois par les comédiens Italiens le 6 juin 1733 Acteurs La Comtesse. La Marquise. Lisette, fille de Blaise. Dorante, amant de la Comtesse. Le Chevalier, amant de la Marquise. Blaise, paysan. Frontin, valet du Chevalier. Arlequin, valet de Dorante. Un laquais. La scène se passe chez la Comtesse. Acte premier Scène première Dorante, Blaise Dorante. - Eh bien! MaÃtre Blaise, que me veux-tu? Parle, puis-je te rendre quelque service? Oh dame! comme ce dit l'autre, ou en êtes bian capable. Dorante. - De quoi s'agit-il? Blaise. - Morgué! velà bian Monsieur Dorante, quand faut sarvir le monde, jarnicoton! ça ne barguine point. Que ça est agriable! le biau naturel d'homme! Dorante. - Voyons; je serai charmé de t'être utile. Blaise. - Oh! point du tout, Monsieur, c'est vous qui charmez les autres. Dorante. - Explique-toi. Blaise. - Boutez d'abord dessus. Dorante. - Non, je ne me couvre jamais. Blaise. - C'est bian fait à vous; moi, je me couvre toujours; ce n'est pas mal fait non pus. Dorante. - Parle... Blaise, riant. - Eh! eh bian! qu'est-ce? Comment vous va, Monsieur Dorante? Toujours gros et gras. J'ons vu le temps que vous étiez mince; mais, morgué! ça s'est bian amendé. Vous velà bian en char. Dorante. - Tu avais, ce me semble, quelque chose à me dire; entre en matière sans compliment. Blaise. - Oh! c'est un petit bout de civilité en passant, comme ça se doit. Dorante. - C'est que j'ai affaire. Blaise. - Morgué! tant pis; les affaires baillont du souci. Dorante. - Dans un moment, il faut que je te quitte achève. Blaise. - Je commence. C'est que je venons par rapport à noute fille, pour l'amour de ce qu'alle va être la femme d'Arlequin voute valet. Dorante. - Je le sais. Blaise. - Dont je savons qu'ou êtes consentant, à cause qu'alle est femme de chambre de Madame la Comtesse qui va vous prendre itou pour son homme. Dorante. - Après? Blaise. - C'est ce qui fait, ne vous déplaise, que je venons vous prier d'une grâce. Dorante. - Quelle est-elle? Blaise. - C'est que faura le troussiau de Lisette, Monsieur Dorante; faura faire une noce, et pis du dégât pour cette noce, et pis de la marchandise pour ce dégât, et du comptant pour cette marchandise. Partout du comptant, hors cheux nous qu'il n'y en a point. Par ainsi, si par voute moyen auprès de Madame la Comtesse, qui m'avancerait queuque six-vingts francs sur mon office de jardinier... Dorante. - Je t'entends, MaÃtre Blaise; mais j'aime mieux te les donner, que de les demander pour toi à la Comtesse, qui ne ferait pas aujourd'hui grand cas de ma prière. Tu crois que je vais l'épouser, et tu te trompes. Je pense que le chevalier Damis m'a supplanté. Adresse-toi à lui si tu n'obtiens rien, je te ferai l'argent dont tu as besoin. Blaise. - Par la morgué, ce que j'entends là me dérange de vous remarcier, tant je sis surprins et stupéfait. Un brave homme comme vous, qui a une mine de prince, qui a le coeur de m'offrir de l'argent, se voir délaissé de la propre parsonne de sa maÃtresse!... ça ne se peut pas, Monsieur, ça ne se peut pas. C'est noute enfant que la Comtesse; c'est défunte noute femme qui l'a norrie noute femme avait de la conscience; faut que sa norriture tianne d'elle. Ne craignez rin, reboutez voute esprit; n'y a ni Chevalier ni cheval à ça. Dorante. - Ce que je te dis n'est que trop vrai, MaÃtre Blaise. Blaise. - Jarniguienne! si je le croyais, je sis homme à li représenter sa faute. Une Comtesse que j'ons vue marmotte! Vous plaÃt-il que je l'exhortise? Dorante. - Eh! que lui dirais-tu, mon enfant? Blaise. - Ce que je li dirais, morgué! ce que je li dirais? Et qu'est-ce que c'est que ça, Madame, et qu'est-ce que c'est que ça! Velà ce que je li dirais, voyez-vous! car, par la sangué! j'ons barcé cette enfant-là , entendez-vous? ça me baille un grand parvilége. Dorante. - Voici Arlequin bien triste; qu'a-t-il à m'apprendre? Scène II Dorante, Arlequin, Blaise Arlequin. - Ouf! Dorante. - Qu'as-tu? Arlequin. - Beaucoup de chagrin pour vous, et à cause de cela, quantité de chagrin pour moi; car un bon domestique va comme son maÃtre. Dorante. - Eh bien? Blaise. - Qui est-ce qui vous fâche? Arlequin. - Il faut se préparer à l'affliction, Monsieur; selon toute apparence, elle sera considérable. Dorante. - Dis donc. Arlequin. - J'en pleure d'avance, afin de m'en consoler après. Blaise. - Morgué! ça m'attriste itou. Dorante. - Parleras-tu? Arlequin. - Hélas! je n'ai rien à dire; c'est que je devine que vous serez affligé, et je vous pronostique votre douleur. Dorante. - On a bien affaire de ton pronostic! Blaise. - A quoi sart d'être oisiau de mauvais augure? Arlequin. - C'est que j'étais tout à l'heure dans la salle, où j'achevais... mais passons cet article. Dorante. - Je veux tout savoir. Arlequin. - Ce n'est rien... qu'une bouteille de vin qu'on avait oubliée, et que j'achevais d'y boire, quand j'ai entendu la Comtesse qui allait y entrer avec le Chevalier. Dorante, soupirant. - Après? Arlequin. - Comme elle aurait pu trouver mauvais que je buvais en fraude, je me suis sauvé dans l'office avec ma bouteille d'abord, j'ai commencé par la vider pour la mettre en sûreté. Blaise. - Ça est naturel. Dorante. - Eh! laisse là ta bouteille, et me dis ce qui me regarde. Arlequin. - Je parle de cette bouteille parce qu'elle y était; je ne voulais pas l'y mettre. Blaise. - Faut la laisser là , pisqu'alle est bue. Arlequin. - La voilà donc vide; je l'ai mise à terre. Dorante. - Encore? Arlequin. - Ensuite, sans mot dire, j'ai regardé à travers la serrure... Dorante. - Et tu as vu la Comtesse avec le Chevalier dans la salle? Arlequin. - Bon! ce maudit serrurier n'a-t-il pas fait le trou de la serrure si petit, qu'on ne peut rien voir à travers? Blaise. - Morgué! tant pis. Dorante. - Tu ne peux donc pas être sûr que ce fût la Comtesse? Arlequin. - Si fait; car mes oreilles ont reconnu sa parole, et sa parole n'était pas là sans sa personne. Blaise. - Ils ne pouviont pas se dispenser d'être ensemble. Dorante. - Eh bien! que se disaient-ils? Arlequin. - Hélas! je n'ai retenu que les pensées, j'ai oublié les paroles. Dorante. - Dis-moi donc les pensées! Arlequin. - Il faudrait en savoir les mots. Mais, Monsieur, ils étaient ensemble, ils riaient de toute leur force; ce vilain Chevalier ouvrait une bouche plus large... Ah! quand on rit tant, c'est qu'on est bien gaillard! Blaise. - Eh bian! c'est signe de joie; velà tout. Arlequin. - Oui; mais cette joie-là a l'air de nous porter malheur. Quand un homme est si joyeux, c'est tant mieux pour lui, mais c'est toujours tant pis pour un autre montrant son maÃtre, et voilà justement l'autre! Dorante. - Eh! laisse-nous en repos. As-tu dit à la Marquise que j'avais besoin d'un entretien avec elle? Arlequin. - Je ne me souviens pas si je lui ai dit; mais je sais bien que je devais lui dire. Scène III Arlequin, Blaise, Dorante, Lisette Lisette. - Monsieur, je ne sais pas comment vous l'entendez, mais votre tranquillité m'étonne; et si vous n'y prenez garde, ma maÃtresse vous échappera. Je puis me tromper; mais j'en ai peur. Dorante. - Je le soupçonne aussi, Lisette; mais que puis-je faire pour empêcher ce que tu me dis là ? Blaise. - Mais, morgué! ça se confirme donc, Lisette? Lisette. - Sans doute le Chevalier ne la quitte point; il l'amuse, il la cajole, il lui parle tout bas; elle sourit à la fin le coeur peut s'y mettre, s'il n'y est déjà ; et cela m'inquiète, Monsieur; car je vous estime; d'ailleurs, voilà un garçon qui doit m'épouser, et si vous ne devenez pas le maÃtre de la maison, cela nous dérange. Arlequin. - Il serait désagréable de faire deux ménages. Dorante. - Ce qui me désespère, c'est que je n'y vois point de remède; car la Comtesse m'évite. Blaise. - Mordi! c'est pourtant mauvais signe. Arlequin. - Et ce misérable Frontin, que te dit-il, Lisette? Lisette. - Des douceurs tant qu'il peut, que je paie de brusqueries. Blaise. - Fort bian, noute fille toujours malhonnête envars li, toujours rudânière hoche la tête quand il te parle; dis-li Passe ton chemin. De la fidélité, morguienne; baille cette confusion-là à la Comtesse, n'est-ce pas, Monsieur? Dorante. - Je me meurs de douleur! Blaise. - Faut point mourir, ça gâte tout; avisons plutôt à queuque manigance. Lisette. - Je l'aperçois qui vient, elle est seule; retirez-vous, Monsieur, laissez-moi lui parler. Je veux savoir ce qu'elle a dans l'esprit; je vous redirai notre conversation; vous reviendrez après. Dorante. - Je te laisse. Arlequin. - Ma mie, toujours rudânière, hoche la tête quand il te parle. Lisette. - Va, sois tranquille. Scène IV Lisette, La Comtesse La Comtesse. - Je te cherchais, Lisette. Avec qui étais-tu là ? il me semble avoir vu sortir quelqu'un d'avec toi. Lisette. - C'est Dorante qui me quitte, Madame. La Comtesse. - C'est lui dont je voulais te parler que dit-il, Lisette? Lisette. - Mais il dit qu'il n'a pas lieu d'être content, et je crois qu'il dit assez juste qu'en pensez-vous, Madame? La Comtesse. - Il m'aime donc toujours? Lisette. - Comment? s'il vous aime! Vous savez bien qu'il n'a point changé. Est-ce que vous ne l'aimez plus? La Comtesse. - Qu'appelez-vous plus? Est-ce que je l'aimais? Dans le fond, je le distinguais, voilà tout; et distinguer un homme, ce n'est pas encore l'aimer, Lisette; cela peut y conduire, mais cela n'y est pas. Lisette. - Je vous ai pourtant entendu dire que c'était le plus aimable homme du monde. La Comtesse. - Cela se peut bien. Lisette. - Je vous ai vue l'attendre avec empressement. La Comtesse. - C'est que je suis impatiente. Lisette. - Etre fâchée quand il ne venait pas. La Comtesse. - Tout cela est vrai; nous y voilà je le distinguais, vous dis-je, et je le distingue encore; mais rien ne m'engage avec lui; et comme il te parle quelquefois, et que tu crois qu'il m'aime, je venais te dire qu'il faut que tu le disposes adroitement à se tranquilliser sur mon chapitre. Lisette. - Et le tout en faveur de Monsieur le chevalier Damis, qui n'a vaillant qu'un accent gascon qui vous amuse? Que vous avez le coeur inconstant! Avec autant de raison que vous en avez, comment pouvez-vous être infidèle? car on dira que vous l'êtes. La Comtesse. - Eh bien! infidèle soit, puisque tu veux que je le sois; crois-tu me faire peur avec ce grand mot-là ? Infidèle! ne dirait-on pas que ce soit une grande injure? Il y a comme cela des mots dont on épouvante les esprits faibles, qu'on a mis en crédit, faute de réflexion, et qui ne sont pourtant rien. Lisette. - Ah! Madame, que dites-vous là ? Comme vous êtes aguerrie là -dessus! Je ne vous croyais pas si désespérée un coeur qui trahit sa foi, qui manque à sa parole! La Comtesse. - Eh bien! ce coeur qui manque à sa parole, quand il en donne mille, il fait sa charge; quand il en trahit mille, il la fait encore il va comme ses mouvements le mènent, et ne saurait aller autrement. Qu'est-ce que c'est que l'étalage que tu me fais là ? Bien loin que l'infidélité soit un crime, c'est que je soutiens qu'il ne faut pas un moment hésiter d'en faire une, quand on en est tentée, à moins que de vouloir tromper les gens, ce qu'il faut éviter, à quelque prix que ce soit. Lisette. - Mais, mais... de la manière dont vous tournez cette affaire-là , je crois, de bonne foi, que vous avez raison. Oui, je comprends que l'infidélité est quelquefois de devoir, je ne m'en serais jamais doutée! La Comtesse. - Tu vois pourtant que cela est clair. Lisette. - Si clair, que je m'examine à présent, pour savoir si je ne serai pas moi-même obligée d'en faire une. La Comtesse. - Dorante est en vérité plaisant; n'oserais-je, à cause qu'il m'aime, distraire un regard de mes yeux? N'appartiendra-t-il qu'à lui de me trouver jeune et aimable? Faut-il que j'aie cent ans pour tous les autres, que j'enterre tout ce que je vaux? que je me dévoue à la plus triste stérilité de plaisir qu'il soit possible? Lisette. - C'est apparemment ce qu'il prétend. La Comtesse. - Sans doute; avec ces Messieurs-là , voilà comment il faudrait vivre; si vous les en croyez, il n'y a plus pour vous qu'un seul homme, qui compose tout votre univers; tous les autres sont rayés, c'est autant de mort pour vous, quoique votre amour-propre n'y trouve point son compte, et qu'il les regrette quelquefois mais qu'il pâtisse; la sotte fidélité lui a fait sa part, elle lui laisse un captif pour sa gloire; qu'il s'en amuse comme il pourra, et qu'il prenne patience. Quel abus, Lisette, quel abus! Va, va, parle à Dorante, et laisse là tes scrupules. Les hommes, quand ils ont envie de nous quitter, y font-ils tant de façons? N'avons-nous pas tous les jours de belles preuves de leur constance? Ont-ils là -dessus des privilèges que nous n'ayons pas? Tu te moques de moi; le Chevalier m'aime, il ne me déplaÃt pas je ne ferai pas la moindre violence à mon penchant. Lisette. - Allons, allons, Madame, à présent que je suis instruite, les amants délaissés n'ont qu'à chercher qui les plaigne; me voilà bien guérie de la compassion que j'avais pour eux. La Comtesse. - Ce n'est pas que je n'estime Dorante; mais souvent, ce qu'on estime ennuie. Le voici qui revient. Je me sauve de ses plaintes qui m'attendent; saisis ce moment pour m'en débarrasser. Scène V Dorante, La Comtesse, Lisette, Arlequin Dorante, arrêtant la Comtesse. - Quoi! Madame, j'arrive, et vous me fuyez? La Comtesse. - Ah! c'est vous, Dorante! je ne vous fuis point, je m'en retourne. Dorante. - De grâce, donnez-moi un instant d'audience. La Comtesse. - Un instant à la lettre, au moins; car j'ai peur qu'il ne me vienne compagnie. Dorante. - On vous avertira, s'il vous en vient. Souffrez que je vous parle de mon amour. La Comtesse. - N'est-ce que cela? Je sais votre amour par coeur. Que me veut-il donc, cet amour? Dorante. - Hélas! Madame, de l'air dont vous m'écoutez, je vois bien que je vous ennuie. La Comtesse. - A vous dire vrai, votre prélude n'est pas amusant. Dorante. - Que je suis malheureux! Qu'êtes-vous devenue pour moi? Vous me désespérez. La Comtesse. - Dorante, quand quitterez-vous ce ton lugubre et cet air noir? Dorante. - Faut-il que je vous aime encore, après d'aussi cruelles réponses que celles que vous me faites! La Comtesse. - Cruelles réponses! Avec quel goût prononcez-vous cela! Que vous auriez été un excellent héros de roman! Votre coeur a manqué sa vocation, Dorante. Dorante. - Ingrate que vous êtes! La Comtesse rit. - Ce style-là ne me corrigera guère. Arlequin, derrière, gémissant. - Hi! hi! hi! La Comtesse. - Tenez, Monsieur, vos tristesses sont si contagieuses qu'elles ont gagné jusqu'à votre valet on l'entend qui soupire. Arlequin. - Je suis touché du malheur de mon maÃtre. Dorante. - J'ai besoin de tout mon respect pour ne pas éclater de colère. La Comtesse. - Eh! d'où vous vient de la colère, Monsieur? De quoi vous plaignez-vous, s'il vous plaÃt? Est-ce de l'amour que vous avez pour moi? Je n'y saurais que faire. Ce n'est pas un crime de vous paraÃtre aimable. Est-ce de l'amour que vous voudriez que j'eusse, et que je n'ai point? Ce n'est pas ma faute, s'il ne m'est pas venu; il vous est fort permis de souhaiter que j'en aie; mais de venir me reprocher que je n'en ai point, cela n'est pas raisonnable. Les sentiments de votre coeur ne font pas la loi du mien; prenez-y garde vous traitez cela comme une dette, et ce n'en est pas une. Soupirez, Monsieur, vous êtes le maÃtre, je n'ai pas droit de vous en empêcher; mais n'exigez pas que je soupire. Accoutumez-vous à penser que vos soupirs ne m'obligent point à les accompagner des miens, pas même à m'en amuser je les trouvais autrefois plus supportables; mais je vous annonce que le ton qu'ils prennent aujourd'hui m'ennuie; réglez-vous là -dessus. Adieu, Monsieur. Dorante. - Encore un mot, Madame. Vous ne m'aimez donc plus? La Comtesse. - Eh! eh! plus est singulier! je ne me ressouviens pas trop de vous avoir aimé. Dorante. - Non! je vous jure, ma foi, que je ne m'en ressouviendrai de ma vie non plus. La Comtesse. - En tout cas, vous n'oublierez qu'un rêve. Elle sort. Scène VI Dorante, Arlequin, Lisette Dorante arrête Lisette. - La perfide!... Arrête, Lisette. Arlequin. - En vérité, voilà un petit coeur de Comtesse bien édifiant! Dorante, à Lisette. - Tu lui as parlé de moi; je ne sais que trop ce qu'elle pense; mais, n'importe que t'a-t-elle dit en particulier? Lisette. - Je n'aurai pas le temps Madame attend compagnie, Monsieur, elle aura peut-être besoin de moi. Arlequin. - Oh! oh! comme elle répond, Monsieur! Dorante. - Lisette, m'abandonnez-vous? Arlequin. - Serais-tu, par hasard, une masque aussi? Dorante. - Parle, quelle raison allègue-t-elle? Lisette. - Oh! de très fortes, Monsieur; il faut en convenir. La fidélité n'est bonne à rien; c'est mal fait que d'en avoir; de beaux yeux ne servent de rien, un seul homme en profite, tous les autres sont morts; il ne faut tromper personne avec cela on est enterrée, l'amour-propre n'a point sa part; c'est comme si on avait cent ans. Ce n'est pas qu'on ne vous estime; mais l'ennui s'y met il vaudrait autant être vieille, et cela vous fait tort. Dorante. - Quel étrange discours me tiens-tu là ? Arlequin. - Je n'ai jamais vu de paroles de si mauvaise mine. Dorante. - Explique-toi donc. Lisette. - Quoi! vous ne m'entendez pas? Eh bien! Monsieur, on vous distingue. Dorante. - Veux-tu dire qu'on m'aime? Lisette. - Eh! non. Cela peut y conduire, mais cela n'y est pas. Dorante. - Je n'y conçois rien. Aime-t-on le Chevalier? Lisette. - C'est un fort aimable homme. Dorante. - Et moi, Lisette? Lisette. - Vous étiez fort aimable aussi m'entendez-vous à cette heure? Dorante. - Ah! je suis outré! Arlequin. - Et de moi, suivante de mon âme, qu'en fais-tu? Lisette. - Toi? je te distingue... Arlequin. - Et moi, je te maudis, chambrière du diable! Scène VII Arlequin, Dorante la Marquise, survenant. Arlequin. - Nous avons affaire à de jolies personnes, Monsieur, n'est-ce pas? Dorante. - J'ai le coeur saisi! Arlequin. - J'en perds la respiration! La Marquise. - Vous me paraissez bien affligé, Dorante. Dorante. - On me trahit, Madame, on m'assassine, on me plonge le poignard dans le sein! Arlequin. - On m'étouffe, Madame, on m'égorge, on me distingue! La Marquise. - C'est sans doute de la Comtesse dont il est question, Dorante? Dorante. - D'elle-même, Madame. La Marquise. - Pourrais-je vous demander un moment d'entretien? Dorante. - Comme il vous plaira; j'avais même envie de vous parler sur ce qui nous vient d'arriver. La Marquise. - Dites à votre valet de se tenir à l'écart, afin de nous avertir si quelqu'un vient. Dorante. - Retire-toi, et prends garde à tout ce qui approchera d'ici. Arlequin. - Que le ciel nous console! Nous voilà tous trois sur le pavé car vous y êtes aussi, vous, Madame. Votre Chevalier ne vaut pas mieux que notre Comtesse et notre Lisette, et nous sommes trois coeurs hors de condition. La Marquise. - Va-t'en; laisse-nous. Arlequin s'en va. Scène VIII La Marquise, Dorante La Marquise. - Dorante, on nous quitte donc tous deux? Dorante. - Vous le voyez, Madame. La Marquise. - N'imaginez-vous rien à faire dans cette occasion-ci? Dorante. - Non, je ne vois plus rien à tenter on nous quitte sans retour. Que nous étions mal assortis, Marquise! Eh! pourquoi n'est-ce pas vous que j'aime? La Marquise. - Eh bien! Dorante, tâchez de m'aimer. Dorante. - Hélas! je voudrais pouvoir y réussir. La Marquise. - La réponse n'est pas flatteuse, mais vous me la devez dans l'état où vous êtes. Dorante. - Ah! Madame, je vous demande pardon; je ne sais ce que je dis je m'égare. La Marquise. - Ne vous fatiguez pas à l'excuser, je m'y attendais. Dorante. - Vous êtes aimable, sans doute, il n'est pas difficile de le voir, et j'ai regretté cent fois de n'y avoir pas fait assez d'attention; cent fois je me suis dit... La Marquise. - Plus vous continuerez vos compliments, plus vous me direz d'injures car ce ne sont pas là des douceurs, au moins. Laissons cela, vous dis-je. Dorante. - Je n'ai pourtant recours qu'à vous, Marquise. Vous avez raison, il faut que je vous aime il n'y a que ce moyen-là de punir la perfide que j'adore. La Marquise. - Non, Dorante, je sais une manière de nous venger qui nous sera plus commode à tous deux. Je veux bien punir la Comtesse, mais, en la punissant, je veux vous la rendre, et je vous la rendrai. Dorante. - Quoi! la Comtesse reviendrait à moi? La Marquise. - Oui, plus tendre que jamais. Dorante. - Serait-il possible? La Marquise. - Et sans qu'il vous en coûte la peine de m'aimer. Dorante. - Comme il vous plaira. La Marquise. - Attendez pourtant; je vous dispense d'amour pour moi, mais c'est à condition d'en feindre. Dorante. - Oh! de tout mon coeur, je tiendrai toutes les conditions que vous voudrez. La Marquise. - Vous aimait-elle beaucoup? Dorante. - Il me le paraissait. La Marquise. - Etait-elle persuadée que vous l'aimiez de même? Dorante. - Je vous dis que je l'adore, et qu'elle le sait. La Marquise. - Tant mieux qu'elle en soit sûre. Dorante. - Mais du Chevalier, qui vous a quittée et qui l'aime, qu'en ferons-nous? Lui laisserons-nous le temps d'être aimé de la Comtesse? La Marquise. - Si la Comtesse croit l'aimer, elle se trompe elle n'a voulu que me l'enlever. Si elle croit ne vous plus aimer, elle se trompe encore; il n'y a que sa coquetterie qui vous néglige. Dorante. - Cela se pourrait bien. La Marquise. - Je connais mon sexe; laissez-moi faire. Voici comment il faut s'y prendre... Mais on vient; remettons à concerter ce que j'imagine. Scène IX Arlequin, Dorante, La Marquise Arlequin, en arrivant. - Ah! que je souffre! Dorante. - Quoi! ne viens-tu nous interrompre que pour soupirer? Tu n'as guère de coeur. Arlequin. - Voilà tout ce que j'en ai mais il y a là -bas un coquin qui demande à parler à Madame; voulez-vous qu'il entre, ou que je le batte? La Marquise. - Qui est-il donc? Arlequin. - Un maraud qui m'a soufflé ma maÃtresse, et qui s'appelle Frontin. La Marquise. - Le valet du Chevalier? Qu'il vienne; j'ai à lui parler. Arlequin. - La vilaine connaissance que vous avez là , Madame! Il s'en va. Scène X La Marquise, Dorante La Marquise, à Dorante. - C'est un garçon adroit et fin, tout valet qu'il est, et dont j'ai fait mon espion auprès de son maÃtre et de la Comtesse voyons ce qu'il nous dira; car il est bon d'être extrêmement sûr qu'ils s'aiment. Mais si vous ne vous sentez pas le courage d'écouter d'un air différent ce qu'il pourra nous dire, allez-vous-en. Dorante. - Oh! je suis outré mais ne craignez rien. Scène XI La Marquise, Dorante, Arlequin, Frontin Arlequin, faisant entrer Frontin. - Viens, maÃtre fripon; entre. Frontin. - Je te ferai ma réponse en sortant. Arlequin, en s'en allant. - Je t'en prépare une qui ne me coûtera pas une syllabe. La Marquise. - Approche, Frontin, approche. Scène XII La Marquise, Frontin, Dorante La Marquise. - Eh bien! qu'as-tu à me dire? Frontin. - Mais, Madame, puis-je parler devant Monsieur? La Marquise. - En toute sûreté. Dorante. - De quoi donc est-il question? La Marquise. - De la Comtesse et du Chevalier. Restez, cela vous amusera. Dorante. - Volontiers. Frontin. - Cela pourra même occuper Monsieur. Dorante. - Voyons. Frontin. - Dès que je vous eus promis, Madame, d'observer ce qui se passerait entre mon maÃtre et la Comtesse, je me mis en embuscade... La Marquise. - Abrège le plus que tu pourras. Frontin. - Excusez, Madame, je ne finis point quand j'abrège. La Marquise. - Le Chevalier m'aime-t-il encore? Frontin. - Il n'en reste pas vestige, il ne sait pas qui vous êtes. La Marquise. - Et sans doute il aime la Comtesse? Frontin. - Bon, l'aimer! belle égratignure! C'est traiter un incendie d'étincelle. Son coeur est brûlant, Madame; il est perdu d'amour. Dorante, d'un air riant. - Et la Comtesse ne le hait pas apparemment? Frontin. - Non, non, la vérité est à plus de mille lieues de ce que vous dites. Dorante. - J'entends qu'elle répond à son amour. Frontin. - Bagatelle! Elle n'y répond plus toutes ses réponses sont faites, ou plutôt dans cette affaire-ci, il n'y a eu ni demande ni réponse, on ne s'en est pas donné le temps. Figurez-vous deux coeurs qui partent ensemble; il n'y eut jamais de vitesse égale on ne sait à qui appartient le premier soupir, il y a apparence que ce fut un duo. Dorante, riant. - Ah! ah! ah... A part. Je me meurs! La Marquise, à part. - Prenez garde... Mais as-tu quelque preuve de ce que tu dis là ? Frontin. - J'ai de sûrs témoins de ce que j'avance, mes yeux et mes oreilles... Hier, la Comtesse... Dorante. - Mais cela suffit; ils s'aiment, voilà son histoire finie. Que peut-il dire de plus? La Marquise. - Achève. Frontin. - Hier, la Comtesse et mon maÃtre s'en allaient au jardin. Je les suis de loin; ils entrèrent dans le bois, j'y entre aussi; ils tournent dans une allée, moi dans le taillis; ils se parlent, je n'entends que des voix confuses; je me coule, je me glisse, et de bosquet en bosquet, j'arrive à les entendre et même à les voir à travers le feuillage... La bellé chose! la bellé chose! s'écriait le Chevalier, qui d'une main tenait un portrait et de l'autre la main de la Comtesse. La bellé chose! Car, comme il est Gascon, je le deviens en ce moment, tout Manceau que je suis; parce qu'on peut tout, quand on est exact, et qu'on sert avec zèle. La Marquise. - Fort bien. Dorante, à part. - Fort mal. Frontin. - Or, ce portrait, Madame, dont je ne voyais que le menton avec un bout d'oreille, était celui de la Comtesse. Oui, disait-elle, on dit qu'il me ressemble assez. Autant qu'il sé peut, disait mon maÃtre, autant qu'il sé peut, à millé charmés près qué j'adore en vous, qué lé peintre né peut qué remarquer, qui font lé désespoir dé son art, et qui né rélèvent qué du pinceau dé la nature. Allons, allons, vous me flattez, disait la Comtesse, en le regardant d'un oeil étincelant d'amour-propre; vous me flattez. Eh! non, Madame, ou qué la pesté m'étouffe! Jé vous dégrade moi-même, en parlant dé vos charmés sandis! aucune expression n'y peut atteindre; vous n'êtes fidélément rendue qué dans mon coeur. N'y sommes-nous pas toutes deux, la Marquise et moi? répliquait la Comtesse. La Marquise et vous! s'écriait-il; eh! cadédis, où sé rangerait-elle? Vous m'en occuperiez mille dé coeurs, si jé les avais; mon amour ne sait où sé mettre, tant il surabonde dans mes paroles, dans mes sentiments, dans ma pensée; il sé répand partout, mon âme en régorge. Et tout en parlant ainsi, tantôt il baisait la main qu'il tenait, et tantôt le portrait. Quand la Comtesse retirait la main, il se jetait sur la peinture; quand elle redemandait la peinture, il reprenait la main lequel mouvement, comme vous voyez, faisait cela et cela, ce qui était tout à fait plaisant à voir. Dorante. - Quel récit, Marquise! La Marquise fait signe à Dorante de se taire. Frontin. - Eh! ne parlez-vous pas, Monsieur? Dorante. - Non, je dis à Madame que je trouve cela comique. Frontin. - Je le souhaite. Là -dessus Rendez-moi mon portrait, rendez donc... Mais, Comtesse... Mais, Chevalier... Mais, Madamé, si jé rends la copie, qué l'original mé dédommagé... Oh! pour cela, non... Oh! pour céla, si. - Le Chevalier tombe à genoux Madame, au nom dé vos grâcés innombrables, nantissez-moi dé la ressemblance, en attendant la personne; accordez cé rafraÃchissement à mon ardeur... Mais, Chevalier, donner son portrait, c'est donner son coeur... Eh! donc, Madamé, j'endurérai bien dé les avoir tous deux... Mais... Il n'y a point dé mais; ma vie est à vous, lé portrait à moi; qué chacun gardé sa part... Eh bien! c'est donc vous qui le gardez; ce n'est pas moi qui le donne, au moins... Tope! sandis! jé m'en fais responsable, c'est moi qui lé prends; vous né faites qué m'accorder dé lé prendre... Quel abus de ma bonté! Ah! c'est la Comtesse qui fait un soupir... Ah! félicité dé mon âme! c'est le Chevalier qui repart un second. Dorante. - Ah!... Frontin. - Et c'est Monsieur qui fournit le troisième. Dorante. - Oui. C'est que ces deux soupirs-là sont plaisants, et je les contrefais; contrefaites aussi, Marquise. La Marquise. - Oh! je n'y entends rien, moi; mais je me les imagine. Elle rit. Ah! ah! ah! Frontin. - Ce matin dans la galerie... Dorante, à la Marquise. - Faites-le finir; je n'y tiendrais pas. La Marquise. - En voilà assez, Frontin. Frontin. - Les fragments qui me restent sont d'un goût choisi. La Marquise. - N'importe, je suis assez instruite. Frontin. - Les gages de la commission courent-ils toujours, Madame? La Marquise. - Ce n'est pas la peine. Frontin. - Et Monsieur voudrait-il m'établir son pensionnaire? Dorante. - Non. Frontin. - Ce non-là , si je m'y connais, me casse sans réplique, et je n'ai plus qu'une révérence à faire. Il sort. Scène XIII La Marquise, Dorante La Marquise. - Nous ne pouvons plus douter de leur secrète intelligence; mais si vous jouez toujours votre personnage aussi mal, nous ne tenons rien. Dorante. - J'avoue que ses récits m'ont fait souffrir; mais je me soutiendrai mieux dans la suite. Ah! l'ingrate! jamais elle ne me donna son portrait. Scène XIV Arlequin, La Marquise, Dorante Arlequin. - Monsieur, voilà votre fripon qui arrive. Dorante. - Qui? Arlequin. - Un de nos deux larrons, le maÃtre du mien. Dorante. - Retire-toi. Il sort. Scène XV La Marquise, Dorante La Marquise. - Et moi, je vous laisse. Nous n'avons pas eu le temps de digérer notre idée; mais en attendant, souvenez-vous que vous m'aimez, qu'il faut qu'on le croie, que voici votre rival, et qu'il s'agit de lui paraÃtre indifférent. Je n'ai pas le temps de vous en dire davantage. Dorante. - Fiez-vous à moi, je jouerai bien mon rôle. Scène XVI Dorante, Le Chevalier Le Chevalier. - Jé té rencontre à propos; jé voulais té parler, Dorante. Dorante. - Volontiers, Chevalier; mais fais vite; voici l'heure de la poste, et j'ai un paquet à faire partir. Le Chevalier. - Jé finis dans un clin d'oeil. Jé suis ton ami, et jé viens té prier dé mé réléver d'un scrupule. Dorante. - Toi? Le Chevalier. - Oui; délivre-moi d'uné chicané qué mé fait mon honneur a-t-il tort ou raison? Voici lé cas. On dit qué tu aimes la Comtessé; moi, jé n'en crois rien, et c'est entré lé oui et lé non qué gÃt lé petit cas dé conscience qué jé t'apporte. Dorante. - Je t'entends, Chevalier tu aurais grande envie que je ne l'aimasse plus. Le Chevalier. - Tu l'as dit; ma délicatessé sé fait bésoin dé ton indifférence pour elle j'aime cetté dame. Dorante. - Est-elle prévenue en ta faveur? Le Chevalier. - Dé faveur, jé m'en passe; ellé mé rend justicé. Dorante. - C'est-à -dire que tu lui plais. Le Chevalier. - Dès qué jé l'aime, tout est dit; épargne ma modestie. Dorante. - Ce n'est pas ta modestie que j'interroge, car elle est gasconne. Parlons simplement t'aime-t-elle? Le Chevalier. - Eh! oui, té dis-je, ses yeux ont déjà là -dessus entamé la matière; ils mé sollicitent lé coeur, ils démandent réponsé mettrai-je bon au bas dé la réquête? C'est ton agrément qué j'attends. Dorante. - Je te le donne à charge de revanche. Le Chevalier. - Avec qui la révanche? Dorante. - Avec de beaux yeux de ta connaissance qui sollicitent aussi. Le Chevalier. - Les beaux yeux qué la Marquisé porte? Dorante. - Elle-même. Le Chevalier. - Et l'intérêt qué tu mé soupçonnes d'y prendre té gêne, té rétient? Dorante. - Sans doute. Le Chevalier. - Va, jé t'émancipé. Dorante. - Je t'avertis que je l'épouserai, au moins. Le Chevalier. - Jé t'informe qué nous férons assaut dé noces. Dorante. - Tu épouseras la Comtesse? Le Chevalier. - L'espérance dé ma postérité s'y fonde. Dorante. - Et bientôt? Le Chevalier. - Démain, peut-être, notre célibat expire. Dorante, embarrassé. - Adieu; j'en suis fort ravi. Le Chevalier, lui tendant la main. - Touche là ; té suis-je cher? Dorante. - Ah! oui... Le Chevalier. - Tu mé l'es sans mésure, jé mé donne à toi pour un siècle; céla passé, nous rénouvellérons dé bail. Serviteur. Dorante. - Oui, oui; demain. Le Chevalier. - Qu'appelles-tu démain? Moi, jé suis ton serviteur du temps passé, du présent et dé l'avénir; toi dé même apparemment? Dorante. - Apparemment. Adieu. Il s'en va. Scène XVII Le Chevalier, Frontin Frontin. - J'attendais qu'il fût sorti pour venir, Monsieur. Le Chevalier. - Qué démandes-tu? j'ai hâte dé réjoindre ma Comtesse. Frontin. - Attendez malepeste! ceci est sérieux; j'ai parlé à la Marquise, je lui a fait mon rapport. Le Chevalier. - Eh bien! tu lui as confié qué j'aimé la Comtesse, et qu'ellé m'aime; qu'en dit-ellé? achève vite. Frontin. - Ce qu'elle en dit? que c'est fort bien fait à vous. Le Chevalier. - Jé continuerai dé bien faire. Adieu. Frontin. - Morbleu! Monsieur, vous n'y songez pas; il faut revoir la Marquise, entretenir son amour, sans quoi vous êtes un homme mort, enterré, anéanti dans sa mémoire. Le Chevalier, riant. - Eh! eh! eh! Frontin. - Vous en riez! Je ne trouve pas cela plaisant, moi. Le Chevalier. - Qué mé fait cé néant? Jé meurs dans une mémoire, jé ressuscite dans une autre; n'ai-je pas la mémoire dé la Comtesse où jé révis? Frontin. - Oui, mais j'ai peur que dans cette dernière, vous n'y mouriez un beau matin de mort subite. Dorante y est mort de même, d'un coup de caprice. Le Chevalier. - Non; lé caprice qui lé tue, lé voilà ; c'est moi qui l'expédie, j'en ai bien expédié d'autres, Frontin né t'inquiète pas; la Comtesse m'a reçu dans son coeur, il faudra qu'ellé m'y garde. Frontin. - Ce coeur-là , je crois que l'amour y campe quelquefois, mais qu'il n'y loge jamais. Le Chevalier. - C'est un amour dé ma façon, sandis! il né finira qu'avec elle; espère mieux dé la fortune dé ton maÃtre; connais-moi bien, tu n'auras plus dé défiance. Frontin. - J'ai déjà usé de cette recette-là ; elle ne m'a rien fait. Mais voici Lisette; vous devriez me procurer la faveur de sa maÃtresse auprès d'elle. Scène XVIII Lisette; Frontin, Le Chevalier Lisette. - Monsieur, Madame vous demande. Le Chevalier. - J'y cours, Lisette mais remets cé faquin dans son bon sens, jé té prie; tu mé l'as privé dé cervelle; il m'entretient qu'il t'aime. Lisette. - Que ne me prend-il pour sa confidente? Frontin. - Eh bien! ma charmante, je vous aime vous voilà aussi savante que moi. Lisette. - Eh bien! mon garçon, courage, vous n'y perdez rien; vous voilà plus savant que vous n'étiez. Je vais dire à ma maÃtresse que vous venez, Monsieur. Adieu, Frontin. Frontin. - Adieu, ma charmante. Scène XIX Le Chevalier, Frontin Frontin. - Allons, Monsieur, ma foi! vous avez raison, votre aventure a bonne mine la Comtesse vous aime; vous êtes Gascon, moi Manceau, voilà de grands titres de fortune. Le Chevalier. - Jé té garantis la tienne. Frontin. - Si j'avais le choix des cautions, je vous dispenserais d'être la mienne. Acte II Scène première Dorante, Arlequin Dorante. - Viens, j'ai à te dire un mot. Arlequin. - Une douzaine, si vous voulez. Dorante. - Arlequin, je te vois à tout moment chercher Lisette, et courir après elle. Arlequin. - Eh pardi! si je veux l'attraper, il faut bien que je coure après, car elle me fuit. Dorante. - Dis-moi préfères-tu mon service à celui d'un autre? Arlequin. - Assurément; il n'y a que le mien qui ait la préférence, comme de raison d'abord moi, ensuite vous; voilà comme cela est arrangé dans mon esprit; et puis le reste du monde va comme il peut. Dorante. - Si tu me préfères à un autre, il s'agit de prendre ton parti sur le chapitre de Lisette. Arlequin. - Mais, Monsieur, ce chapitre-là ne vous regarde pas c'est de l'amour que j'ai pour elle, et vous n'avez que faire d'amour, vous n'en voulez point. Dorante. - Non, mais je te défends d'en parler jamais à Lisette, je veux même que tu l'évites; je veux que tu la quittes, que tu rompes avec elle. Arlequin. - Pardi! Monsieur, vous avez là des volontés qui ne ressemblent guère aux miennes pourquoi ne nous accordons-nous pas aujourd'hui comme hier? Dorante. - C'est que les choses ont changé; c'est que la Comtesse pourrait me soupçonner d'être curieux de ses démarches, et de me servir de toi auprès de Lisette pour les savoir ainsi, laisse-la en repos; je te récompenserai du sacrifice que tu me feras. Arlequin. - Monsieur, le sacrifice me tuera, avant que les récompenses viennent. Dorante. - Oh! point de réplique Marton, qui est à la Marquise, vaut bien ta Lisette; on te la donnera. Arlequin. - Quand on me donnerait la Marquise par-dessus le marché, on me volerait encore. Dorante. - Il faut opter pourtant. Lequel aimes-tu mieux, de ton congé, ou de Marton? Arlequin. - Je ne saurais le dire; je ne les connais ni l'un ni l'autre. Dorante. - Ton congé, tu le connaÃtras dès aujourd'hui, si tu ne suis pas mes ordres; ce n'est même qu'en les suivant que tu serais regretté de Lisette. Arlequin. - Elle me regrettera! Eh! Monsieur, que ne parlez-vous? Dorante. - Retire-toi; j'aperçois la Marquise. Arlequin. - J'obéis, à condition qu'on me regrettera, au moins. Dorante. - A propos, garde le secret sur la défense que je te fais de voir Lisette comme c'était de mon consentement que tu l'épousais, ce serait avoir un procédé trop choquant pour la Comtesse, que de paraÃtre m'y opposer; je te permets seulement de dire que tu aimes mieux Marton, que la Marquise te destine. Arlequin. - Ne craignez rien, il n'y aura là -dedans que la Marquise et moi de malhonnêtes c'est elle qui me fait présent de Marton, c'est moi qui la prends; c'est vous qui nous laissez faire. Dorante. - Fort bien; va-t-en. Arlequin, revient. - Mais on me regrettera. Il sort. Scène II La Marquise, Dorante La Marquise. - Avez-vous instruit votre valet, Dorante? Dorante. - Oui, Madame. La Marquise. - Cela pourra n'être pas inutile; ce petit article-là touchera la Comtesse, si elle l'apprend. Dorante. - Ma foi, Madame, je commence à croire que nous réussirons; je la vois déjà très étonnée de ma façon d'agir avec elle elle qui s'attend à des reproches, je l'ai vue prête à me demander pourquoi je ne lui en faisais pas. La Marquise. - Je vous dis que, si vous tenez bon, vous la verrez pleurer de douleur. Dorante. - Je l'attends aux larmes êtes-vous contente? La Marquise. - Je ne réponds de rien, si vous n'allez jusque-là . Dorante. - Et votre Chevalier, comment en agit-il? La Marquise. - Ne m'en parlez point; tâchons de le perdre, et qu'il devienne ce qu'il voudra mais j'ai chargé un des gens de la Comtesse de savoir si je pouvais la voir, et je crois qu'on vient me rendre réponse. A un laquais qui paraÃt. Eh bien! parlerai-je à ta maÃtresse? Le Laquais. - Oui, Madame, la voilà qui arrive. La Marquise, à Dorante. - Quittez-moi il ne faut pas dans ce moment-ci qu'elle nous voie ensemble, cela paraÃtrait affecté. Dorante. - Et moi, j'ai un petit dessein, quand vous l'aurez quittée. La Marquise. - N'allez rien gâter. Dorante. - Fiez-vous à moi. Il s'en va. Scène III La Marquise, La Comtesse La Comtesse. - Je viens vous trouver moi-même, Marquise comme vous me demandez un entretien particulier, il s'agit apparemment de quelque chose de conséquence. La Marquise. - Je n'ai pourtant qu'une question à vous faire, et comme vous êtes naturellement vraie, que vous êtes la franchise, la sincérité même, nous aurons bientôt terminé. La Comtesse. - Je vous entends vous ne me croyez pas trop sincère; mais votre éloge m'exhorte à l'être, n'est-ce pas? La Marquise. - A cela près, le serez-vous? La Comtesse. - Pour commencer à l'être, je vous dirai que je n'en sais rien. La Marquise. - Si je vous demandais Le Chevalier vous aime-t-il? me diriez-vous ce qui en est? La Comtesse. - Non, Marquise, je ne veux pas me brouiller avec vous, et vous me haïriez si je vous disais la vérité. La Marquise. - Je vous donne ma parole que non. La Comtesse. - Vous ne pourriez pas me la tenir, je vous en dispenserais moi-même il y a des mouvements qui sont plus forts que nous. La Marquise. - Mais pourquoi vous haïrais-je? La Comtesse. - N'a-t-on pas prétendu que le Chevalier vous aimait? La Marquise. - On a eu raison de le prétendre. La Comtesse. - Nous y voilà ; et peut-être l'avez-vous pensé vous-même? La Marquise. - Je l'avoue. La Comtesse. - Et après cela, j'irais vous dire qu'il m'aime! Vous ne me le conseilleriez pas. La Marquise. - N'est-ce que cela? Eh! je voudrais l'avoir perdu je souhaite de tout mon coeur qu'il vous aime. La Comtesse. - Oh! sur ce pied-là , vous n'avez donc qu'à rendre grâce au ciel; vos souhaits ne sauraient être plus exaucés qu'ils le sont. La Marquise. - Je vous certifie que j'en suis charmée. La Comtesse. - Vous me rassurez; ce n'est pas qu'il n'ait tort; vous êtes si aimable qu'il ne devait plus avoir des yeux pour personne mais peut-être vous était-il moins attaché qu'on ne l'a cru. La Marquise. - Non, il me l'était beaucoup; mais je l'excuse quand je serais aimable, vous l'êtes encore plus que moi, et vous savez l'être plus qu'une autre. La Comtesse. - Plus qu'une autre! Ah! vous n'êtes point si charmée, Marquise; je vous disais bien que vous me manqueriez de parole vos éloges baissent. Je m'accommode pourtant de celui-ci, j'y sens une petite pointe de dépit qui a son mérite c'est la jalousie qui me loue. La Marquise. - Moi, de la jalousie? La Comtesse. - A votre avis, un compliment qui finit par m'appeler coquette ne viendrait pas d'elle? Oh! que si, Marquise; on l'y reconnaÃt. La Marquise. - Je ne songeais pas à vous appeler coquette. La Comtesse. - Ce sont de ces choses qui se trouvent dites avant qu'on y rêve. La Marquise. - Mais, de bonne foi, ne l'êtes-vous pas un peu? La Comtesse. - Oui-da; mais ce n'est pas assez qu'un peu ne vous refusez pas le plaisir de me dire que je la suis beaucoup, cela n'empêchera pas que vous ne la soyez autant que moi. La Marquise. - Je n'en donne pas tout à fait les mêmes preuves. La Comtesse. - C'est qu'on ne prouve que quand on réussit; le manque de succès met bien des coquetteries à couvert on se retire sans bruit, un peu humiliée, mais inconnue, c'est l'avantage qu'on a. La Marquise. - Je réussirai quand je voudrai, Comtesse; vous le verrez, cela n'est pas difficile; et le Chevalier ne vous serait peut-être pas resté, sans le peu de cas que j'ai fait de son coeur. La Comtesse. - Je ne chicanerai pas ce dédain-là mais quand l'amour-propre se sauve, voilà comme il parle. La Marquise. - Voulez-vous gager que cette aventure-ci n'humiliera point le mien, si je veux? La Comtesse. - Espérez-vous regagner le Chevalier? Si vous le pouvez, je vous le donne. La Marquise. - Vous l'aimez, sans doute? La Comtesse. - Pas mal; mais je vais l'aimer davantage, afin qu'il vous résiste mieux. On a besoin de toutes ses forces avec vous. La Marquise. - Oh! ne craignez rien, je vous le laisse. Adieu. La Comtesse. - Eh! pourquoi? Disputons-nous sa conquête, mais pardonnons à celle qui l'emportera. Je ne combats qu'à cette condition-là , afin que vous n'ayez rien à me dire. La Marquise. - Rien à vous dire! Vous comptez donc l'emporter? La Comtesse. - Ecoutez, je jouerais à plus beau jeu que vous. La Marquise. - J'avais aussi beau jeu que vous, quand vous me l'avez ôté; je pourrais donc vous l'enlever de même. La Comtesse. - Tenez donc d'avoir votre revanche. La Marquise. - Non; j'ai quelque chose de mieux à faire. La Comtesse. - Oui! et peut-on vous demander ce que c'est? La Marquise. - Dorante vaut son prix, Comtesse. Adieu. Elle sort. Scène IV La Comtesse, seule. La Comtesse. - Dorante! Vouloir m'enlever Dorante! Cette femme-là perd la tête; sa jalousie l'égare; elle est à plaindre! Scène V Dorante, La Comtesse Dorante, arrivant vite, feignant de prendre la Comtesse pour la Marquise. - Eh bien! Marquise, m'opposerez-vous encore des scrupules?... Apercevant la Comtesse. Ah! Madame, je vous demande pardon, je me trompe; j'ai cru de loin voir tout à l'heure la Marquise ici, et dans ma préoccupation je vous ai prise pour elle. La Comtesse. - Il n'y a pas grand mal, Dorante mais quel est donc ce scrupule qu'on vous oppose? Qu'est-ce que cela signifie? Dorante. - Madame, c'est une suite de conversation que nous avons eu ensemble, et que je lui rappelais. La Comtesse. - Mais dans cette suite de conversation, sur quoi tombait ce scrupule dont vous vous plaigniez? Je veux que vous me le disiez. Dorante. - Je vous dis, Madame, que ce n'est qu'une bagatelle dont j'ai peine à me ressouvenir moi-même. C'est, je pense, qu'elle avait la curiosité de savoir comment j'étais dans votre coeur. La Comtesse. - Je m'attends que vous avez eu la discrétion de ne le lui avoir pas dit, peut-être? Dorante. - Je n'ai pas le défaut d'être vain. La Comtesse. - Non, mais on a quelquefois celui d'être vrai. Et que voulait-elle faire de ce qu'elle vous demandait? Dorante. - Curiosité pure, vous dis-je... La Comtesse. - Et cette curiosité parlait de scrupule! Je n'y entends rien. Dorante. - C'est moi, qui par hasard, en croyant l'aborder, me suis servi de ce terme-là , sans savoir pourquoi. La Comtesse. - Par hasard! Pour un homme d'esprit, vous vous tirez mal d'affaire, Dorante; car il y a quelque mystère là -dessous. Dorante. - Je vois bien que je ne réussirais pas à vous persuader le contraire, Madame; parlons d'autre chose. A propos de curiosité, y a-t-il longtemps que vous n'avez reçu de lettres de Paris? La Marquise en attend; elle aime les nouvelles, et je suis sûr que ses amis ne les lui épargneront pas, s'il y en a. La Comtesse. - Votre embarras me fait pitié. Dorante. - Quoi! Madame, vous revenez encore à cette bagatelle-là ? La Comtesse. - Je m'imaginais pourtant avoir plus de pouvoir sur vous. Dorante. - Vous en aurez toujours beaucoup, Madame; et si celui que vous y aviez est un peu diminué, ce n'est pas ma faute. Je me sauve pourtant, dans la crainte de céder à celui qui vous reste. Il sort. La Comtesse. - Je ne reconnais point Dorante à cette sortie-là . Scène VI La Comtesse, rêvant; Le Chevalier Le Chevalier. - Il mé paraÃt qué ma Comtesse rêve, qu'ellé tombé dans lé récueillément. La Comtesse. - Oui, je vois la Marquise et Dorante dans une affliction qui me chagrine; nous parlions tantôt de mariage, il faut absolument différer le nôtre. Le Chevalier. - Différer lé nôtre! La Comtesse. - Oui, d'une quinzaine de jours. Le Chevalier. - Cadédis, vous mé parlez dé la fin du siècle! En vertu dé quoi la rémise? La Comtesse. - Vous n'avez pas remarqué leurs mouvements comme moi? Le Chevalier. - Qu'ai-jé bésoin dé rémarque? La Comtesse. - Je vous dis que ces gens-là sont outrés; voulez-vous les pousser à bout? Nous ne sommes pas si pressés. Le Chevalier. - Si pressé qué j'en meurs, sandis! Si lé cas réquiert uné victime, pourquoi mé donner la préférence? La Comtesse. - Je ne saurais me résoudre à les désespérer, Chevalier. Faisons-nous justice; notre commerce a un peu l'air d'une infidélité, au moins. Ces gens-là ont pu se flatter que nous les aimions, il faut les ménager; je n'aime à faire de mal à personne ni vous non plus, apparemment? Vous n'avez pas le coeur dur, je pense? Ce sont vos amis comme les miens accoutumons-les du moins à se douter de notre mariage. Le Chevalier. - Mais, pour les accoutumer, il faut qué jé vive; et jé vous défie dé mé garder vivant, vous né mé conduirez pas au terme. Tâchons dé les accoutumer à moins dé frais la modé dé mourir pour la consolation dé ses amis n'est pas venue, et dé plus, qué nous importe qué ces deux affligés nous disent Partez? Savez-vous qu'on dit qu'ils s'arrangent? La Comtesse. - S'arranger! De quel arrangement parlez-vous? Le Chevalier. - J'entends que leurs coeurs s'accommodent. La Comtesse. - Vous avez quelquefois des tournures si gasconnes, que je n'y comprends rien. Voulez-vous dire qu'ils s'aiment? Exprimez-vous comme un autre. Le Chevalier, baissant de ton. - On né parle pas tout à fait d'amour, mais d'uné pétite douceur à sé voir. La Comtesse. - D'une douceur à se voir! Quelle chimère! Où a-t-on pris cette idée-là ? Eh bien! Monsieur, si vous me prouvez que ces gens-là s'aiment, qu'ils sentent de la douceur à se voir; si vous me le prouvez, je vous épouse demain, je vous épouse ce soir. Voyez l'intérêt que je vous donne à la preuve. Le Chevalier. - Dé leur amour jé né m'en rends pas caution. La Comtesse. - Je le crois. Prouvez-moi seulement qu'ils se consolent; je ne demande que cela. Le Chevalier. - En cé cas, irez-vous en avant? La Comtesse. - Oui, si j'étais sûre qu'ils sont tranquilles mais qui nous le dira? Le Chevalier. - Jé vous tiens, et jé vous informe qué la Marquise a donné charge à Frontin dé nous examiner, dé lui apporter un état dé nos coeurs; et j'avais oublié dé vous lé dire. La Comtesse. - Voilà d'abord une commission qui ne vous donne pas gain de cause s'ils nous oubliaient, ils ne s'embarrasseraient guère de nous. Le Chevalier. - Frontin aura peut-être déjà parlé; jé né l'ai pas vu dépuis. Qué son rapport nous règle. La Comtesse. - Je le veux bien. Scène VII Le Chevalier, Frontin, la Comtesse Le Chevalier. - Arrive, Frontin, as-tu vu la Marquise? Frontin. - Oui, Monsieur, et même avec Dorante; il n'y a pas longtemps que je les quitte. Le Chevalier. - Raconte-nous comment ils sé comportent. Par bonté d'âme, Madame a peur dé les désespérer moi jé dis qu'ils sé consolent. Qu'en est-il des deux? Rien qué cette bonté né l'arrête, té dis-je; tu m'entends bien? Frontin. - A merveille. Madame peut vous épouser en toute sûreté de désespoir, je n'en vois pas l'ombre. Le Chevalier. - Jé vous gagne dé marché fait cé soir vous êtes mienne. La Comtesse. - Hum! votre gain est peu sûr Frontin n'a pas l'air d'avoir bien observé. Frontin. - Vous m'excuserez, Madame, le désespoir est connaissable. Si c'étaient de ces petits mouvements minces et fluets, qui se dérobent, on peut s'y tromper; mais le désespoir est un objet, c'est un mouvement qui tient de la place. Les désespérés s'agitent, se trémoussent, ils font du bruit, ils gesticulent; et il n'y a rien de tout cela. Le Il vous dit vrai. J'ai tantôt rencontré Dorante, jé lui ai dit J'aime la Comtessé, j'ai passion pour elle. Eh bien! garde-la, m'a-t-il dit tranquillement. La Comtesse. - Eh! vous êtes son rival, Monsieur; voulez-vous qu'il aille vous faire confidence de sa douleur? Le Chevalier. - Jé vous assure qu'il était riant, et qué la paix régnait dans son coeur. La La paix dans le coeur d'un homme qui m'aimait de la passion la plus vive qui fut jamais! Le Chevalier. - Otez la mienne. La Comtesse. - A la bonne heure. Je lui crois pourtant l'âme plus tendre que vous, soit dit en passant. Ce n'est pas votre faute chacun aime autant qu'il peut, et personne n'aime autant que lui. Voilà pourquoi je le plains. Mais sur quoi Frontin décide-t-il qu'il est tranquille? Voyons; n'est-il pas vrai que tu es aux gages de la Marquise, et peut-être à ceux de Dorante, pour nous observer tous deux? Paie-t-on des espions pour être instruit de choses dont on ne se soucie point? Frontin. - Oui; mais je suis mal payé de la Marquise, elle est en arrière. La Comtesse. - Et parce qu'elle n'est pas libérale, elle est indifférente? Quel raisonnement! Frontin. - Et Dorante m'a révoqué, il me doit mes appointements. La Comtesse. - Laisse là tes appointements. Qu'as-tu vu? Que sais-tu? Le Chevalier, bas à Frontin. - Mitigé ton récit. Frontin. - Eh bien! Frontin, m'ont-ils dit tantôt en parlant de vous deux, s'aiment-ils un peu? Oh! beaucoup, Monsieur; extrêmement, Madame, extrêmement, ai-je dit en tranchant. La Comtesse. - Eh bien?... Frontin. - Rien ne remue; la Marquise bâille en m'écoutant, Dorante ouvre nonchalamment sa tabatière, c'est tout ce que j'en tire. La Comtesse. - Va, va, mon enfant, laisse-nous, tu es un maladroit. Votre valet n'est qu'un sot, ses observations sont pitoyables, il n'a vu que la superficie des choses cela ne se peut pas. Frontin. - Morbleu! Madame, je m'y ferais hacher. En voulez-vous davantage? Sachez qu'ils s'aiment, et qu'ils m'ont dit eux-mêmes de vous l'apprendre. La Comtesse, riant. - Eux-mêmes! Eh! que n'as-tu commencé par nous dire cela, ignorant que tu es? Vous voyez bien ce qui en est, Chevalier; ils se consolent tant, qu'ils veulent nous rendre jaloux; et ils s'y prennent avec une maladresse bien digne du dépit qui les gouverne. Ne vous l'avais-je pas dit? Le Chevalier. - La passion sé montre, j'en conviens. La Comtesse. - Grossièrement même. Frontin. - Ah! par ma foi, j'y suis c'est qu'ils ont envie de vous mettre en peine. Je ne m'étonne pas si Dorante, en regardant sa montre, ne la regardait pas fixement, et faisait une demi-grimace. La Comtesse. - C'est que la paix ne régnait pas dans son coeur. Le Chevalier. - Cette grimace est importante. Frontin. - Item, c'est qu'en ouvrant sa tabatière, il n'a pris son tabac qu'avec deux doigts tremblants. Il est vrai aussi que sa bouche a ri, mais de mauvaise grâce; le reste du visage n'en était pas, il allait à part. La Comtesse. - C'est que le coeur ne riait pas. Le Chevalier. - Jé mé rends. Il soupire, il régardé dé travers, et ma noce récule. Pesté du faquin, qui réjetté Madamé dans uné compassion qui sera funeste à mon bonheur! La Comtesse. - Point du tout ne vous alarmez point; Dorante s'est trop mal conduit pour mériter des égards... Mais ne vois-je pas la Marquise qui vient ici? Frontin. - Elle-même. La Comtesse. - Je la connais; je gagerais qu'elle vient finement, à son ordinaire, m'insinuer qu'ils s'aiment, Dorante et elle. Ecoutons. Scène VIII La Comtesse, la Marquise, Frontin, le Chevalier La Marquise. - Pardon, Comtesse, si j'interromps un entretien sans doute intéressant; mais je ne fais que passer. Il m'est revenu que vous retardiez votre mariage avec le Chevalier, par ménagement pour moi. Je vous suis obligée de l'attention, mais je n'en ai pas besoin. Concluez, Comtesse, plutôt aujourd'hui que demain; c'est moi qui vous en sollicite. Adieu. La Comtesse. - Attendez donc, Marquise; dites-moi s'il est vrai que vous vous aimiez, Dorante et vous, afin que je m'en réjouisse. La Marquise. - Réjouissez-vous hardiment; la nouvelle est bonne. La Comtesse, riant. - En vérité? La Marquise. - Oui, Comtesse; hâtez-vous de finir. Adieu. Elle sort. Scène IX Le Chevalier, la Comtesse, Frontin La Comtesse, riant. - Ah! ah! Elle se sauve la raillerie est un peu trop forte pour elle. Que la vanité fait jouer de plaisants rôles à de certaines femmes! car celle-ci meurt de dépit. Le Chevalier. - Elle en a lé coeur palpitant, sandis! Frontin. - La grimace que Dorante faisait tantôt, je viens de la retrouver sur sa physionomie. Au Chevalier. Mais, Monsieur, parlez un peu de Lisette pour moi. La Comtesse. - Que dit-il de Lisette? Frontin. - C'est une petite requête que je vous présente, et qui tend à vous prier qu'il vous plaise d'ôter Lisette à Arlequin, et d'en faire un transport à mon profit. Le Chevalier. - Voilà cé qué c'est. La Comtesse. - Et Lisette y consent-elle? Frontin. - Oh! le transport est tout à fait de son goût. La Comtesse. - Ce qu'il me dit là me fait venir une idée les petites finesses de la Marquise méritent d'être punies. Voyons si Dorante, qui l'aime tant, sera insensible à ce que je vais faire. Il doit l'être, si elle dit vrai, et je le souhaite mais voici un moyen infaillible de savoir ce qui en est. Je n'ai qu'à dire à Lisette d'épouser Frontin; elle était destinée au valet de Dorante, nous en étions convenus. Si Dorante ne se plaint point, la Marquise a raison, il m'oublie, et je n'en serai que plus à mon aise. A Frontin. Toi, va-t'en chercher Lisette et son père, que je leur parle à tous deux. Frontin. - Il ne sera pas difficile de les trouver, car ils entrent. Scène X Blaise, Lisette, le Chevalier, la Comtesse, Frontin La Comtesse. - Approchez, Lisette; et vous aussi, maÃtre Blaise. Votre fille devait épouser Arlequin; mais si vous la mariez, et que vous soyez bien aise d'en disposer à mon gré, vous la donnerez à Frontin; entendez-vous, maÃtre Blaise? Blaise. - J'entends bian, Madame. Mais il y a, morgué! bian une autre histoire qui trotte par le monde, et qui nous chagraine. Il s'agit que je venons vous crier marci. La Comtesse. - Qu'est-ce que c'est? D'où vient que Lisette pleure? Lisette. - Mon père vous le dira, Madame. Blaise. - C'est, ne vous déplaise, Madame, qu'Arlequin est un mal-appris; mais que les pus mal-appris de tout ça, c'est Monsieur Dorante et Madame la Marquise, qui ont eu la finesse de manigancer la volonté d'Arlequin, à celle fin qu'il ne voulÃt pus d'elle; maugré qu'alle en veuille bian, comme je me doute qu'il en voudrait peut-être bian itou, si an le laissait vouloir ce qu'il veut, et qu'an n'y boutÃt pas empêchement. La Comtesse. - Et quel empêchement? Blaise. - Oui, Madame; par le mouyen d'une fille qu'ils appelont Marton, que Madame la Marquise a eu l'avisement d'inventer par malice, pour la promettre à Arlequin. La Comtesse. - Ceci est curieux! Blaise. - En disant, comme ça, que faut qu'ils s'épousient à Paris, a mijaurée et li, dans l'intention de porter dommage à noute enfant, qui va choir en confusion de cette malice, qui n'est rien qu'un micmac pour affronter noute bonne renommée et la vôtre, Madame, se gobarger de nous trois; et c'est touchant ça que je venons vous demander justice. La Comtesse. - Il faudra bien tâcher de vous la faire. Chevalier, ceci change les choses il ne faut plus que Frontin y songe. Allez, Lisette, ne vous affligez pas laissez la Marquise proposer tant qu'elle voudra ses Martons; je vous en rendrai bon compte, car c'est cette femme-là , que je ménageais tant, qui m'attaque là -dedans. Dorante n'y a d'autre part que sa complaisance mais peut-être me reste-t-il encore plus de crédit sur lui qu'elle ne se l'imagine. Ne vous embarrassez pas. Lisette. - Arlequin vient de me traiter avec une indifférence insupportable; il semble qu'il ne m'ait jamais vue voyez de quoi la Marquise se mêle! Blaise. - Empêcher qu'une fille ne soit la femme du monde! La Comtesse. - On y remédiera, vous dis-je. Frontin. - Oui; mais le remède ne me vaudra rien. Le Chevalier. - Comtesse, je vous écoute, l'oreille vous entend, l'esprit né vous saisit point; jé né vous conçois pas. Venez çà , Lisette; tirez-nous cetté bizarre aventure au clair. N'êtes-vous pas éprise dé Frontin? Lisette. - Non, Monsieur; je le croyais, tandis qu'Arlequin m'aimait mais je vois que je me suis trompée, depuis qu'il me refuse. Le Chevalier. - Qué répondre à cé coeur dé femme? La Comtesse. - Et moi, je trouve que ce coeur de femme a raison, et ne mérite pas votre réflexion satirique; c'est un homme qui l'aimait, et qui lui dit qu'il ne l'aime plus; cela n'est pas agréable, elle en est touchée je reconnais notre coeur au sien; ce serait le vôtre, ce serait le mien en pareil cas. Allez, vous autres, retirez-vous, et laissez-moi faire. Blaise. - J'en avons charché querelle à Monsieur Dorante et à sa Marquise de cette affaire. La Comtesse. - Reposez-vous sur moi. Voici Dorante; je vais lui en parler tout à l'heure. Scène XI Dorante, la Comtesse, le Chevalier La Comtesse. - Venez, Dorante, et avant toute autre chose, parlons un peu de la Marquise. Dorante. - De tout mon coeur, Madame. La Comtesse. - Dites-moi donc de tout votre coeur de quoi elle s'avise aujourd'hui? Dorante. - Qu'a-t-elle fait? J'ai de la peine à croire qu'il y ait quelque chose à redire à ses procédés. La Comtesse. - Oh! je vais vous faciliter le moyen de croire, moi. Dorante. - Vous connaissez sa prudence... La Comtesse. - Vous êtes un opiniâtre louangeur! Eh bien! Monsieur, cette femme que vous louez tant, jalouse de moi parce que le Chevalier la quitte, comme si c'était ma faute, va, pour m'attaquer pourtant, chercher de petits détails qui ne sont pas en vérité dignes d'une incomparable telle que vous la faites, et ne croit pas au-dessous d'elle de détourner un valet d'aimer une suivante. Parce qu'elle sait que nous voulons les marier, et que je m'intéresse à leur mariage, elle imagine, dans sa colère, une Marton qu'elle jette à la traverse; et ce que j'admire le plus dans tout ceci, c'est de vous voir vous-même prêter les mains à un projet de cette espèce! Vous-même, Monsieur! Dorante. - Eh! pensez-vous que la Marquise ait cru vous offenser? qu'il me soit venu dans l'esprit, à moi, que vous vous y intéressez encore? Non, Comtesse. Arlequin se plaignait d'une infidélité que lui faisait Lisette; il perdait, disait-il, sa fortune on prend quelquefois part aux chagrins de ces gens-là ; et la Marquise, pour le dédommager, lui a, par bonté, proposé le mariage de Marton qui est à elle; il l'a acceptée, l'en a remerciée voilà tout ce que c'est. Le Chevalier. - La réponse mé persuade, jé les crois sans malice. Qué sur cé point la paix sé fasse entre les puissances, et qué les subalternes sé débattent. La Comtesse. - Laissez-nous, Monsieur le Chevalier, vous direz votre sentiment quand on vous le demandera. Dorante, qu'il ne soit plus question de cette petite intrigue-là , je vous prie; car elle me déplaÃt. Je me flatte que c'est assez vous dire. Dorante. - Attendez, Madame, appelons quelqu'un; mon valet est peut-être là ... Arlequin!... La Comtesse. - Quel est votre dessein? Dorante. - La Marquise n'est pas loin, il n'y a qu'à la prier de votre part de venir ici, vous lui en parlerez. La Comtesse. - La Marquise! Eh! qu'ai-je besoin d'elle? Est-il nécessaire que vous la consultiez là -dessus? Qu'elle approuve ou non, c'est à vous à qui je parle, à vous à qui je dis que je veux qu'il n'en soit rien, que je le veux, Dorante, sans m'embarrasser de ce qu'elle en pense. Dorante. - Oui, mais, Madame, observez qu'il faut que je m'en embarrasse, moi; je ne saurais en décider sans elle. Y aurait-il rien de plus malhonnête que d'obliger mon valet à refuser une grâce qu'elle lui fait et qu'il a acceptée? Je suis bien éloigné de ce procédé-là avec elle. La Comtesse. - Quoi! Monsieur, vous hésitez entre elle et moi! Songez-vous à ce que vous faites? Dorante. - C'est en y songeant que je m'arrête. Le Chevalier. - Eh! cadédis, laissons cé trio dé valets et dé soubrettes. La Comtesse, outrée. - C'est à moi, sur ce pied-là , à vous prier d'excuser le ton dont je l'ai pris, il ne me convenait point. Dorante. - Il m'honorera toujours, et j'y obéirais avec plaisir, si je pouvais. La Comtesse rit. - Nous n'avons plus rien à nous dire, je pense donnez-moi la main, Chevalier. Le Chevalier, lui donnant la main. - Prénez et né rendez pas, Comtesse. Dorante. - J'étais pourtant venu pour savoir une chose; voudriez-vous bien m'en instruire, Madame? La Comtesse, se retournant. - Ah! Monsieur, je ne sais rien. Dorante. - Vous savez celle-ci, Madame. Vous destinez-vous bientôt au Chevalier? Quand aurons-nous la joie de vous voir unis ensemble? La Comtesse. - Cette joie-là , vous l'aurez peut-être ce soir, Monsieur. Le Chevalier. - Doucément, diviné Comtesse, jé tombe en délire! jé perds haleine dé ravissément! Dorante. - Parbleu! Chevalier, j'en suis charmé, et je t'en félicite. La Comtesse, à part. - Ah! l'indigne homme! Dorante, à part. - Elle rougit! La Comtesse. - Est-ce là tout, Monsieur? Dorante. - Oui, Madame. La Comtesse, au Chevalier. - Partons. Scène XII la Comtesse, la Marquise, le Chevalier, Dorante, Arlequin La Marquise. - Comtesse, votre jardiner m'apprend que vous êtes fâchée contre moi je viens vous demander pardon de la faute que j'ai faite sans le savoir; et c'est pour la réparer que je vous amène ce garçon-ci. Arlequin, quand je vous ai promis Marton, j'ignorais que Madame pourrait s'en choquer, et je vous annonce que vous ne devez plus y compter. Arlequin. - Eh bien! je vous donne quittance; mais on dit que Blaise est venu vous demander justice contre moi, Madame je ne refuse pas de la faire bonne et prompte; il n'y a qu'à appeler le notaire; et s'il n'y est pas, qu'on prenne son clerc, je m'en contenterai. La Comtesse, à Dorante. - Renvoyez votre valet, Monsieur; et vous, Madame, je vous invite à lui tenir parole je me charge même des frais de leur noce; n'en parlons plus. Dorante, à Arlequin. - Va-t'en. Arlequin, en s'en allant. - Il n'y a donc pas moyen d'esquiver Marton! C'est vous, Monsieur le Chevalier, qui êtes cause de tout ce tapage-là ; vous avez mis tous nos amours sens dessus dessous. Si vous n'étiez pas ici, moi et mon maÃtre, nous aurions bravement tous deux épousé notre Comtesse et notre Lisette, et nous n'aurions pas votre Marquise et sa Marton sur les bras. Hi! hi! hi! La Marquise et le Chevalier rient. - Eh! eh! eh! La Comtesse, riant aussi. - Eh! eh! Si ses extravagances vous amusent, dites-lui qu'il approche; il parle de trop loin. La jolie scène! Le Chevalier. - C'est démencé d'amour. Dorante. - Retire-toi, faquin. La Marquise. - Ah çà ! Comtesse, sommes-nous bonnes amies à présent? La Comtesse. - Ah! les meilleures du monde, assurément, et vous êtes trop bonne. Dorante. - Marquise, je vous apprends une chose, c'est que la Comtesse et le Chevalier se marient peut-être ce soir. La Marquise. - En vérité? Le Chevalier. - Cé soir est loin encore. Dorante. - L'impatience sied fort bien mais si près d'une si douce aventure, on a bien des choses à se dire. Laissons-leur ces moments-ci, et allons, de notre côté, songer à ce qui nous regarde. La Marquise. - Allons, Comtesse, que je vous embrasse avant de partir. Adieu, Chevalier, je vous fais mes compliments; à tantôt. Scène XIII Le Chevalier, la Comtesse La Comtesse. - Vous êtes fort regretté, à ce que je vois, on faisait grand cas de vous. Le Chevalier. - Jé l'en dispense, surtout cé soir. La Comtesse. - Ah! c'en est trop. Le Chevalier. - Comment! Changez-vous d'avis? La Comtesse. - Un peu. Le Chevalier. - Qué pensez-vous? La Comtesse. - J'ai un dessein... il faudra que vous m'y serviez... Je vous le dirai tantôt. Ne vous inquiétez point, je vais y rêver. Adieu; ne me suivez pas... Elle s'en va et revient. Il est même nécessaire que vous ne me voyiez pas si tôt. Quand j'aurai besoin de vous, je vous en informerai. Le Chevalier. - Jé démeure muet jé sens qué jé périclite. Cette femme est plus femme qu'une autre. Acte III Scène première Le Chevalier, Lisette, Frontin Le Chevalier. - Mais dé grâce, Lisette, priez-la dé ma part que jé la voie un moment. Lisette. - Je ne saurais lui parler, Monsieur, elle repose. Le Chevalier. - Ellé répose! Ellé répose donc débout? Frontin. - Oui, car moi sors de la terrasse, je viens de l'apercevoir se promenant dans la galerie. Lisette. - Qu'importe? Chacun a sa façon de reposer. Quelle est votre méthode à vous, Monsieur? Le Chevalier. - Il mé paraÃt qué tu mé railles, Lisette. Frontin. - C'est ce qui me semble. Lisette. - Non, Monsieur; c'est une question qui vient à propos, et que je vous fais tout en devisant. Le Chevalier. - J'ai même un petit soupçon qué tu né m'aimes pas. Frontin. - Je l'avais aussi, ce petit soupçon-là , mais je l'ai changé contre une grande certitude. Lisette. - Votre pénétration n'a point perdu au change. Le Chevalier. - Né lé disais-je pas? Eh! pourquoi, sandis! té veux-jé du bien, pendant qué tu mé veux du mal? D'où mé vient ma disposition amicale, et qué ton coeur mé réfuse lé réciproque? D'où vient qué nous différons dé sentiments? Lisette. - Je n'en sais rien; c'est qu'apparemment il faut de la variété dans la vie. Frontin. - Je crois que nous sommes aussi très variés tous deux. Lisette. - Oui, si vous m'aimez encore; sinon, nous sommes uniformes. Le Chevalier. - Dis-moi lé vrai tu né mé récommandes pas à ta maÃtresse? Lisette. - Jamais qu'à son indifférence. Frontin. - Le service est touchant! Le Chevalier. - Tu mé fais donc préjudice auprès d'elle? Lisette. - Oh! tant que je peux mais pas autrement qu'en lui parlant contre vous; car je voudrais qu'elle ne vous aimât pas; je vous l'avoue, je ne trompe personne. Frontin. - C'est du moins parler cordialement. Le Chevalier. - Ah çà ! Lisette, dévénons amis. Lisette. - Non; faites plutôt comme moi, Monsieur, ne m'aimez pas. Le Chevalier. - Jé veux qué tu m'aimes, et tu m'aimeras, cadédis! tu m'aimeras; jé l'entréprends, jé mé lé promets. Lisette. - Vous ne vous tiendrez pas parole. Frontin. - Ne savez-vous pas, Monsieur, qu'il y a des haines qui ne s'en vont point qu'on ne les paie? Pour cela... Le Chevalier. - Combien mé coûtera lé départ dé la tienne? Lisette. - Rien; elle n'est pas à vendre. Le Chevalier lui présente sa bourse. - Tiens, prends, et la garde, si tu veux. Lisette. - Non, Monsieur; je vous volerais votre argent. Le Chevalier. - Prends, té dis-je, et mé dis seulement cé qué ta maÃtresse projette. Lisette. - Non; mais je vous dirai bien ce que je voudrais qu'elle projetât, c'est tout ce que je sais. En êtes-vous curieux? Frontin. - Vous nous l'avez déjà dit en plus de dix façons, ma belle. Le Chevalier. - N'a-t-ellé pas quelqué dessein? Lisette. - Eh! qui est-ce qui n'en a pas? Personne n'est sans dessein; on a toujours quelque vue. Par exemple, j'ai le dessein de vous quitter, si vous n'avez pas celui de me quitter vous-même. Le Chevalier. - Rétirons-nous, Frontin; jé sens qué jé m'indigne. Nous réviendrons tantôt la recommander à sa maÃtresse. Frontin. - Adieu donc, soubrette ennemie; adieu, mon petit coeur fantasque; adieu, la plus aimable de toutes les girouettes. Lisette. - Adieu, le plus *disgracié de tous les hommes. Ils s'en vont. Scène II Lisette, Arlequin Arlequin. - M'amie, j'ai beau faire signe à mon maÃtre; il se moque de cela, il ne veut pas venir savoir ce que je lui demande. Lisette. - Il faut donc lui parler devant la Marquise, Arlequin. Arlequin. - Marquise malencontreuse! Hélas! ma fille, la bonté que j'ai eue de te rendre mon coeur ne nous profitera ni à l'un ni à l'autre. Il me sera inutile d'avoir oublié tes impertinences; le diable a entrepris de me faire épouser Marton; il n'en démordra pas; il me la garde. Lisette. - Retourne à ton maÃtre, et dis-lui que je l'attends ici. Arlequin. - Il ne se souciera pas de ton attente. Lisette. - Il n'y a point de temps à perdre cependant va donc. Arlequin. - Je suis tout engourdi de tristesse. Lisette. - Allons, allons, dégourdis-toi, puisque tu m'aimes. Tiens, voilà ton maÃtre et la Marquise qui s'approchent tire-le à quartier, lui, pendant que je m'éloigne. Elle sort. Scène III Dorante, Arlequin, la Marquise Arlequin, à Dorante. - Monsieur, venez que je vous parle. Dorante. - Dis ce que tu me veux. Arlequin. - Il ne faut pas que Madame y soit. Dorante. - Je n'ai point de secret pour elle. Arlequin. - J'en ai un qui ne veut pas qu'elle le connaisse. La Marquise. - C'est donc un grand mystère? Arlequin. - Oui c'est Lisette qui demande Monsieur, et il n'est pas à propos que vous le sachiez, Madame. La Marquise. - Ta discrétion est admirable! Voyez ce que c'est, Dorante; mais que je vous dise un mot auparavant. Et toi, va chercher Lisette. Scène IV Dorante, la Marquise La Marquise. - C'est apparemment de la part de la Comtesse? Dorante. - Sans doute, et vous voyez combien elle est agitée. La Marquise. - Et vous brûlez d'envie de vous rendre! Dorante. - Me siérait-il de faire le cruel? La Marquise. - Nous touchons au terme, et nous manquons notre coup, si vous allez si vite. Ne vous y trompez point, les mouvements qu'on se donne sont encore équivoques; il n'est pas sûr que ce soit de l'amour; j'ai peur qu'on ne soit plus jalouse de moi que de votre coeur; qu'on ne médite de triompher de vous et de moi, pour se moquer de nous deux. Toutes nos mesures sont prises; allons jusqu'au contrat, comme nous l'avons résolu; ce moment seul décidera si on vous aime. L'amour a ses expressions, l'orgueil a les siennes; l'amour soupire de ce qu'il perd, l'orgueil méprise ce qu'on lui refuse attendons le soupir ou le mépris; tenez bon jusqu'à cette épreuve, pour l'intérêt de votre amour même. Abrégez avec Lisette, et revenez me trouver. Dorante. - Ah! votre épreuve me fait trembler! Elle est pourtant raisonnable et je m'y exposerai, je vous le promets. La Marquise. - Je soutiens moi-même un personnage qui n'est pas fort agréable, et qui le sera encore moins sur ces fins-ci, car il faudra que je supplée au peu de courage que vous me montrez; mais que ne fait-on pas pour se venger? Adieu. Elle sort. Scène V Dorante, Arlequin, Lisette Dorante. - Que me veux-tu, Lisette? Je n'ai qu'un moment à te donner. Tu vois bien que je quitte Madame la Marquise, et notre conversation pourrait être suspecte dans la conjoncture où je me trouve. Lisette. - Hélas! Monsieur, quelle est donc cette conjoncture où vous êtes avec elle? Dorante. - C'est que je vais l'épouser rien que cela. Arlequin. - Oh! Monsieur, point du tout. Lisette. - Vous, l'épouser! Arlequin. - Jamais. Dorante. - Tais-toi... Ne me retiens point, Lisette que me veux-tu? Lisette. - Eh, doucement! donnez-vous le temps de respirer. Ah! que vous êtes changé! Arlequin. - C'est cette perfide qui le fâche; mais ce ne sera rien. Lisette. - Vous ressouvenez-vous que j'appartiens à Madame la Comtesse, Monsieur? L'avez-vous oubliée elle-même? Dorante. - Non, je l'honore, je la respecte toujours mais je pars, si tu n'achèves. Lisette. - Eh bien! Monsieur, je finis. Qu'est-ce que c'est que les hommes! Dorante, s'en allant. - Adieu. Arlequin. - Cours après. Lisette. - Attendez donc, Monsieur. Dorante. - C'est que tes exclamations sur les hommes sont si mal placées, que j'en rougis pour ta maÃtresse. Arlequin. - Véritablement l'exclamation est effrontée avec nous; supprime-la. Lisette. - C'est pourtant de sa part que je viens vous dire qu'elle souhaite vous parler. Dorante. - Quoi! tout à l'heure? Lisette. - Oui, Monsieur. Arlequin. - Le plus tôt c'est le mieux. Dorante. - Te tairas-tu, toi? Est-ce que tu es raccommodé avec Lisette? Arlequin. - Hélas! Monsieur, l'amour l'a voulu, et il est le maÃtre; car je ne le voulais pas, moi. Dorante. - Ce sont tes affaires. Quant à moi, Lisette, dites à Madame la Comtesse que je la conjure de vouloir bien remettre notre entretien; que j'ai, pour le différer, des raisons que je lui dirai; que je lui en demande mille pardons; mais qu'elle m'approuvera elle-même. Lisette. - Monsieur, il faut qu'elle vous parle; elle le veut. Arlequin, se mettant à genoux. - Et voici moi qui vous en supplie à deux genoux. Allez, Monsieur, cette bonne dame est amendée; je suis persuadé qu'elle vous dira d'excellentes choses pour le renouvellement de votre amour. Dorante. - Je crois que tu as perdu l'esprit. En un mot, Lisette, je ne saurais, tu le vois bien; c'est une entrevue qui inquiéterait la Marquise; et Madame la Comtesse est trop raisonnable pour ne pas entrer dans ce que je dis là d'ailleurs, je suis sûr qu'elle n'a rien de fort pressé à me dire. Lisette. - Rien, sinon que je crois qu'elle vous aime toujours. Arlequin. - Et bien tendrement malgré la petite parenthèse! Dorante. - Qu'elle m'aime toujours, Lisette! Ah! c'en serait trop, si vous parliez d'après elle; et l'envie qu'elle aurait de me voir en ce cas-là , serait en vérité trop maligne. Que Madame la Comtesse m'ait abandonné, qu'elle ait cessé de m'aimer, comme vous me l'avez dit vous-même, passe je n'étais pas digne d'elle; mais qu'elle cherche de gaieté de coeur à m'engager dans une démarche qui me brouillerait peut-être avec la Marquise, ah! c'en est trop, vous dis-je; et je ne la verrai qu'avec la personne que je vais rejoindre. Il s'en va. Arlequin, le suivant. - Eh! non, Monsieur, mon cher maÃtre, tournez à droite, ne prenez pas à gauche. Venez donc je crierai toujours jusqu'à ce qu'il m'entende. Scène VI Lisette, un moment seule; la Comtesse Lisette. - Allons, il faut l'avouer, ma maÃtresse le mérite bien. La Comtesse. - Eh bien! Lisette, viendra-t-il? Lisette. - Non, Madame. La Comtesse. - Non! Lisette. - Non; il vous prie de l'excuser, parce qu'il dit que cet entretien fâcherait la Marquise, qu'il va épouser. La Comtesse. - Comment? Que dites-vous? Epouser la Marquise! lui? Lisette. - Oui, Madame, et il est persuadé que vous entrerez dans cette bonne raison qu'il apporte. La Comtesse. - Mais ce que tu me dis là est inouï, Lisette. Ce n'est point là Dorante! Est-ce de lui dont tu me parles? Lisette. - De lui-même; mais de Dorante qui ne vous aime plus. La Comtesse. - Cela n'est pas vrai; je ne saurais m'accoutumer à cette idée-là , on ne me la persuadera pas; mon coeur et ma raison la rejettent, me disent qu'elle est fausse, absolument fausse. Lisette. - Votre coeur et votre raison se trompent. Imaginez-vous même que Dorante soupçonne que vous ne voulez le voir que pour inquiéter la Marquise et le brouiller avec elle. La Comtesse. - Eh! laisse là cette Marquise éternelle! Ne m'en parle non plus que si elle n'était pas au monde! Il ne s'agit pas d'elle. En vérité, cette femme-là n'est pas faite pour m'effacer de son coeur, et je ne m'y attends pas. Lisette. - Eh! Madame, elle n'est que trop aimable. La Comtesse. - Que trop! Etes-vous folle? Lisette. - Du moins peut-elle plaire ajoutez à cela votre infidélité, c'en est assez pour guérir Dorante. La Comtesse. - Mais, mon infidélité, où est-elle? Je veux mourir, si je l'ai jamais sentie! Lisette. - Je la sais de vous-même. D'abord vous avez nié que c'en fût une, parce que vous n'aimiez pas Dorante, disiez-vous; ensuite vous m'avez prouvé qu'elle était innocente; enfin, vous m'en avez fait l'éloge, et si bien l'éloge, que je me suis mise à vous imiter, ce dont je me suis bien repentie depuis. La Comtesse. - Eh bien! mon enfant, je me trompais; je parlais d'infidélité sans la connaÃtre. Lisette. - Pourquoi donc n'avez-vous rien épargné de cruel pour vous ôter Dorante? La Comtesse. - Je n'en sais rien; mais je l'aime, et tu m'accables, tu me pénètres de douleur! Je l'ai maltraité, j'en conviens; j'ai tort, un tort affreux! Un tort que je ne me pardonnerai jamais, et qui ne mérite pas que l'on l'oublie! Que veux-tu que je te dise de plus? Je me condamne, je me suis mal conduite, il est vrai. Lisette. - Je vous le disais bien, avant que vous m'eussiez gagnée. La Comtesse. - Misérable amour-propre de femme! Misérable vanité d'être aimée! Voilà ce que vous me coûtez! J'ai voulu plaire au Chevalier, comme s'il en eût valu la peine; j'ai voulu me donner cette preuve-là de mon mérite; il manquait cet honneur à mes charmes; les voilà bien glorieux! J'ai fait la conquête du Chevalier, et j'ai perdu Dorante! Lisette. - Quelle différence! La Comtesse. - Bien plus; c'est que c'est un homme que je hais naturellement quand je m'écoute un homme que j'ai toujours trouvé ridicule, que j'ai cent fois raillé moi-même, et qui me reste à la place du plus aimable homme du monde. Ah! que je suis belle à présent! Lisette. - Ne perdez point le temps à vous affliger, Madame. Dorante ne sait pas que vous l'aimez encore. Le laissez-vous à la Marquise? Voulez-vous tâcher de le ravoir? Essayez, faites quelques démarches, puisqu'il a droit d'être fâché, et que vous êtes dans votre tort. La Comtesse. - Eh! que veux-tu que je fasse pour un ingrat qui refuse de me parler, Lisette? Il faut bien que j'y renonce! Est-ce là un procédé? Toi qui dis qu'il a droit d'être fâché, voyons, Lisette, est-ce que j'ai cru le perdre? Ai-je imaginé qu'il m'abandonnerait? L'ai-je soupçonné de cette lâcheté-là ? A-t-on jamais compté sur un coeur autant que j'ai compté sur le sien? Estime infinie, confiance aveugle; et tu dis que j'ai tort? et tout homme qu'on honore de ces sentiments-là n'est pas un perfide quand il les trompe? Car je les avais, Lisette. Lisette. - Je n'y comprends rien. La Comtesse. - Oui, je les avais; je ne m'embarrassais ni de ses plaintes ni de ses jalousies; je riais de ses reproches; je défiais son coeur de me manquer jamais; je me plaisais à l'inquiéter impunément; c'était là mon idée; je ne le ménageais point. Jamais on ne vécut dans une sécurité plus obligeante; je m'en applaudissais, elle faisait son éloge et cet homme, après cela, me laisse! Est-il excusable? Lisette. - Calmez-vous donc, Madame; vous êtes dans une désolation qui m'afflige. Travaillons à le ramener, et ne crions point inutilement contre lui. Commencez par rompre avec le Chevalier; voilà déjà deux fois qu'il se présente pour vous voir, et que je le renvoie. La Comtesse. - J'avais pourtant dit à cet importun-là de ne point venir, que je ne le fisse avertir. Lisette - Qu'en voulez-vous faire? La Comtesse. - Oh! le haïr autant qu'il est haïssable; c'est à quoi je le destine, je t'assure mais il faut pourtant que je le voie, Lisette; j'ai besoin de lui dans tout ceci; laisse-le venir; va même le chercher. Lisette. - Voici mon père; sachons auparavant ce qu'il veut. Scène VII Blaise, La Comtesse, Lisette. Blaise. - Morgué! Madame, savez-vous bian ce qui se passe ici? Vous avise-t-on d'un tabellion qui se promène là -bas dans le jardin avec Monsieur Dorante et cette Marquise, et qui dit comme ça qu'il leur apporte un chiffon de contrat qu'ils li ont commandé, pour à celle fin qu'ils y boutent leur seing par-devant sa parsonne? Qu'est-ce que vous dites de ça, Madame? car noute fille dit que voute affection a repoussé pour Dorante; et ce tabellion est un impartinent. La Comtesse. - Un notaire chez moi, Lisette! Ils veulent donc se marier ici? Blaise. - Eh! morgué! sans doute. Ils disont itou qu'il fera le contrat pour quatre; ceti-là de voute ancien amoureux avec la Marquise; ceti-là de vous et du Chevalier, voute nouviau galant. Velà comme ils se gobargeont de ça; et jarnigoi! ça me fâche. Et vous, Madame? La Comtesse. - Je m'y perds! C'est comme une fable! Lisette. - Cette fable me révolte. Blaise. - Jarnigué! cette Marquise, maugré le marquisat qu'alle a, n'en agit pas en droiture; an ne friponne pas les amoureux d'une parsonne de voute sorte et dans tout ça il n'y a qu'un mot qui sarve; Madame n'a qu'à dire, mon râtiau est tout prêt, et, jarnigué! j'allons vous ratisser ce biau notaire et sa paperasse ni pus ni moins que mauvaise harbe. La Comtesse. - Lisette, parle donc! Tu ne me conseilles rien. Je suis accablée! Ils vont s'épouser ici, si je n'y mets ordre. Il n'est plus question de Dorante; tu sens bien que je le déteste mais on m'insulte. Lisette. - Ma foi, Madame, ce que j'entends là m'indigne à mon tour; et à votre place, je me soucierais si peu de lui, que je le laisserais faire. La Comtesse. - Tu le laisserais faire! Mais si tu l'aimais, Lisette? Lisette. - Vous dites que vous le haïssez! La Comtesse. - Cela n'empêche pas que je ne l'aime. Et dans le fond, pourquoi le haïr? Il croit que j'ai tort, tu me l'as dit toi-même, et tu avais raison; je l'ai abandonné la première il faut que je le cherche et que je le désabuse. Blaise. - Morgué! Madame, j'ons vu le temps qu'il me chérissait estimez-vous que je sois bon pour li parler? La Comtesse. - Je suis d'avis de lui écrire un mot, Lisette, et que ton père aille lui rendre ma lettre à l'insu de la Marquise. Lisette. - Faites, Madame. La Comtesse. - A propos de lettre, je ne songeais pas que j'en ai une sur moi que je lui écrivais tantôt, et que tout ceci me faisait oublier. Tiens, Blaise, va, tâche de la lui rendre sans que la Marquise s'en aperçoive. Blaise. - N'y aura pas d'aparcevance stapendant qu'il lira voute lettre je la renforcerons de queuque remontration. Il s'en va. Scène VIII Frontin, Le Chevalier, Lisette, La Comtesse Le Chevalier. - Eh! donc, ma Comtessé, qué devient l'amour? A quoi pensé lé coeur? Est-ce ainsi qué vous m'avertissez dé venir? Quel est lé motif dé l'absence qué vous m'avez ordonnée? Vous né mé mandez pas, vous mé laissez en langueur; jé mé mande moi-même. La Comtesse. - J'allais vous envoyer chercher, Monsieur. Le Chevalier. - Lé messager m'a paru tardif. Qué déterminez-vous? Nos gens vont sé marier, le contrat sé passe actuellement. N'userons-nous pas de la commodité du notaire? Ils mé délèguent pour vous y inviter. Ratifiez mon impatience; songez qué l'amour gémit d'attendre, qué les besoins du coeur sont pressés, qué les instants sont précieux, qué vous m'en dérobez d'irréparables, et qué jé meurs. Expédions. La Comtesse. - Non, Monsieur le Chevalier, ce n'est pas mon dessein. Le Chevalier. - Nous n'épouserons pas? La Comtesse. - Non. Le Chevalier. - Qu'est-ce à dire "non"? La Comtesse. - Non signifie non je veux vous raccommoder avec la Marquise. Le Chevalier. - Avec la Marquise! Mais c'est vous qué j'aime, Madame! La Comtesse. - Mais c'est moi qui ne vous aime point, Monsieur; je suis fâchée de vous le dire si brusquement; mais il faut bien que vous le sachiez. Le Chevalier. - Vous mé raillez, sandis! La Comtesse. - Je vous parle très sérieusement. Le Chevalier. - Ma Comtessé, finissons; point dé badinage avec un coeur qui va périr d'épouvante. La Comtesse. - Vous devez vous être aperçu de mes sentiments. J'ai toujours différé le mariage dont vous parlez, vous le savez bien. Comment n'avez-vous pas senti que je n'avais pas envie de conclure? Le Chevalier. - Lé comble dé mon bonheur, vous l'avez rémis à cé soir. La Comtesse. - Aussi le comble de votre bonheur peut-il ce soir arriver de la part de la Marquise. L'avez-vous vue, comme je vous l'ai recommandé tantôt? Le Chevalier. - Récommandé! Il n'en a pas été question, cadédis! La Comtesse. - Vous vous trompez; Monsieur, je crois vous l'avoir dit. Le Chevalier. - Mais, la Marquise et lé Chevalier, qu'ont-ils à démêler ensemble? La Comtesse. - Ils ont à s'aimer tous deux, de même qu'ils s'aimaient, Monsieur. Je n'ai point d'autre parti à vous offrir que de retourner à elle, et je me charge de vous réconcilier. Le Chevalier. - C'est une vapeur qui passe. La Comtesse. - C'est un sentiment qui durera toujours. Lisette. - Je vous le garantis éternel. Le Chevalier. - Frontin, où en sommes-nous? Frontin. - Mais, à vue de pays, nous en sommes à rien. Ce chemin-là n'a pas l'air de nous mener au gÃte. Lisette. - Si fait, par ce chemin-là vous pouvez vous en retournez chez vous. Le Chevalier. - Partirai-jé, Comtessé? Séra-ce lé résultat? La Comtesse. - J'attends réponse d'une lettre; vous saurez le reste quand je l'aurai reçue différez votre départ jusque-là . Scène IX Arlequin, et les acteurs précédents. Arlequin. - Madame, mon maÃtre et Madame la Marquise envoient savoir s'ils ne vous importuneront pas ils viennent vous prononcer votre arrêt et le mien; car je n'épouserai point Lisette, puisque mon maÃtre ne veut pas de vous. La Comtesse. - Je les attends... A Lisette. Il faut qu'il n'ait pas reçu ma lettre, Lisette. Arlequin. - Ils vont entrer, car ils sont à la porte. La Comtesse. - Ce que je vais leur dire va vous mettre au fait, Chevalier; ce ne sera point ma faute, si vous n'êtes pas content. Le Chevalier. - Allons, jé suis dupe; c'est être au fait. Scène X La Marquise, Dorante, La Comtesse, Le Chevalier, Frontin, Arlequin, Lisette La Marquise. - Eh bien, Madame! je ne vois rien encore qui nous annonce un mariage avec le Chevalier quand vous proposez-vous donc d'achever son bonheur? La Comtesse. - Quand il vous plaira, Madame; c'est à vous à qui je le demande; son bonheur est entre vos mains; vous en êtes l'arbitre. La Marquise. - Moi, Comtesse? Si je le suis, vous l'épouserez dès aujourd'hui, et vous nous permettrez de joindre notre mariage au vôtre. La Comtesse. - Le vôtre! avec qui donc, Madame? Arrive-t-il quelqu'un pour vous épouser? La Marquise, montrant Dorante. - Il n'arrive pas de bien loin, puisque le voilà . Dorante. - Oui, Comtesse, Madame me fait l'honneur de me donner sa main; et comme nous sommes chez vous, nous venons vous prier de permettre qu'on nous y unisse. La Comtesse. - Non, Monsieur, non l'honneur serait très grand, très flatteur; mais j'ai lieu de penser que le ciel vous réserve un autre sort. Le Chevalier. - Nous avons changé votre économie jé tombé dans lé lot dé Madame la Marquise, et Madame la Comtessé tombé dans lé tien. La Marquise. - Oh! nous resterons comme nous sommes. La Comtesse. - Laissez-moi parler, Madame, je demande audience écoutez-moi. Il est temps de vous désabuser, Chevalier vous avez cru que je vous aimais; l'accueil que je vous ai fait a pu même vous le persuader; mais cet accueil vous trompait, il n'en était rien je n'ai jamais cessé d'aimer Dorante, et ne vous ai souffert que pour éprouver son coeur. Il vous en a coûté des sentiments pour moi; vous m'aimez, et j'en suis fâchée mais votre amour servait à mes desseins. Vous avez à vous plaindre de lui, Marquise, j'en conviens son coeur s'est un peu distrait de la tendresse qu'il vous devait; mais il faut tout dire. La faute qu'il a faite est excusable, et je n'ai point à tirer vanité de vous l'avoir dérobé pour quelque temps; ce n'est point à mes charmes qu'il a cédé, c'est à mon adresse il ne me trouvait pas plus aimable que vous; mais il m'a cru plus prévenue, et c'est un grand appât. Quant à vous, Dorante, vous m'avez assez mal payée d'une épreuve aussi tendre la délicatesse de sentiments qui m'a persuadée de la faire, n'a pas lieu d'être trop satisfaite; mais peut-être le parti que vous avez pris vient-il plus de ressentiment que de médiocrité d'amour j'ai poussé les choses un peu loin; vous avez pu y être trompé; je ne veux point vous juger à la rigueur; je ferme les yeux sur votre conduite, et je vous pardonne. La Marquise, riant. - Ah! ah! ah! Je pense qu'il n'est plus temps, Madame, du moins je m'en flatte; ou bien, si vous m'en croyez, vous serez encore plus généreuse; vous irez jusqu'à lui pardonner les noeuds qui vont nous unir. La Comtesse. - Et moi, Dorante, vous me perdez pour jamais si vous hésitez un instant. Le Chevalier. - Jé démande audience jé perds Madame la Marquise, et j'aurais tort dé m'en plaindre; jé mé suis trouvé défaillant dé fidélité, jé né sais comment, car lé mérite dé Madame m'en fournissait abondance, et c'est un malheur qui mé passe! En un mot, jé suis infidèle, jé m'en accuse; mais jé suis vrai, jé m'en vante. Il né tient qu'à moi d'user dé réprésaille, et dé dire à Madame la Comtesse Vous mé trompiez, jé vous trompais. Mais jé né suis qu'un homme, et jé n'aspire pas à cé dégré dé finesse et d'industrie. Voici lé compte juste; vous avez contrefait dé l'amour, dites-vous, Madame; jé n'en valais pas davantage; mais votre estime a surpassé mon prix. Né rétranchez rien du fatal honneur qué vous m'avez fait jé vous aimais, vous mé lé rendiez cordialement. La Comtesse. - Du moins l'avez-vous cru. Le Chevalier. - J'achève jé vous aimais, un peu moins qué Madame. Jé m'explique elle avait dé mon coeur une possession plus complète, jé l'adorais; mais jé vous aimais, sandis! passablement, avec quelque réminiscence pour elle. Oui, Dorante, nous étions dans lé tendre. Laisse là l'histoire qu'on té fait, mon ami; il fâche Madame qué tu la désertes, qué ses appas restent inférieurs; sa gloire crie, té rédémande, fait la sirène; qué son chant té trouve sourd. Montrant la Marquise. Prends un regard dé ces beaux yeux pour té servir d'antidote; demeure avec cet objet qué l'amour venge dans mon coeur jé lé dis à régret, jé disputerais Madame dé tout mon sang, s'il m'appartenait d'entrer en dispute; possède-la, Dorante, bénis lé ciel du bonheur qu'il t'accorde. Dé toutes les épouses, la plus estimable, la plus digne dé respect et d'amour, c'est toi qui la tiens; dé toutes les pertes, la plus immense, c'est moi qui la fais; dé tous les hommes, lé plus ingrat, lé plus déloyal, en même temps lé plus imbécile, c'est lé malheureux qui té parle. La Marquise. - Je n'ajouterai rien à la définition; tout y est. La Comtesse. - Je ne daigne pas répondre à ce que vous dites sur mon comte, Chevalier c'est le dépit qui vous l'arrache, et je vous ai dit mes intentions, Dorante; qu'il n'en soit plus parlé, si vous ne les méritez pas. La Marquise. - Nous nous aimons de bonne foi il n'y a plus de remède, Comtesse, et deux personnes qu'on oublie ont bien droit de prendre parti ailleurs. Tâchez tous deux de nous oublier encore vous savez comment cela fait, et cela vous doit être plus aisé cette fois-ci que l'autre. Au notaire. Approchez, Monsieur. Voici le contrat qu'on nous apporte à signer. Dorante, priez Madame de vouloir bien l'honorer de sa signature. La Comtesse. - Quoi! si tôt? La Marquise. - Oui, Madame, si vous nous le permettez. La Comtesse. - C'est à Dorante à qui je parle, Madame. Dorante. - Oui, Madame. La Comtesse. - Votre contrat avec la Marquise? Dorante. - Oui, Madame. La Comtesse. - Je ne l'aurais pas cru! La Marquise. - Nous espérons même que le vôtre accompagnera celui-ci. Et vous, Chevalier, ne signerez-vous pas? Le Chevalier. - Jé né sais plus écrire. La Marquise, au notaire. - Présentez la plume à Madame, Monsieur. La Comtesse, vite. - Donnez. Elle signe et jette la plume après. Ah! perfide! Elle tombe dans les bras de Lisette. Dorante, se jetant à ses genoux. - Ah! ma chère Comtesse! La Marquise. - Rendez-vous à présent; vous êtes aimé, Dorante. Arlequin. - Quel plaisir, Lisette! Lisette. - Je suis contente. La Comtesse. - Quoi! Dorante à mes genoux? Dorante. - Et plus pénétré d'amour qu'il ne le fut jamais. La Comtesse. - Levez-vous. Dorante m'aime donc encore? Dorante. - Et n'a jamais cessé de vous aimer. La Comtesse. - Et la Marquise? Dorante. - C'est elle à qui je devrai votre coeur, si vous me le rendez, Comtesse; elle a tout conduit. La Comtesse. - Ah! je respire! Que de chagrin vous m'avez donné! Comment avez-vous pu feindre si longtemps? Dorante. - Je ne l'ai pu qu'à force d'amour; j'espérais de regagner ce que j'aime. La Comtesse, avec force. - Eh! où est la Marquise, que je l'embrasse? La Marquise, s'approchant et l'embrassant. - La voilà , Comtesse. Sommes-nous bonnes amies? La Comtesse. - Je vous ai l'obligation d'être heureuse et raisonnable. Dorante baise la main de la Comtesse. La Marquise. - Quant à vous, Chevalier, je vous conseille de porter votre main ailleurs; il n'y a pas d'apparence que personne vous en défasse ici. La Comtesse. - Non, Marquise, j'obtiendrai sa grâce; elle manquerait à ma joie et au service que vous m'avez rendu. La Marquise. - Nous verrons dans six mois. Le Chevalier. - Jé né vous démandais qu'un termé; lé reste est mon affaire. Ils s'en vont. Scène XI Frontin, Lisette, Blaise, Arlequin Frontin. - Epousez-vous Arlequin, Lisette? Lisette. - Le coeur me dit que oui. Arlequin. - Le mien opine de même. Blaise. - Et ma volonté se met par-dessus ça. Frontin. - Eh bien! Lisette, je vous donne six mois pour revenir à moi. La Méprise Acteurs Comédie en un acte, en prose, représentée pour la première fois le 16 août 1734 par les comédiens Italiens Acteurs Hortense Mlle Silvia Clarice, soeur d'Hortense Mlle Thomassin Lisette, suivante de Clarice Mlle Rolland Ergaste M. Romagnési Frontin, valet d'Ergaste M. Lélio Arlequin, valet d'Hortense M. Thomassin La scène est dans un jardin. Le théâtre représente un jardin. Scène première Frontin, Ergaste Frontin. - Je vous dis, Monsieur, que je l'attends ici, je vous dis qu'elle s'y rendra, que j'en suis sûr, et que j'y compte comme si elle y était déjà . Ergaste. - Et moi, je n'en crois rien. Frontin. - C'est que vous ne savez pas ce que je vaux, mais une fille ne s'y trompera pas j'ai vu la friponne jeter sur moi de certains regards, qui n'en demeureront pas là , qui auront des suites, vous le verrez. Ergaste. - Nous n'avons vu la maÃtresse et la suivante qu'une fois; encore, ce fut par un coup du hasard que nous les rencontrâmes hier dans cette promenade-ci; elles ne furent avec nous qu'un instant; nous ne les connaissons point; de ton propre aveu, la suivante ne te répondit rien quand tu lui parlas quelle apparence y a-t-il qu'elle ait fait la moindre attention à ce que tu lui dis? Frontin. - Mais, Monsieur, faut-il encore vous répéter que ses yeux me répondirent? N'est-ce rien que des yeux qui parlent? Ce qu'ils disent est encore plus sûr que des paroles. Mon maÃtre en tient pour votre maÃtresse, lui dis-je tout bas en me rapprochant d'elle; son coeur est pris, c'est autant de perdu; celui de votre maÃtresse me paraÃt bien aventuré, j'en crois la moitié de partie, et l'autre en l'air. Du mien, vous n'en avez pas fait à deux fois, vous me l'avez expédié d'un coup d'oeil; en un mot, ma charmante, je t'adore nous reviendrons demain ici, mon maÃtre et moi, à pareille heure, ne manque point d'y mener ta maÃtresse, afin qu'on donne la dernière main à cet amour-ci, qui n'a peut-être pas toutes ses façons; moi, je m'y rendrai une heure avant mon maÃtre, et tu entends bien que c'est t'inviter d'en faire autant; car il sera bon de nous parler sur tout ceci, n'est-ce pas? Nos coeurs ne seront pas fâchés de se connaÃtre un peu plus à fond, qu'en penses-tu, ma poule? Y viendras-tu? Ergaste. - A cela nulle réponse? Frontin. - Ah! vous m'excuserez. Ergaste. - Quoi! Elle parla donc? Frontin. - Non. Ergaste. - Que veux-tu donc dire? Frontin. - Comme il faut du temps pour dire des paroles et que nous étions très pressés, elle mit, ainsi que je vous l'ai dit, des regards à la place des mots, pour aller plus vite; et se tournant de mon côté avec une douceur infinie Oui, mon fils, me dit-elle, sans ouvrir la bouche, je m'y rendrai, je te le promets, tu peux compter là -dessus; viens-y en pleine confiance, et tu m'y trouveras. Voilà ce qu'elle me dit; et que je vous rends mot pour mot, comme je l'ai traduit d'après ses yeux. Ergaste. - Va, tu rêves. Frontin. - Enfin je l'attends; mais vous, Monsieur, pensez-vous que la maÃtresse veuille revenir? Ergaste. - Je n'ose m'en flatter, et cependant je l'espère un peu. Tu sais bien que notre conversation fut courte; je lui rendis le gant qu'elle avait laissé tomber; elle me remercia d'une manière très obligeante de la vitesse avec laquelle j'avais couru pour le ramasser, et se démasqua en me remerciant. Que je la trouvai charmante! Je croyais, lui dis-je, partir demain, et voici la première fois que je me promène ici; mais le plaisir d'y rencontrer ce qu'il y a de plus beau dans le monde m'y ramènera plus d'une fois. Frontin. - Le plaisir d'y rencontrer! Pourquoi ne pas dire l'espérance? Ç'aurait été indiquer adroitement un rendez-vous pour le lendemain. Ergaste. - Oui, mais ce rendez-vous indiqué l'aurait peut-être empêché d'y revenir par raison de fierté; au lieu qu'en ne parlant que du plaisir de la revoir, c'était simplement supposer qu'elle vient ici tous les jours, et lui dire que j'en profiterais, sans rien m'attribuer de la démarche qu'elle ferait en y venant. Frontin, regardant derrière lui. - Tenez, tenez, Monsieur, suis-je un bon traducteur du langage des oeillades? Eh! direz-vous que je rêve? Voyez-vous cette figure tendre et solitaire, qui se promène là -bas en attendant la mienne? Ergaste. - Je crois que tu as raison, et que c'est la suivante. Frontin. - Je l'aurais défié d'y manquer; je me connais. Retirez-vous, Monsieur; ne gênez point les intentions de ma belle. Promenez-vous d'un autre côté, je vais m'instruire de tout, et j'irai vous rejoindre. Scène II Lisette, Frontin Frontin, en riant. - Eh! eh! bonjour, chère enfant; reconnaissez-moi, me voilà , c'est le véritable. Lisette. - Que voulez-vous, Monsieur le Véritable? Je ne cherche personne ici, moi. Frontin. - Oh! que si; vous me cherchiez, je vous cherchais; vous me trouvez, je vous trouve; et je défie que nous trouvions mieux. Comment vous portez-vous? Lisette, faisant la révérence. - Fort bien. Et vous, Monsieur? Frontin. - A merveilles, voilà des appas dans la compagnie de qui il serait difficile de se porter mal. Lisette. - Vous êtes aussi galant que familier. Frontin. - Et vous, aussi ravissante qu'hypocrite; mettons bas les façons, vivons à notre aise. Tiens, je t'aime je te l'ai déjà dit, et je le répète; tu m'aimes, tu ne me l'as pas dit, mais je n'en doute pas; donne-toi donc le plaisir de me le dire, tu me le répéteras après, et nous serons tous deux aussi avancés l'un que l'autre. Lisette. - Tu ne doutes pas que je ne t'aime, dis-tu? Frontin. - Entre nous, ai-je tort d'en être sûr? Une fille comme toi manquerait-elle de goût? Là , voyons, regarde-moi pour vérifier la chose; tourne encore sur moi cette prunelle friande que tu avais hier, et qui m'a laissé pour toi le plus tendre appétit du monde. Tu n'oses, tu rougis. Allons, m'amour, point de quartier; finissons cet article-là . Lisette, d'un ton tendre. - Laisse-moi. Frontin. - Non, ta fierté se meurt, je ne la quitte pas que je ne l'aie achevée. Lisette. - Dès que tu as deviné que tu me plais, n'est-ce pas assez? Je ne t'en apprendrai pas davantage. Frontin. - Il est vrai, tu ne feras rien pour mon instruction, mais il manque à ma gloire le ragoût de te l'entendre dire. Lisette. - Tu veux donc que je la régale aux dépens de la mienne? Frontin. - La tienne! Eh! palsambleu, je t'aime, que lui faut-il de plus? Lisette. - Mais je ne te hais pas. Frontin. - Allons, allons, tu me voles, il n'y a pas là ce qui m'est dû, fais-moi mon compte. Lisette. - Tu me plais. Frontin. - Tu me retiens encore quelque chose, il n'y a pas là ma somme. Lisette. - Eh bien! donc... je t'aime. Frontin. - Me voilà payé avec un bis. Lisette. - Le bis viendra dans le cours de la conversation, fais-m'en crédit pour à présent; ce serait trop de dépense à la fois. Frontin. - Oh! ne crains pas la dépense, je mettrai ton coeur en fonds, va, ne t'embarrasse pas. Lisette. - Parlons de nos maÃtres. Premièrement, qui êtes-vous, vous autres? Frontin. - Nous sommes des gens de condition qui retournons à Paris, et de là à la cour, qui nous trouve à redire; nous revenons d'une terre que nous avons dans le Dauphiné; et en passant, un de nos amis nous a arrêté à Lyon, d'où il nous a mené à cette campagne-ci, où deux paires de beaux yeux nous raccrochèrent hier, pour autant de temps qu'il leur plaira. Lisette. - Où sont-ils, ces beaux yeux? Frontin. - En voilà deux ici, ta maÃtresse a les deux autres. Lisette. - Que fait ton maÃtre? Frontin. - La guerre, quand les ennemis du Roi nous raisonnent. Lisette. - C'est-à -dire qu'il est officier. Et son nom? Frontin. - Le marquis Ergaste, et moi, le chevalier Frontin, comme cadet de deux frères que nous sommes. Lisette. - Ergaste? ce nom-là est connu, et tout ce que tu me dis là nous convient assez. Frontin. - Quand les minois se conviennent, le reste s'ajuste. Mais voyons, mes enfants, qui êtes-vous à votre tour? Lisette. - En premier lieu, nous sommes belles. Frontin. - On le sent encore mieux qu'on ne le voit. Lisette. - Ah! le compliment vaut une révérence. Frontin. - Passons, passons, ne te pique point de payer mes compliments ce qu'ils valent, je te ruinerais en révérences, et je te cajole gratis. Continuons vous êtes belles, après? Lisette. - Nous sommes orphelines. Frontin. - Orphelines? Expliquons-nous; l'amour en fait quelquefois, des orphelins; êtes-vous de sa façon? Vous êtes assez aimables pour cela. Lisette. - Non, impertinent! Il n'y a que deux ans que nos parents sont morts, gens de condition aussi, qui nous ont laissées très riches. Frontin. - Voilà de fort bons procédés. Lisette. - Ils ont eu pour héritières deux filles qui vivent ensemble dans un accord qui va jusqu'à s'habiller l'une comme l'autre, ayant toutes deux presque le même son de voix, toutes deux blondes et charmantes, et qui se trouvent si bien de leur état, qu'elles ont fait serment de ne point se marier et de rester filles. Frontin. - Ne point se marier fait un article, rester filles en fait un autre. Lisette. - C'est la même chose. Frontin. - Oh que non! Quoi qu'il en soit, nous protestons contre l'un ou l'autre de ces deux serments-là ; celle que nous aimons n'a qu'à choisir, et voir celui qu'elle veut rompre; comment s'appelle-t-elle? Lisette. - Clarice, c'est l'aÃnée, et celle à qui je suis. Frontin. - Que dit-elle de mon maÃtre? Depuis qu'elle l'a vu, comment va son voeu de rester fille? Lisette. - Si ton maÃtre s'y prend bien, je ne crois pas qu'il se soutienne, le goût du mariage l'emportera. Frontin. - Voyez le grand malheur! Combien y a-t-il de ces voeux-là qui se rompent à meilleur marché! Eh! dis-moi, mon maÃtre l'attend ici, va-t-elle venir? Lisette. - Je n'en doute pas. Frontin. - Sera-t-elle encore masquée? Lisette. - Oui, en ce pays-ci c'est l'usage en été, quand on est à la campagne, à cause du hâle et de la chaleur. Mais n'est-ce pas là Ergaste que je vois là -bas? Frontin. - C'est lui-même. Lisette. - Je te quitte donc; informe-le de tout, encourage son amour. Si ma maÃtresse devient sa femme, je me charge de t'en fournir une. Frontin. - Eh! me la fourniras-tu en conscience? Lisette. - Impertinent! Je te conseille d'en douter! Frontin. - Oh! le doute est de bon sens; tu es si jolie! Scène III Ergaste, Frontin Ergaste. - Eh bien! que dit la suivante? Frontin. - Ce qu'elle dit? Ce que j'ai toujours prévu que nous triomphons, qu'on est rendu, et que, quand il nous plaira, le notaire nous dira le reste. Ergaste. - Comment? Est-ce que sa maÃtresse lui a parlé de moi? Frontin. - Si elle en a parlé! On ne tarit point, tous les échos du pays nous connaissent, on languit, on soupire, on demande quand nous finirons, peut-être qu'à la fin du jour on nous sommera d'épouser c'est ce que j'en puis juger sur les discours de Lisette, et la chose vaut la peine qu'on y pense. Clarice, fille de qualité, d'un côté, Lisette, fille de condition, de l'autre, cela est bon la race des Frontins et des Ergastes ne rougira point de leur devoir son entrée dans le monde, et de leur donner la préférence. Ergaste. - Il faut que l'amour t'ait tourné la tête, explique-toi donc mieux! Aurais-je le bonheur de ne pas déplaire à Clarice? Frontin. - Eh! Monsieur, comment vous expliquez-vous vous-même? Vous parlez du ton d'un suppliant, et c'est à nous à qui on présente requête. Je vous félicite, au reste, vous avez dans votre victoire un accident glorieux que je n'ai pas dans la mienne on avait juré de garder le célibat, vous triomphez du serment. Je n'ai point cet honneur-là , moi, je ne triomphe que d'une fille qui n'avait juré de rien. Ergaste. - Eh! dis-moi naturellement si l'on a du penchant pour moi. Frontin. - Oui, Monsieur, la vérité toute pure est que je suis adoré, parce qu'avec moi cela va un peu vite, et que vous êtes à la veille de l'être; et je vous le prouve, car voilà votre future idolâtre qui vous cherche. Ergaste. - Ecarte-toi. Scène IV Ergaste, Hortense, Frontin, éloigné. Hortense, quand elle entre sur le théâtre, tient son masque à la main pour être connue du spectateur, et puis le met sur son visage dès que Frontin tourne la tête et l'aperçoit. Elle est vêtue comme l'était ci-devant la dame de qui Ergaste a dit avoir ramassé le gant le jour d'auparavant, et c'est la soeur de cette dame. Hortense, traversant le théâtre. - N'est-ce pas là ce cavalier que je vis hier ramasser le gant de ma soeur? Je n'en ai guère vu de si bien fait. Il me regarde; j'étais hier démasquée avec cet habit-ci, et il me reconnaÃt, sans doute. Elle marche comme en se retirant. Ergaste l'aborde, la salue, et la prend pour l'autre, à cause de l'habit et du masque. - Puisque le hasard vous offre encore à mes yeux, Madame, permettez que je ne perde pas le bonheur qu'il me procure. Que mon action ne vous irrite point, ne la regardez pas comme un manque de respect pour vous, le mien est infini, j'en sui pénétré jamais on ne craignit tant de déplaire, mais jamais coeur, en même temps, ne fut forcé de céder à une passion ni si soumise, ni si tendre. Hortense. - Monsieur, je ne m'attendais pas à cet abord-là , et quoique vous m'ayez vue hier ici, comme en effet j'y étais, et démasquée, cette façon de se voir n'établit entre nous aucune connaissance, surtout avec les personnes de mon sexe; ainsi, vous voulez bien que l'entretien finisse. Ergaste. - Ah! Madame, arrêtez, de grâce, et ne me laissez point en proie à la douleur de croire que je vous ai offensée, la joie de vous retrouver ici m'a égaré, j'en conviens, je dois vous paraÃtre coupable d'une hardiesse que je n'ai pourtant point; car je n'ai su ce que je faisais, et je tremble devant vous à présent que je vous parle. Hortense. - Je ne puis vous écouter. Ergaste. - Voulez-vous ma vie en réparation de l'audace dont vous m'accusez? Je vous l'apporte, elle est à vous; mon sort est entre vos mains, je ne saurais plus vivre si vous me rebutez. Hortense. - Vous, Monsieur? Ergaste. - J'explique ce que je sens, Madame; je me donnai hier à vous; je vous consacrai mon coeur, je conçus le dessein d'obtenir grâce du vôtre, et je mourrai s'il me la refuse. Jugez si un manque de respect est compatible avec de pareils sentiments. Hortense. - Vos expressions sont vives et pressantes, assurément, il est difficile de rien dire de plus fort. Mais enfin, plus j'y pense, et plus je vois qu'il faut que je me retire, Monsieur; il n'y a pas moyen de se prêter plus longtemps à une conversation comme celle-ci, et je commence à avoir plus de tort que vous. Ergaste. - Eh! de grâce, Madame, encore un mot qui décide de ma destinée, et je finis me haïssez-vous? Hortense. - Je ne dis pas cela, je ne pousse point les choses jusque-là , elles ne le méritent pas. Sur quoi voudriez-vous que fût fondée ma haine? Vous m'êtes inconnu, Monsieur, attendez donc que je vous connaisse. Ergaste. - Me sera-t-il permis de chercher à vous être présenté, Madame? Hortense. - Vous n'aviez qu'un mot à me dire tout à l'heure, vous me l'avez dit, et vous continuez, Monsieur. Achevez donc, ou je m'en vais car il n'est pas dans l'ordre que je reste. Ergaste. - Ah! je suis au désespoir! Je vous entends vous ne voulez pas que je vous voie davantage! Hortense. - Mais en vérité, Monsieur, après m'avoir appris que vous m'aimez, me conseillerez-vous de vous dire que je veux bien que vous me voyiez? Je ne pense pas que cela m'arrive. Vous m'avez demandé si je vous haïssais; je vous ai répondu que non; en voilà bien assez, ce me semble; n'imaginez pas que j'aille plus loin. Quant aux mesures que vous pouvez prendre pour vous mettre en état de me voir avec un peu plus de décence qu'ici, ce sont vos affaires. Je ne m'opposerai point à vos desseins; car vous trouverez bon que je les ignore, et il faut que cela soit ainsi un homme comme vous a des amis, sans doute, et n'aura pas besoin d'être aidé pour se produire. Ergaste. - Hélas! Madame, je m'appelle Ergaste; je n'ai d'ami ici que le comte de Belfort, qui m'arrêta hier comme j'arrivais du Dauphiné, et qui me mena sur-le-champ dans cette campagne-ci. Hortense. - Le comte de Belfort, dites-vous? Je ne savais pas qu'il fût ici. Nos maisons sont voisines, apparemment qu'il nous viendra voir; et c'est donc chez lui que vous êtes actuellement, Monsieur? Ergaste. - Oui, Madame. Je le laissai hier donner quelques ordres après dÃner, et je vins me promener dans les allées de ce petit bois, où j'aperçus du monde, je vous y vis, vous vous y démasquâtes un instant, et dans cet instant vous devÃntes l'arbitre de mon sort. J'oubliai que je retournais à Paris; j'oubliai jusqu'à un mariage avantageux qu'on m'y ménageait, auquel je renonce, et que j'allais conclure avec une personne à qui rien ne me liait qu'un simple rapport de condition et de fortune. Hortense. - Dès que ce mariage vous est avantageux, la partie se renouera; la dame est aimable, sans doute, et vous ferez vos réflexions. Ergaste. - Non, Madame, mes réflexions sont faites, et je le répète encore, je ne vivrai que pour vous, ou je ne vivrai pour personne; trouver grâce à vos yeux, voilà à quoi j'ai mis toute ma fortune, et je ne veux plus rien dans le monde, si vous me défendez d'y aspirer. Hortense. - Moi, Monsieur, je ne vous défends rien, je n'ai pas ce droit-là , on est le maÃtre de ses sentiments; et si le comte de Belfort, dont vous parlez, allait vous mener chez moi, je le suppose parce que cela peut arriver, je serais même obligée de vous y bien recevoir. Ergaste. - Obligée, Madame! Vous ne m'y souffrirez donc que par politesse? Hortense. - A vous dire vrai, Monsieur, j'espère bien n'agir que par ce motif-là , du moins d'abord, car de l'avenir, qui est-ce qui en peut répondre? Ergaste. - Vous, Madame, si vous le voulez. Hortense. - Non, je ne sais encore rien là -dessus, puisqu'ici même j'ignore ce que c'est que l'amour; et je voudrais bien l'ignorer toute ma vie. Vous aspirez, dites-vous, à me rendre sensible? A la bonne heure; personne n'y a réussi; vous le tentez, nous verrons ce qu'il en sera; mais je vous saurai bien mauvais gré, si vous y réussissez mieux qu'un autre. Ergaste. - Non, Madame, je n'y vois pas d'apparence. Hortense. - Je souhaite que vous ne vous trompiez pas; cependant je crois qu'il sera bon, avec vous, de prendre garde à soi de plus près qu'avec un autre. Mais voici du monde, je serais fâchée qu'on nous vÃt ensemble éloignez-vous, je vous prie. Ergaste. - Il n'est point tard; continuez-vous votre promenade, Madame? Et pourrais-je espérer, si l'occasion s'en présente, de vous revoir encore ici quelques moments? Hortense. - Si vous me trouvez seule et éloignée des autres, dès que nous nous sommes parlé et que, grâce à votre précipitation, la faute en est faite, je crois que vous pourrez m'aborder sans conséquence. Ergaste. - Et cependant je pars, sans avoir eu la douceur de voir encore ces yeux et ces traits... Hortense. - Il est trop tard pour vous en plaindre mais vous m'avez vue, séparons-nous; car on approche. Quand il est parti. Je suis donc folle! Je lui donne une espèce de rendez-vous, et j'ai peur de le tenir, qui pis est. Scène V Hortense, Arlequin. Arlequin. - Madame, je viens vous demander votre avis sur une commission qu'on m'a donnée. Hortense. - Qu'est-ce que c'est? Arlequin. - Voulez-vous avoir compagnie? Hortense. - Non, quelle est-elle, cette compagnie? Arlequin. - C'est ce Monsieur Damis, qui est si amoureux de vous. Hortense. - Je n'ai que faire de lui ni de son amour. Est-ce qu'il me cherche? De quel côté vient-il? Arlequin. - Il ne vient par aucun côté, car il ne bouge, et c'est moi qui viens pour lui, afin de savoir où vous êtes. Lui dirai-je que vous êtes ici, ou bien ailleurs? Hortense. - Non, nulle part. Arlequin. - Cela ne se peut pas, il faut bien que vous soyez en quelque endroit, il n'y a qu'à dire où vous voulez être. Hortense. - Quel imbécile! Rapporte-lui que tu ne me trouves pas. Arlequin. - Je vous ai pourtant trouvée comment ferons-nous? Hortense. - Je t'ordonne de lui dire que je n'y suis pas, car je m'en vais. Elle s'écarte. Arlequin. - Eh bien! vous avez raison; quand on s'en va, on n'y est pas cela est clair. Il s'en va. Scène VI Hortense, Clarice Hortense, à part. - Ne voilà -t-il pas encore ma soeur! Clarice. - J'ai tourné mal à propos de ce côté-ci. M'a-t-elle vue? Hortense. - Je la trouve embarrassée qu'est-ce que cela signifie, Ergaste y aurait-il part? Clarice. - Il faut lui parler, je sais le moyen de la congédier. Ah! vous voilà , ma soeur? Hortense. - Oui, je me promenais; et vous, ma soeur? Clarice. - Moi, de même le plaisir de rêver m'a insensiblement amené ici. Hortense. - Et poursuivez-vous votre promenade? Clarice. - Encore une heure ou deux. Hortense. - Une heure ou deux! Clarice. - Oui, parce qu'il est de bonne heure. Hortense. - Je suis d'avis d'en faire autant. Clarice, à part. - De quoi s'avise-t-elle? Haut. Comme il vous plaira. Hortense. - Vous me paraissez rêveuse. Clarice. - Mais... oui, je rêvais, ces lieux-ci y invitent; mais nous aurons bientôt compagnie; Damis vous cherche, et vient par là . Hortense. - Damis! Oh! sur ce pied-là je vous quitte. Adieu. Vous savez combien il m'ennuie. Ne lui dites pas que vous m'avez vue. A part. Rappelons. Arlequin, afin qu'il observe. Clarice, riant. - Je savais bien que je la ferais partir. Scène VII Clarice, Lisette Lisette. - Quoi! toute seule, Madame? Clarice. - Oui, Lisette. Lisette, en riant, et lui marquant du bout du doigt. - Il est ici. Clarice. - Qui? Lisette. - Vous ne m'entendez pas? Clarice. - Non. Lisette. - Eh! cet aimable jeune homme qui vous rendit hier un petit service de si bonne grâce. Clarice. - Ce jeune officier? Lisette. - Eh oui. Clarice. - Eh bien! qu'il y soit, que veux-tu que j'y fasse? Lisette. - C'est qu'il vous cherche, et si vous voulez l'éviter, il ne faut pas rester ici. Clarice. - L'éviter! Est-ce que tu crois qu'il me parlera? Lisette. - Il n'y manquera pas, la petite aventure d'hier le lui permet de reste. Clarice. - Va, va, il ne me reconnaÃtra seulement pas. Lisette. - Hum! vous êtes pourtant bien reconnaissable; et de l'air dont il vous lorgna hier, je vais gager qu'il vous voit encore; ainsi prenons par là . Clarice. - Non, je suis trop lasse, il y a longtemps que je me promène. Lisette. - Oui-da, un bon quart d'heure à peu près. Clarice. - Mais pourquoi me fatiguerais-je à fuir un homme qui, j'en suis sûre, ne songe pas plus à moi que ne je songe à lui? Lisette. - Eh mais! c'est bien assez qu'il y songe autant. Clarice. - Que veux-tu dire? Lisette. - Vous ne m'avez encore parlé de lui que trois ou quatre fois. Clarice. - Ne te figurerais-tu pas que je ne suis venue seule ici que pour lui donner occasion de m'aborder? Lisette. - Oh! il n'y a pas de plaisir avec vous, vous devinez mot à mot ce qu'on pense. Clarice. - Que tu es folle! Lisette, riant. - Si vous n'y étiez pas venue de vous-même, je devais vous y mener, moi. Clarice. - M'y mener! Mais vous êtes bien hardie de me le dire! Lisette. - Bon! je suis encore bien plus hardie que cela, c'est que je crois que vous y seriez venue. Clarice. - Moi? Lisette. - Sans doute, et vous auriez raison, car il est fort aimable, n'est-il pas vrai? Clarice. - J'en conviens. Lisette. - Et ce n'est pas là tout, c'est qu'il vous aime. Clarice. - Autre idée! Lisette. - Oui-da, peut-être que je me trompe. Clarice. - Sans doute, à moins qu'on ne te l'ait dit, et je suis persuadée que non, qui est-ce qui t'en a parlé? Lisette. - Son valet m'en a touché quelque chose. Clarice. - Son valet? Lisette. - Oui. Clarice, quelque temps sans parler, et impatiente. - Et ce valet t'a demandé le secret, apparemment? Lisette. - Non. Clarice. - Cela revient pourtant au même, car je renonce à savoir ce qu'il vous a dit, s'il faut vous interroger pour l'apprendre. Lisette. - J'avoue qu'il y a un peu de malice dans mon fait, mais ne vous fâchez pas, Ergaste vous adore, Madame. Clarice. - Tu vois bien qu'il ne sera pas nécessaire que je l'évite, car il ne paraÃt pas. Lisette. - Non, mais voici son valet qui me fait signe d'aller lui parler. Irai-je savoir ce qu'il me veut? Scène VIII Frontin, Lisette, Clarice Clarice. - Oh! tu le peux je ne t'en empêche pas. Lisette. - Si vous ne vous en souciez guère, ni moi non plus. Clarice. - Ne vous embarrassez pas que je m'en soucie, et allez toujours voir ce qu'on vous veut. Lisette, à Clarice. - Eh! parlez donc. Et puis s'approchant de Frontin. Ton maÃtre est-il là ? Frontin. - Oui; il demande s'il peut reparaÃtre, puisqu'elle est seule. Lisette revient à sa maÃtresse. - Madame, c'est Monsieur le marquis Ergaste qui aurait grande envie de vous faire encore révérence, et qui, comme vous voyez, vous en sollicite par le plus révérencieux de tous les valets. Frontin salue à droite et à gauche. Clarice. - Si je l'avais prévu, je me serais retirée. Lisette. - Lui dirai-je que vous n'êtes pas de cet avis-là ? Clarice. - Mais je ne suis d'avis de rien, réponds ce que tu voudras, qu'il vienne. Lisette, à Frontin. - On n'est d'avis de rien, mais qu'il vienne. Frontin. - Le voilà tout venu. Lisette. - Toi, avertis-nous si quelqu'un approche. Frontin sort. Scène IX Clarice, Lisette, Ergaste Ergaste. - Que ce jour-ci est heureux pour moi, Madame! Avec quelle impatience n'attendais-je pas le moment de vous revoir encore! J'ai observé celui où vous étiez seule. Clarice, se démasquant un moment. - Vous avez fort bien fait d'avoir cette attention-là , car nous ne nous connaissons guère. Quoi qu'il en soit, vous avez souhaité me parler, Monsieur; j'ai cru pouvoir y consentir. Auriez-vous quelque chose à me dire? Ergaste. - Ce que mes yeux vous ont dit avant mes discours, ce que mon coeur sent mille fois mieux qu'ils ne le disent, ce que je voudrais vous répéter toujours que je vous aime, que je vous adore, que je ne vous verrai jamais qu'avec transport. Lisette, à part à sa maÃtresse. - Mon rapport est-il fidèle? Clarice. - Vous m'avouerez, Monsieur, que vous ne mettez guère d'intervalle entre me connaÃtre, m'aimer et me le dire; et qu'un pareil entretien aurait pu être précédé de certaines formalités de bienséance qui sont ordinairement nécessaires. Ergaste. - Je crois vous l'avoir déjà dit, Madame, je n'ai su ce que je faisais, oubliez une faute échappée à la violence d'une passion qui m'a troublé, et qui me trouble encore toutes les fois que je vous parle. Lisette, à Clarice. - Qu'il a le débit tendre! Clarice. - Avec tout cela, Monsieur, convenez pourtant qu'il en faudra revenir à quelqu'une de ces formalités dont il s'agit, si vous avez dessein de me revoir. Ergaste. - Si j'en ai dessein! Je ne respire que pour cela, Madame. Le comte de Belfort doit vous rendre visite ce soir. Clarice. - Est-ce qu'il est de vos amis? Ergaste. - C'est lui, Madame, chez qui il me semble vous avoir dit que j'étais. Clarice. - Je ne me le rappelais pas. Ergaste. - Je l'accompagnerai chez vous, Madame, il me l'a promis s'engage-t-il à quelque chose qui vous me déplaise? Consentez-vous que je lui aie cette obligation? Clarice. - Votre question m'embarrasse; dispensez-moi d'y répondre. Ergaste. - Est-ce que votre réponse me serait contraire? Clarice. - Point du tout. Lisette. - Et c'est ce qui fait qu'on n'y répond pas. Ergaste se jette à ses genoux, et lui baise la main. Clarice, remettant son masque. - Adieu, Monsieur; j'attendrai le comte de Belfort. Quelqu'un approche laissez-moi seule continuer ma promenade, nous pourrons nous y rencontrer encore. Scène X Ergaste, Clarice, Lisette, Frontin Frontin, à Lisette. - Je viens vous dire que je vois de loin une espèce de petit nègre qui accourt. Lisette. - Retirons-nous vite, Madame; c'est Arlequin qui vient. Clarice sort. Ergaste et elle se saluent. Scène XI Ergaste, Frontin Ergaste. - Je suis enchanté, Frontin; je suis transporté! Voilà deux fois que je lui parle aujourd'hui. Qu'elle est aimable! Que de grâces! Et qu'il est doux d'espérer de lui plaire! Frontin. - Bon! espérer! Si la belle vous donne cela pour de l'espérance, elle ne vous trompe pas. Ergaste. - Belfort m'y mènera ce soir. Frontin. - Cela fera une petite journée de tendresse assez complète. Au reste, j'avais oublié de vous dire le meilleur. Votre maÃtresse a bien des grâces; mais le plus beau de ses traits, vous ne le voyez point, il n'est point sur son visage, il est dans sa cassette. Savez-vous bien que le coeur de Clarice est une emplette de cent mille écus, Monsieur? Ergaste. - C'est bien là à quoi je pense! Mais, que nous veut ce garçon-ci? Frontin. - C'est le beau brun que j'ai vu venir. Scène XII Arlequin, Ergaste, Frontin Arlequin, à Ergaste. - Vous êtes mon homme; c'est vous que je cherche. Ergaste. - Parle que me veux-tu? Frontin. - Où est ton chapeau? Arlequin. - Sur ma tête. Frontin, le lui ôtant. - Il n'y est plus. Arlequin. - Il y était quand je l'ai dit il le remet, et il y retourne. Ergaste. - De quoi est-il question? Arlequin. - D'un discours malhonnête que j'ai ordre de vous tenir, et qui ne demande pas la cérémonie du chapeau. Ergaste. - Un discours malhonnête! A moi! Et de quelle part? Arlequin. - De la part d'une personne qui s'est moquée de vous. Ergaste. - Insolent! t'expliqueras-tu? Arlequin. - Dites vos injures à ma commission, c'est elle qui est insolente, et non pas moi. Frontin. - Voulez-vous que j'estropie le commissionnaire, Monsieur? Arlequin. - Cela n'est pas de l'ambassade je n'ai point ordre de revenir estropié. Ergaste. - Qui est-ce qui t'envoie? Arlequin. - Une dame qui ne fait point cas de vous. Ergaste. - Quelle est-elle? Arlequin. - Ma maÃtresse. Ergaste. - Est-ce que je la connais? Arlequin. - Vous lui avez parlé ici. Ergaste. - Quoi! c'est cette dame-là qui t'envoie dire qu'elle s'est moquée de moi? Arlequin. - Elle-même en original; je lui ai aussi entendu marmotter entre ses dents que vous étiez un grand fourbe; mais, comme elle ne m'a point commandé de vous le rapporter, je n'en parle qu'en passant. Ergaste. - Moi fourbe? Arlequin. - Oui; mais rien qu'entre les dents; un fourbe tout bas. Ergaste. - Frontin, après la manière dont nous nous sommes quittés tous deux, je t'ai dit que j'espérais y comprends-tu quelque chose? Frontin. - Oui-da, Monsieur; esprit de femme et caprice voilà tout ce que c'est; qui dit l'un, suppose l'autre; les avez-vous jamais vus séparés? Arlequin. - Ils sont unis comme les cinq doigts de la main. Ergaste, à Arlequin. - Mais ne te tromperais-tu pas? Ne me prends-tu point pour un autre? Arlequin. - Oh! que non. N'êtes-vous pas un homme d'hier? Ergaste. - Qu'appelles-tu un homme d'hier? Je ne t'entends point. Frontin. - Il parle de vous comme d'un enfant au maillot. Est-ce que les gens d'hier sont de cette taille-là ? Arlequin. - J'entends que vous êtes ici d'hier. Ergaste. - Oui. Arlequin. - Un officier de la Majesté du Roi. Ergaste. - Sais-tu mon nom? Je l'ai dit à cette dame. Arlequin. - Elle me l'a dit aussi un appelé Ergaste. Ergaste, outré. - C'est cela même! Arlequin. - Eh bien! c'est vous qu'on n'estime pas; vous voyez bien que le paquet est à votre adresse. Frontin. - Ma foi! il n'y a plus qu'à lui en payer le port, Monsieur. Arlequin. - Non, c'est port payé. Ergaste. - Je suis au désespoir! Arlequin. - On s'est un peu diverti de vous en passant, on vous a regardé comme une farce qui n'amuse plus. Adieu. Il fait quelques pas. Ergaste. - Je m'y perds! Arlequin, revenant. - Attendez... Il y a encore un petit reliquat, je ne vous ai donné que la moitié de votre affaire j'ai ordre de vous dire... J'ai oublié mon ordre... La moquerie, un; la farce, deux; il y a un troisième article. Frontin. - S'il ressemble au reste, nous ne perdons rien de curieux. Arlequin, tirant des tablettes. - Pardi! il est tout de son long dans ces tablettes-ci. Ergaste. - Eh! montre donc! Arlequin. - Non pas, s'il vous plaÃt; je ne dois pas vous les montrer cela m'est défendu, parce qu'on s'est repenti d'y avoir écrit, à cause de la bienséance et de votre peu de mérite; et on m'a crié de loin de les supprimer, et de vous expliquer le tout dans la conversation; mais laissez-moi voir ce que j'oublie... A propos, je ne sais pas lire; lisez donc vous-même. Il donne les tablettes à Ergaste. Frontin. - Eh! morbleu, Monsieur, laissez là ces tablettes, et n'y répondez que sur le dos du porteur. Arlequin. - Je n'ai jamais été le pupitre de personne. Ergaste lit. - Je viens de vous apercevoir aux genoux de ma soeur. Ergaste s'interrompant. Moi! Il continue. Vous jouez fort bien la comédie vous me l'avez donnée tantôt, mais je n'en veux plus. Je vous avais permis de m'aborder encore, et je vous le défends, j'oublie même que je vous ai vu. Arlequin. - Tout juste; voilà l'article qui nous manquait plus de fréquentation, c'est l'intention de la tablette. Bonsoir. Ergaste reste comme immobile. Frontin. - J'avoue que voilà le vertigo le mieux conditionné qui soit jamais sorti d'aucun cerveau femelle. Ergaste, recourant à Arlequin. - Arrête, où est-elle? Arlequin. - Je suis sourd. Ergaste. - Attends que j'aie fait, du moins, un mot de réponse; il est aisé de me justifier elle m'accuse d'avoir vu sa soeur, et je ne la connais pas. Arlequin. - Chanson! Ergaste, en lui donnant de l'argent. - Tiens, prends, et arrête. Arlequin. - Grand merci; quand je parle de chanson, c'est que j'en vais chanter une; faites à votre aise, mon cavalier; je n'ai jamais vu de fourbe si honnête homme que vous. Il chante. Ra la ra ra... Ergaste. - Amuse-le, Frontin; je n'ai qu'un pas à faire pour aller au logis, et je vais y écrire un mot. Scène XIII Arlequin, Frontin Arlequin. - Puisqu'il me paie des injures, voyez combien je gagnerais avec lui, si je lui apportais des compliments... Il chante. Ta la la ta ra ra la. Frontin. - Voilà de jolies paroles que tu chantes là . Arlequin. - Je n'en sais point d'autres. Allons, divertis-moi ton maÃtre t'a chargé de cela, fais-moi rire. Frontin. - Veux-tu que je chante aussi? Arlequin. - Je ne suis pas curieux de symphonie. Frontin. - De symphonie! Est-ce que tu prends ma voix pour un orchestre? Arlequin. - C'est qu'en fait de musique, il n'y a que le tambour qui me fasse plaisir. Frontin. - C'est-à -dire que tu es au concert, quand on bat la caisse. Arlequin. - Oh! je suis à l'Opéra. Frontin. - Tu as l'oreille martiale. Avec quoi te divertirai-je donc? Aimes-tu les contes des fées? Arlequin. - Non, je ne me soucie ni de comtes ni de marquis. Frontin. - Parlons donc de boire. Arlequin. - Montre-moi le sujet du discours. Frontin. - Le vin, n'est-ce pas? On l'a mis au frais. Arlequin. - Qu'on l'en retire, j'aime à boire chaud. Frontin. - Cela est malsain; parlons de ta maÃtresse. Arlequin, brusquement. - Expédions la bouteille. Frontin. - Doucement! je n'ai pas le sol, mon garçon. Arlequin. - Ce misérable! Et du crédit? Frontin. - Avec cette mine-là , où veux-tu que j'en trouve? Mets-toi à la place du marchand de vin. Arlequin. - Tu as raison, je te rends justice on ne saurait rien emprunter sur cette grimace-là . Frontin. - Il n'y a pas moyen, elle est trop sincère; mais il y a remède à tout paie, et je te le rendrai. Arlequin. - Tu me le rendras? Mets-toi à ma place aussi, le croirais-tu? Frontin. - Non, tu réponds juste; mais paie en pur don, par galanterie, sois généreux... Arlequin. - Je ne saurais, car je suis vilain je n'ai jamais bu à mes dépens. Frontin. - Morbleu! que ne sommes-nous à Paris, j'aurais crédit. Arlequin. - Eh! que fait-on à Paris? Parlons de cela, faute de mieux est-ce une grande ville? Frontin. - Qu'appelles-tu une ville? Paris, c'est le monde; le reste de la terre n'en est que les faubourgs. Arlequin. - Si je n'aimais pas Lisette, j'irais voir le monde. Frontin. - Lisette, dis-tu? Arlequin. - Oui, c'est ma maÃtresse. Frontin. - Dis donc que ce l'était, car je te l'ai soufflée hier. Arlequin. - Ah! maudit souffleur! Ah! scélérat! Ah! chenapan! Scène XIV Ergaste, Frontin, Arlequin Ergaste. - Tiens, mon ami, cours porter cette lettre à la dame qui t'envoie. Arlequin. - J'aimerais mieux être le postillon du diable, qui vous emporte tous deux, vous et ce coquin, qui est la copie d'un fripon! ce maraud, qui n'a ni argent, ni crédit, ni le mot pour rire! un sorcier qui souffle les filles! un escroc qui veut m'emprunter du vin! un gredin qui dit que je ne suis pas dans le monde, et que mon pays n'est qu'un faubourg! Cet insolent! un faubourg! Va, va, je t'apprendrai à connaÃtre les villes. Arlequin s'en va. Ergaste, à Frontin. - Qu'est-ce que cela signifie? Frontin. - C'est une bagatelle, une affaire de jalousie c'est que nous nous trouvons rivaux, et il en sent la conséquence. Ergaste. - De quoi aussi t'avises-tu de parler de Lisette? Frontin. - Mais, Monsieur, vous avez vu des amants devineriez-vous que cet homme-là en est un? Dites en conscience. Ergaste. - Va donc toi-même chercher cette dame-là , et lui remets mon billet le plus tôt que tu pourras. Frontin. - Soyez tranquille, je vous rendrai bon compte de tout ceci par le moyen de Lisette. Ergaste. - Hâte-toi, car je souffre. Frontin part. Scène XV Ergaste, seul. Vit-on jamais rien de plus étonnant que ce qui m'arrive? Il faut absolument qu'elle se soit méprise. Scène XVI Lisette, Ergaste Lisette. - N'avez-vous pas vu la soeur de Madame, Monsieur? Ergaste. - Eh non, Lisette, de qui me parles-tu? Je n'ai vu que ta maÃtresse, je ne me suis entretenu qu'avec elle; sa soeur m'est totalement inconnue, et je n'entends rien à ce qu'on me dit là . Lisette. - Pourquoi vous fâcher? Je ne vous dis pas que vous lui ayez parlé, je vous demande si vous ne l'avez pas aperçue? Ergaste. - Eh! non, te dis-je, non, encore une fois, non je n'ai vu de femme que ta maÃtresse, et quiconque lui a rapporté autre chose a fait une imposture, et si elle croit avoir vu le contraire, elle s'est trompée. Lisette. - Ma foi, Monsieur, si vous n'entendez rien à ce que je vous dis, je ne vois pas plus clair dans ce que vous me dites. Vous voilà dans un mouvement épouvantable à cause de la question du monde la plus simple que je vous fais. A qui en avez-vous? Est-ce distraction, méchante humeur, ou fantaisie? Ergaste. - D'où vient qu'on me parle de cette soeur? D'où vient qu'on m'accuse de m'être entretenu avec elle? Lisette. - Eh! qui est-ce qui vous en accuse? Où avez-vous pris qu'il s'agisse de cela? En ai-je ouvert la bouche? Ergaste. - Frontin est allé porter un billet à ta maÃtresse, où je lui jure que je ne sais ce que c'est. Lisette. - Le billet était fort inutile; et je ne vous parle ici de cette soeur que parce que nous l'avons vue se promener ici près. Ergaste. - Qu'elle s'y promène ou non, ce n'est pas ma faute, Lisette, et si quelqu'un s'est jeté à ses genoux, je te garantis que ce n'est pas moi. Lisette. - Oh! Monsieur, vous me fâchez aussi, et vous ne me ferez pas accroire qu'il me soit rien échappé sur cet article-là ; il faut écouter ce qu'on vous dit, et répondre raisonnablement aux gens, et non pas aux visions que vous avez dans la tête. Dites-moi seulement si vous n'avez pas vu la soeur de Madame, et puis c'est tout. Ergaste. - Non, Lisette, non, tu me désespères! Lisette. - Oh! ma foi, vous êtes sujet à des vapeurs, ou bien auriez-vous, par hasard, de l'antipathie pour le mot de soeur? Ergaste. - Fort bien. Lisette. - Fort mal. Ecoutez-moi, si vous le pouvez. Ma maÃtresse a un mot à vous dire sur le comte de Belfort; elle n'osait revenir à cause de cette soeur dont je vous parle, et qu'elle a aperçue se promener dans ces cantons-ci; or, vous m'assurez ne l'avoir point vue. Ergaste. - J'en ferai tous les serments imaginables. Lisette. - Oh! je vous crois. A part. Le plaisant écart! Quoi qu'il en soit, ma maÃtresse va revenir, attendez-la. Ergaste. - Elle va revenir, dis-tu? Lisette. - Oui, Clarice elle-même, et j'arrive exprès pour vous en avertir. A part, en s'en allant. C'est là qu'il en tient, quel dommage! Scène XVII Ergaste, seul. Puisque Clarice revient, apparemment qu'elle s'est désabusée, et qu'elle a reconnu son erreur. Scène XVIII Frontin, Ergaste Ergaste. - Eh bien! Frontin, on n'est plus fâchée; et le billet a été bien reçu, n'est-ce pas? Frontin, triste. - Qui est-ce qui vous fournit vos nouvelles, Monsieur? Ergaste. - Pourquoi? Frontin. - C'est que moi, qui sors de la mêlée, je vous en apporte d'un peu différentes. Ergaste. - Qu'est-il donc arrivé? Frontin. - Tirez sur ma figure l'horoscope de notre fortune. Ergaste. - Et mon billet? Frontin. - Hélas! c'est le plus maltraité. Ne voyez-vous pas bien que j'en porte le deuil d'avance? Ergaste. - Qu'est-ce que c'est que d'avance? Où est-il? Frontin. - Dans ma poche, en fort mauvais état. Il le tire. Tenez, jugez vous-même s'il peut en revenir. Ergaste. - Il est déchiré! Frontin. - Oh! cruellement! Et bien m'en a pris d'être d'une étoffe d'un peu plus de résistance que lui, car je ne reviendrais pas en meilleur ordre. Je ne dis rien des ignominies qui ont accompagné notre disgrâce, et dont j'ai risqué de vous rapporter un certificat sur ma joue. Ergaste. - Lisette, qui sort d'ici, m'a donc joué? Frontin. - Eh! que vous a-t-elle dit, cette double soubrette? Ergaste. - Que j'attendisse sa maÃtresse ici, qu'elle allait y venir pour me parler, et qu'elle ne songeait à rien. Frontin. - Ce que vous me dites là ne vaut pas le diable, ne vous fiez point à ce calme-là , vous en serez la dupe, Monsieur; nous revenons houspillés, votre billet et moi allez-vous-en, sauvez le corps de réserve. Ergaste. - Dis-moi donc ce qui s'est passé! Frontin. - En voici la courte et lamentable histoire. J'ai trouvé l'inhumaine à trente ou quarante pas d'ici; je vole à elle, et je l'aborde en courrier suppliant C'est de la part du marquis Ergaste, lui dis-je d'un ton de voix qui demandait la paix. Qu'est-ce, mon ami? Qui êtes-vous? Eh! que voulez-vous? Qu'est-ce que c'est que cet Ergaste? Allez, vous vous méprenez, retirez-vous, je ne connais point cela. Madame, que votre beauté ait pour agréable de m'entendre; je parle pour un homme à demi mort, et peut-être actuellement défunt, qu'un petit nègre est venu de votre part assassiner dans des tablettes et voici les mourantes lignes que vous adresse dans ce papier son douloureux amour. Je pleurais moi-même en lui tenant ces propos lugubres, on eût dit que vous étiez enterré, et que c'était votre testament que j'apportais. Ergaste. - Achève. Que t'a-t-elle répondu? Frontin, lui montrant le billet. - Sa réponse? la voilà mot pour mot; il ne faut pas grande mémoire pour en retenir les paroles. Ergaste. - L'ingrate! Frontin. - Quand j'ai vu cette action barbare, et le papier couché sur la poussière, je l'ai ramassé; ensuite, redoublant de zèle, j'ai pensé que mon esprit devait suppléer au vôtre, et vous n'avez rien perdu au change. On n'écrit pas mieux que j'ai parlé, et j'espérais déjà beaucoup de ma pièce d'éloquence, quand le vent d'un revers de main, qui m'a frisé la moustache, a forcé le harangueur d'arrêter aux deux tiers de sa harangue. Ergaste. - Non, je ne reviens point de l'étonnement où tout cela me jette, et je ne conçois rien aux motifs d'une aussi sanglante raillerie. Frontin, se frottant les yeux. - Monsieur, je la vois; la voilà qui arrive, et je me sauve; c'est peut-être le soufflet qui a manqué tantôt, qu'elle vient essayer de faire réussir. Il s'écarte sans sortir. Scène XIX Ergaste, Clarice, Lisette, Frontin Clarice, démasquée en l'abordant, et puis remettant son masque. - Je prends l'instant où ma soeur, qui se promène là -bas, est un peu éloignée, pour vous dire un mot, Monsieur. Vous devez, dites-vous, accompagner ce soir, au logis, le comte de Belfort silence, s'il vous plaÃt, sur nos entretiens dans ce lieu-ci; vous sentez bien qu'il faut que ma soeur et lui les ignorent. Adieu. Ergaste. - Quel étrange procédé que le vôtre, Madame! Vous reste-t-il encore quelque nouvelle injure à faire à ma tendresse? Clarice. - Qu'est-ce que cela signifie, Monsieur? Vous m'étonnez! Lisette. - Ne vous l'ai-je pas dit? c'est que vous lui parlez de votre soeur il ne saurait entendre prononcer ce mot-là sans en être furieux; je n'en ai pas tiré plus de raison tantôt. Frontin. - La bonne âme! Vous verrez que nous aurons encore tort. N'approchez pas, Monsieur, plaidez de loin; Madame a la main légère, elle me doit un soufflet, vous dis-je, et elle vous le paierait peut-être. En tout cas, je vous le donne. Clarice. - Un soufflet! Que veut-il dire? Lisette. - Ma foi, Madame, je n'en sais rien; il y a des fous qu'on appelle visionnaires, n'en serait-ce pas là ? Clarice. - Expliquez donc cette énigme, Monsieur; quelle injure vous a-t-on faite? De quoi se plaint-il? Ergaste. - Eh! Madame, qu'appelez-vous énigme? A quoi puis-je attribuer cette contradiction dans vos manières, qu'au dessein formel de vous moquer de moi? Où ai-je vu cette soeur, à qui vous voulez que j'aie parlé ici? Lisette. - Toujours cette soeur! ce mot-là lui tourne la tête. Frontin. - Et ces agréables tablettes où nos soupirs sont traités de farce, et qui sont chargées d'un congé à notre adresse. Clarice, à Lisette. - Lisette, sais-tu ce que c'est? Lisette, comme à part. - Bon! ne voyez-vous pas bien que le mal est au timbre? Ergaste. - Comment avez-vous reçu mon billet, Madame? Frontin, le montrant. - Dans l'état où vous l'avez mis, je vous demande à présent ce qu'on en peut faire. Ergaste. - Porter le mépris jusqu'à refuser de le lire! Frontin. - Violer le droit des gens en ma personne, attaquer la joue d'un orateur, la forcer d'esquiver une impolitesse! Où en serait-elle, si elle avait été maladroite? Ergaste. - Méritais-je que ce papier fût déchiré? Frontin. - Ce soufflet était-il à sa place? Lisette. - Madame, sommes-nous en sûreté avec eux? Ils ont les yeux bien égarés. Clarice. - Ergaste, je ne vous crois pas un insensé; mais tout ce que vous me dites là ne peut être que l'effet d'un rêve ou de quelque erreur dont je ne sais pas la cause. Voyons. Lisette. - Je vous avertis qu'Hortense approche, Madame. Clarice. - Je ne m'écarte que pour un moment, Ergaste, car je veux éclaircir cette aventure-là . Elles s'en vont. Scène XX Ergaste, Frontin Ergaste. - Mais en effet, Frontin, te serais-tu trompé? N'aurais-tu pas porté mon billet à une autre? Frontin. - Bon! oubliez-vous les tablettes? Sont-elles tombées des nues? Ergaste. - Cela est vrai. Scène XXI Hortense, Ergaste, Frontin Hortense, masquée, qu'Ergaste prend pour Clarice à qui il vient de parler. - Vous venez de m'envoyer un billet, Monsieur, qui me fait craindre que vous ne tentiez de me parler, ou qu'il ne m'arrive encore quelque nouveau message de votre part, et je viens vous prier moi-même qu'il ne soit plus question de rien; que vous ne vous ressouveniez pas de m'avoir vue, et surtout que vous le cachiez à ma soeur, comme je vous promets de le lui cacher à mon tour; c'est tout ce que j'avais à vous dire, et je passe. Ergaste, étonné. - Entends-tu, Frontin? Frontin. - Mais où diable est donc cette soeur? Scène XXII et dernière Hortense, Clarice, Lisette, Ergaste, Frontin, Arlequin Clarice, à Ergaste et à Hortense. - Quoi! ensemble! vous vous connaissez donc? Frontin, voyant Clarice. - Monsieur, voilà une friponne, sur ma parole. Hortense, à Ergaste. - Etes-vous confondu? Ergaste. - Si je la connais, Madame, je veux que la foudre m'écrase! Lisette. - Ah! le petit traÃtre! Clarice. - Vous ne me connaissez point? Ergaste. - Non, Madame, je ne vous vis jamais, j'en suis sûr, et je vous crois même une personne apostée pour vous divertir à mes dépens, ou pour me nuire. Et se tournant du côté d'Hortense. Et je vous jure, Madame, par tout ce que j'ai d'honneur... Hortense, se démasquant. - Ne jurez pas, ce n'est pas la peine, je ne me soucie ni de vous ni de vos serments. Ergaste, qui la regarde. - Que vois-je? Je ne vous connais point non plus. Frontin. - C'est pourtant le même habit à qui j'ai parlé, mais ce n'est pas la même tête. Clarice, en se démasquant. - Retournons-nous-en, ma soeur, et soyons discrètes. Ergaste, se jetant aux genoux de Clarice. - Ah! Madame, je vous reconnais, c'est vous que j'adore. Clarice. - Sur ce pied-là , tout est éclairci. Lisette. - Oui, je suis au fait. A Hortense. Monsieur vous a sans doute abordée, Madame; vos habits se ressemblent, et il vous aura pris pour Madame, à qui il parla hier. Ergaste. - C'est cela même, c'est l'habit qui m'a jeté dans l'erreur. Frontin. - Ah! nous en tirerons pourtant quelque chose. A Hortense. Le soufflet et les tablettes sont sans doute sur votre compte, Madame. Hortense. - Il ne s'agit plus de cela, c'est un détail inutile. Ergaste, à Hortense. - Je vous demande mille pardons de ma méprise, Madame; je ne suis pas capable de changer, mais personne ne rendrait l'infidélité plus pardonnable que vous. Hortense. - Point de compliments, Monsieur le Marquis reconduisez-nous au logis, sans attendre que le comte de Belfort s'en mêle. Lisette, à Ergaste. - L'aventure a bien fait de finir, j'allais vous croire échappés des Petites-Maisons. Frontin. - Va, va, puisque je t'aime, je ne me vante pas d'être trop sage. Arlequin, à Lisette. - Et toi, l'aimes-tu? Comment va le coeur? Lisette. - Demande-lui-en des nouvelles, c'est lui qui me le garde. Le Petit-MaÃtre corrigé Acteurs Comédie en trois actes, en prose, représentée pour la première fois le 6 novembre 1734 par les comédiens Français Acteurs Le Comte, père d'Hortense. La Marquise. Hortense, fille du Comte. Rosimond, fils de la Marquise. Dorimène. Dorante, ami de Rosimond. Marton, suivante d'Hortense. Frontin, valet de Rosimond. La scène est à la campagne dans la maison du comte. Acte premier Scène première Hortense, Marton Marton. - Eh bien, Madame, quand sortirez-vous de la rêverie où vous êtes? Vous m'avez appelé, me voilà , et vous ne me dites mot. Hortense. - J'ai l'esprit inquiet. Marton. - De quoi s'agit-il donc? Hortense. - N'ai-je pas de quoi rêver? on va me marier, Marton. Marton. - Eh vraiment, je le sais bien, on n'attend plus que votre oncle pour terminer ce mariage; d'ailleurs, Rosimond, votre futur, n'est arrivé que d'hier, et il faut vous donner patience. Hortense. - Patience, est-ce que tu me crois pressée? Marton. - Pourquoi non? on l'est ordinairement à votre place; le mariage est une nouveauté curieuse, et la curiosité n'aime pas à attendre. Hortense. - Je différerai tant qu'on voudra. Marton. - Ah! heureusement qu'on veut expédier! Hortense. - Eh! laisse-là tes idées. Marton. - Est-ce que Rosimond n'est pas de votre goût? Hortense. - C'est de lui dont je veux te parler. Marton, tu es fille d'esprit, comment le trouves-tu? Marton. - Mais il est d'une jolie figure. Hortense. - Cela est vrai. Marton. - Sa physionomie est aimable. Hortense. - Tu as raison. Marton. - Il me paraÃt avoir de l'esprit. Hortense. - Je lui en crois beaucoup. Marton. - Dans le fond, même, on lui sent un caractère d'honnête homme. Hortense. - Je le pense comme toi. Marton. - Et, à vue de pays, tout son défaut, c'est d'être ridicule. Hortense. - Et c'est ce qui me désespère, car cela gâte tout. Je lui trouve de si sottes façons avec moi, on dirait qu'il dédaigne de me plaire, et qu'il croit qu'il ne serait pas du bon air de se soucier de moi parce qu'il m'épouse... Marton. - Ah! Madame, vous en parlez bien à votre aise. Hortense. - Que veux-tu dire? Est-ce que la raison même n'exige pas un autre procédé que le sien? Marton. - Eh oui, la raison mais c'est que parmi les jeunes gens du bel air, il n'y a rien de si bourgeois que d'être raisonnable. Hortense. - Peut-être, aussi, ne suis-je pas de son goût. Marton. - Je ne suis pas de ce sentiment-là , ni vous non plus; non, tel que vous le voyez il vous aime; ne l'ai-je pas fait rougir hier, moi, parce que je le surpris comme il vous regardait à la dérobée attentivement? voilà déjà deux ou trois fois que je le prends sur le fait. Hortense. - Je voudrais être bien sûre de ce que tu me dis là . Marton. - Oh! je m'y connais cet homme-là vous aime, vous dis-je, et il n'a garde de s'en vanter, parce que vous n'allez être que sa femme; mais je soutiens qu'il étouffe ce qu'il sent, et que son air de petit-maÃtre n'est qu'une gasconnade avec vous. Hortense. - Eh bien, je t'avouerai que cette pensée m'est venue comme à toi. Marton. - Eh! par hasard, n'auriez-vous pas eu la pensée que vous l'aimez aussi? Hortense. - Moi, Marton? Marton. - Oui, c'est qu'elle m'est encore venue, voyez. Hortense. - Franchement c'est grand dommage que ses façons nuisent au mérite qu'il aurait. Marton. - Si on pouvait le corriger? Hortense. - Et c'est à quoi je voudrais tâcher; car, s'il m'aime, il faudra bien qu'il me le dise bien franchement, et qu'il se défasse d'une extravagance dont je pourrais être la victime quand nous serons mariés, sans quoi je ne l'épouserai point; commençons par nous assurer qu'il n'aime point ailleurs, et que je lui plais; car s'il m'aime, j'aurai beau jeu contre lui, et je le tiens pour à moitié corrigé; la peur de me perdre fera le reste. Je t'ouvre mon coeur, il me sera cher s'il devient raisonnable; je n'ai pas trop le temps de réussir, mais il en arrivera ce qui pourra; essayons, j'ai besoin de toi, tu es adroite, interroge son valet, qui me paraÃt assez familier avec son maÃtre. Marton. - C'est à quoi je songeais mais il y a une petite difficulté à cette commission-là ; c'est que le maÃtre a gâté le valet, et Frontin est le singe de Rosimond; ce faquin croit apparemment m'épouser aussi, et se donne, à cause de cela, les airs d'en agir cavalièrement, et de soupirer tout bas; car de son côté il m'aime. Hortense. - Mais il te parle quelquefois? Marton. - Oui, comme à une soubrette de campagne mais n'importe, le voici qui vient à nous, laissez-nous ensemble, je travaillerai à le faire causer. Hortense. - Surtout conduis-toi si adroitement, qu'il ne puisse soupçonner nos intentions. Marton. - Ne craignez rien, ce sera tout en causant que je m'y prendrai; il m'instruira sans qu'il le sache. Scène II Hortense, Marton, Frontin Hortense s'en va, Frontin l'arrête. Frontin. - Mon maÃtre m'envoie savoir comment vous vous portez, Madame, et s'il peut ce matin avoir l'honneur de vous voir bientôt? Marton. - Qu'est-ce que c'est que bientôt? Frontin. - Comme qui dirait dans une heure; il n'est pas habillé. Hortense. - Tu lui diras que je n'en sais rien. Frontin. - Que vous n'en savez rien, Madame? Marton. - Non, Madame a raison, qui est-ce qui sait ce qui peut arriver dans l'intervalle d'une heure? Frontin. - Mais, Madame, j'ai peur qu'il ne comprenne rien à ce discours. Hortense. - Il est pourtant très clair; je te dis que je n'en sais rien. Scène III Marton, Frontin Frontin. - Ma belle enfant, expliquez-moi la réponse de votre maÃtresse, elle est d'un goût nouveau. Marton. - Toute simple. Frontin. - Elle est même fantasque. Marton. - Toute unie. Frontin. - Mais à propos de fantaisie, savez-vous bien que votre minois en est une, et des plus piquantes? Marton. - Oh, il est très commun, aussi bien que la réponse de ma maÃtresse. Frontin. - Point du tout, point du tout. Avez-vous des amants? Marton. - Eh!... on a toujours quelque petite fleurette en passant. Frontin. - Elle est d'une ingénuité charmante; écoutez, nos maÃtres vont se marier; vous allez venir à Paris, je suis d'avis de vous épouser aussi; qu'en dites-vous? Marton. - Je ne suis pas assez aimable pour vous. Frontin. - Pas mal, pas mal, je suis assez content. Marton. - Je crains le nombre de vos maÃtresses, car je vais gager que vous en avez autant que votre maÃtre qui doit en avoir beaucoup; nous avons entendu dire que c'était un homme fort couru, et vous aussi sans doute? Frontin. - Oh! très courus; c'est à qui nous attrapera tous deux, il a pensé même m'en venir quelqu'une des siennes. Les conditions se confondent un peu à Paris, on n'y est pas scrupuleux sur les rangs. Marton. - Et votre maÃtre et vous, continuerez-vous d'avoir des maÃtresses quand vous serez nos maris? Frontin. - Tenez, il est bon de vous mettre là -dessus au fait. Ecoutez, il n'en est pas de Paris comme de la province, les coutumes y sont différentes. Marton. - Ah! différentes? Frontin. - Oui, en province, par exemple, un mari promet fidélité à sa femme, n'est-ce pas? Marton. - Sans doute. Frontin. - A Paris c'est de même; mais la fidélité de Paris n'est point sauvage, c'est une fidélité galante, badine, qui entend raillerie, et qui se permet toutes les petites commodités du savoir-vivre; vous comprenez bien? Marton. - Oh! de reste. Frontin. - Je trouve sur mon chemin une personne aimable; je suis poli, elle me goûte; je lui dis des douceurs, elle m'en rend; je folâtre, elle le veut bien, pratique de politesse, commodité de savoir-vivre, pure amourette que tout cela dans le mari; la fidélité conjugale n'y est point offensée; celle de province n'est pas de même, elle est sotte, revêche et tout d'une pièce, n'est-il pas vrai? Marton. - Oh! oui, mais ma maÃtresse fixera peut-être votre maÃtre, car il me semble qu'il l'aimera assez volontiers, si je ne me trompe. Frontin. - Vous avez raison, je lui trouve effectivement comme une vapeur d'amour pour elle. Marton. - Croyez-vous? Frontin. - Il y a dans son coeur un étonnement qui pourrait devenir très sérieux; au surplus, ne vous inquiétez pas, dans les amourettes on n'aime qu'en passant, par curiosité de goût, pour voir un peu comment cela fera; de ces inclinations-là , on en peut fort bien avoir une demi-douzaine sans que le coeur en soit plus chargé, tant elles sont légères. Marton. - Une demi-douzaine! cela est pourtant fort, et pas une sérieuse... Frontin. - Bon, quelquefois tout cela est expédié dans la semaine; à Paris, ma chère enfant, les coeurs, on ne se les donne pas, on se les prête, on ne fait que des essais. Marton. - Quoi, là -bas, votre maÃtre et vous, vous n'avez encore donné votre coeur à personne? Frontin. - A qui que ce soit; on nous aime beaucoup, mais nous n'aimons point c'est notre usage. Marton. - J'ai peur que ma maÃtresse ne prenne cette coutume-là de travers. Frontin. - Oh! que non, les agréments l'y accoutumeront; les amourettes en passant sont amusantes; mon maÃtre passera, votre maÃtresse de même, je passerai, vous passerez, nous passerons tous. Marton, en riant. - Ah! ah! ah! j'entre si bien dans ce que vous dites, que mon coeur a déjà passé avec vous. Frontin. - Comment donc? Marton. - Doucement, voilà la Marquise, la mère de Rosimond qui vient. Scène IV La Marquise, Frontin, Marton La Marquise. - Je suis charmée de vous trouver là , Marton, je vous cherchais; que disiez-vous à Frontin? Parliez-vous de mon fils? Marton. - Oui, Madame. La Marquise. - Eh bien, que pense de lui Hortense? Ne lui déplaÃt-il point? Je voulais vous demander ses sentiments, dites-les-moi, vous les savez sans doute, et vous me les apprendrez plus librement qu'elle; sa politesse me les cacherait, peut-être, s'ils n'étaient pas favorables. Marton. - C'est à peu près de quoi nous nous entretenions, Frontin et moi, Madame; nous disions que Monsieur votre fils est très aimable, et ma maÃtresse le voit tel qu'il est; mais je demandais s'il l'aimerait. La Marquise. - Quand on est faite comme Hortense, je crois que cela n'est pas douteux, et ce n'est pas de lui dont je m'embarrasse. Frontin. - C'est ce que je répondais. Marton. - Oui, vous m'avez parlé d'une vapeur de tendresse, qu'il lui a pris pour elle; mais une vapeur se dissipe. La Marquise. - Que veut dire une vapeur? Marton. - Frontin vient de me l'expliquer, Madame; c'est comme un étonnement de coeur, et un étonnement ne dure pas; sans compter que les commodités de la fidélité conjugale sont un grand article. La Marquise. - Qu'est-ce que c'est donc que ce langage-là , Marton? Je veux savoir ce que cela signifie. D'après qui répétez-vous tant d'extravagances? car vous n'êtes pas folle, et vous ne les imaginez pas sur-le-champ. Marton. - Non, Madame, il n'y a qu'un moment que je sais ce que je vous dis là , c'est une instruction que vient de me donner Frontin sur le coeur de son maÃtre, et sur l'agréable économie des mariages de Paris. La Marquise. - Cet impertinent? Frontin. - Ma foi, Madame, si j'ai tort, c'est la faute du beau monde que j'ai copié; j'ai rapporté la mode, je lui ai donné l'état des choses et le plan de la vie ordinaire. La Marquise. - Vous êtes un sot, taisez-vous; vous pensez bien, Marton, que mon fils n'a nulle part à de pareilles extravagances; il a de l'esprit, il a des moeurs, il aimera Hortense, et connaÃtra ce qu'elle vaut; pour toi, je te recommanderai à ton maÃtre, et lui dirai qu'il te corrige. Elle s'en va. Scène V Marton, Frontin Marton, éclatant de rire. - Ah! ah! ah! ah! Frontin. - Ah! ah! ah! ah! Marton. - Ah! Mon ingénuité te charme-t-elle encore? Frontin. - Non, mon admiration s'était méprise; c'est ta malice qui est admirable. Marton. - Ah! ah! pas mal, pas mal. Frontin, lui présente la main. - Allons, touche-là , Marton. Marton. - Pourquoi donc? ce n'est pas la peine. Frontin. - Touche-là , te dis-je, c'est de bon coeur. Marton, lui donnant la main. - Eh bien, que veux-tu dire? Frontin. - Marton, ma foi tu as raison, j'ai fait l'impertinent tout à l'heure. Marton. - Le vrai faquin! Frontin. - Le sot, le fat. Marton. - Oh, mais tu tombes à présent dans un excès de raison, tu vas me réduire à te louer. Frontin. - J'en veux à ton coeur, et non pas à tes éloges. Marton. - Tu es encore trop convalescent, j'ai peur des rechutes. Frontin. - Il faut pourtant que tu m'aimes. Marton. - Doucement, vous redevenez fat. Frontin. - Paix, voici mon original qui arrive. Scène VI Rosimond, Frontin, Marton Rosimond, à Frontin. - Ah, tu es ici toi, et avec Marton? je ne te plains pas Que te disait-il, Marton? Il te parlait d'amour, je gage; hé! n'est-ce pas? Souvent ces coquins-là sont plus heureux que d'honnêtes gens. Je n'ai rien vu de si joli que vous, Marton; il n'y a point de femme à la cour qui ne s'accommodât de cette figure-là . Frontin. - Je m'en accommoderais encore mieux qu'elle. Rosimond. - Dis-moi, Marton, que fait-on dans ce pays-ci? Y a-t-il du jeu? de la chasse? des amours? Ah, le sot pays, ce me semble. A propos, ce bon homme qu'on attend de sa terre pour finir notre mariage, cet oncle arrive-t-il bientôt? Que ne se passe-t-on de lui? Ne peut-on se marier sans que ce parent assiste à la cérémonie? Marton. - Que voulez-vous? Ces messieurs-là , sous prétexte qu'on est leur nièce et leur héritière, s'imaginent qu'on doit faire quelque attention à eux. Mais je ne songe pas que ma maÃtresse m'attend. Rosimond. - Tu t'en vas, Marton? Tu es bien pressée. A propos de ta maÃtresse, tu ne m'en parles pas; j'avais dit à Frontin de demander si on pouvait la voir. Frontin. - Je l'ai vue aussi, Monsieur, Marton était présente, et j'allais vous rendre réponse. Marton. - Et moi je vais la rejoindre. Rosimond. - Attends, Marton, j'aime à te voir; tu es la fille du monde la plus amusante. Marton. - Je vous trouve très curieux à voir aussi, Monsieur, mais je n'ai pas le temps de rester. Rosimond. - Très curieux! Comment donc! mais elle a des expressions ta maÃtresse a-t-elle autant d'esprit que toi, Marton? De quelle humeur est-elle? Marton. - Oh! d'une humeur peu piquante, assez insipide, elle n'est que raisonnable. Rosimond. - Insipide et raisonnable, il est parbleu plaisant tu n'es pas faite pour la province. Quand la verrai-je, Frontin? Frontin. - Monsieur, comme je demandais si vous pouviez la voir dans une heure, elle m'a dit qu'elle n'en savait rien. Rosimond. - Le butor! Frontin. - Point du tout, je vous rends fidèlement la réponse. Rosimond. - Tu rêves! il n'y a pas de sens à cela. Marton, tu y étais, il ne sait ce qu'il dit qu'a-t-elle répondu? Marton. - Précisément ce qu'il vous rapporte, Monsieur, qu'elle n'en savait rien. Rosimond. - Ma foi, ni moi non plus. Marton. - Je n'en suis pas mieux instruite que vous. Adieu, Monsieur. Rosimond. - Un moment, Marton, j'avais quelque chose à te dire et je m'en ressouviendrai; Frontin, m'est-il venu des lettres? Frontin. - A propos de lettres, oui, Monsieur, en voilà une qui est arrivée de quatre lieues d'ici par un exprès. Rosimond ouvre, et rit à part en lisant. - Donne... Ha, ha, ha... C'est de ma folle de comtesse... Hum... Hum... Marton. - Monsieur, ne vous trompez-vous pas? Auriez-vous quelque chose à me dire? Voyez, car il faut que je m'en aille. Rosimond, toujours lisant. - Hum!... hum!... Je suis à toi, Marton, laisse-moi achever. Marton, à part à Frontin. - C'est apparemment là une lettre de commerce. Frontin. - Oui, quelque missive de passage. Rosimond, après avoir lu. - Vous êtes une étourdie, comtesse. Que dites-vous là , vous autres? Marton. - Nous disons, Monsieur, que c'est quelque jolie femme qui vous écrit par amourette. Rosimond. - Doucement, Marton, il ne faut pas dire cela en ce pays-ci, tout serait perdu. Marton. - Adieu, Monsieur, je crois que ma maÃtresse m'appelle. Rosimond. - Ah! c'est d'elle dont je voulais te parler. Marton. - Oui, mais la mémoire vous revient quand je pars. Tout ce que je puis pour votre service, c'est de régaler Hortense de l'honneur que vous lui faites de vous ressouvenir d'elle. Rosimond. - Adieu donc, Marton. Elle a de la gaieté, du badinage dans l'esprit. Scène VII Rosimond, Frontin Frontin. - Oh, que non, Monsieur, malpeste vous ne la connaissez pas; c'est qu'elle se moque. Rosimond. - De qui? Frontin. - De qui? Mais ce n'est pas à moi qu'elle parlait. Rosimond. - Hem? Frontin. - Monsieur, je ne dis pas que je l'approuve; elle a tort; mais c'est une maligne soubrette; elle m'a décoché un trait aussi bien entendu. Rosimond. - Eh, dis-moi, ne t'a-t-on pas déjà interrogé sur mon compte? Frontin. - Oui, Monsieur; Marton, dans la conversation, m'a par hasard fait quelques questions sur votre chapitre. Rosimond. - Je les avais prévues Eh bien, ces questions de hasard, quelles sont-elles? Frontin. - Elle m'a demandé si vous aviez des maÃtresses. Et moi qui ai voulu faire votre cour... Rosimond. - Ma cour à moi! ma cour! Frontin. - Oui, Monsieur, et j'ai dit que non, que vous étiez un garçon sage, réglé. Rosimond. - Le sot avec sa règle et sa sagesse; le plaisant éloge! vous ne peignez pas en beau, à ce que je vois? Heureusement qu'on ne me connaÃtra pas à vos portraits. Frontin. - Consolez-vous, je vous ai peint à votre goût, c'est-à -dire, en laid. Rosimond. - Comment! Frontin. - Oui, en petit aimable; j'ai mis une troupe de folles qui courent après vos bonnes grâces; je vous en ai donné une demi-douzaine qui partageaient votre coeur. Rosimond. - Fort bien. Frontin. - Combien en voulez-vous donc? Rosimond. - Qui partageaient mon coeur! Mon coeur avait bien à faire là passe pour dire qu'on me trouve aimable, ce n'est pas ma faute; mais me donner de l'amour, à moi! c'est un article qu'il fallait épargner à la petite personne qu'on me destine; la demi-douzaine de maÃtresses est même un peu trop; on pouvait en supprimer quelques-unes; il y a des occasions où il ne faut pas dire la vérité. Frontin. - Bon! si je n'avais dit que la vérité, il aurait peut-être fallu les supprimer toutes. Rosimond. - Non, vous ne vous trompiez point, ce n'est pas de quoi je me plains; mais c'est que ce n'est pas par hasard qu'on vous a fait ces questions-là . C'est Hortense qui vous les a fait faire, et il aurait été plus prudent de la tranquilliser sur pareille matière, et de songer que c'est une fille de province que je vais épouser, et qui en conclut que je ne dois aimer qu'elle, parce qu'apparemment elle en use de même. Frontin. - Eh! peut-être qu'elle ne vous aime pas. Rosimond. - Oh peut-être? il fallait le soupçonner, c'était le plus sûr; mais passons est-ce là tout ce qu'elle vous a dit? Frontin. - Elle m'a encore demandé si vous aimiez Hortense. Rosimond. - C'est bien des affaires. Frontin. - Et j'ai cru poliment devoir répondre qu'oui. Rosimond. - Poliment répondre qu'oui? Frontin. - Oui, Monsieur. Rosimond. - Eh! de quoi te mêles-tu? De quoi t'avises-tu de m'honorer d'une figure de soupirant? Quelle platitude! Frontin. - Eh parbleu! c'est qu'il m'a semblé que vous l'aimiez. Rosimond. - Paix, de la discrétion! Il est vrai, entre nous, que je lui trouve quelques grâces naïves; elle a des traits; elle ne déplaÃt pas. Frontin. - Ah! que vous aurez grand besoin d'une leçon de Marton! Mais ne parlons pas si haut, je vois Hortense qui s'avance. Rosimond. - Vient-elle? Je me retire. Frontin. - Ah! Monsieur, je crois qu'elle vous voit. Rosimond. - N'importe; comme elle a dit qu'elle ne savait pas quand elle pourrait me voir, ce n'est pas à moi à juger qu'elle le peut à présent, et je me retire par respect en attendant qu'elle en décide. C'est ce que tu lui diras si elle te parle. Frontin. - Ma foi, Monsieur, si vous me consultez, ce respect-là ne vaut pas le diable. Rosimond, en s'en allant. - Ce qu'il y a de commode à vos conseils, c'est qu'il est permis de s'en moquer. Scène VIII Hortense, Marton, Frontin Hortense. - Il me semble avoir vu ton maÃtre ici? Frontin. - Oui, Madame, il vient de sortir par respect pour vos volontés. Hortense. - Comment!... Marton. - C'est sans doute à cause de votre réponse de tantôt; vous ne saviez pas quand vous pourriez le voir. Frontin. - Et il ne veut pas prendre sur lui de décider la chose. Hortense. - Eh bien, je la décide, moi, va lui dire que je le prie de revenir, que j'ai à lui parler. Frontin. - J'y cours, Madame, et je lui ferai grand plaisir, car il vous aime de tout son coeur. Il ne vous en dira peut-être rien, à cause de sa dignité de joli homme. Il y a des règles là -dessus; c'est une faiblesse excusez-la, Madame, je sais son secret, je vous le confie pour son bien; et dès qu'il vous l'aura dit lui-même, oh! ce sera bien le plus aimable homme du monde. Pardon, Madame, de la liberté que je prends; mais Marton, avec qui je voudrais bien faire une fin, sera aussi mon excuse. Marton, prends nos intérêts en main; empêche Madame de nos haïr, car, dans le fond, ce serait dommage, à une bagatelle près, en vérité nous méritons son estime. Hortense, en riant. - Frontin aime son maÃtre, et cela est louable. Marton. - C'est de moi qu'il tient tout le bon sens qu'il vous montre. Scène IX Hortense, Marton Hortense. - Il t'a donc paru que ma réponse a piqué Rosimond? Marton. - Je l'en ai vu déconcerté, quoiqu'il ait feint d'en badiner, et vous voyez bien que c'est de pur dépit qu'il se retire. Hortense. - Je le renvoie chercher, et cette démarche-là le flattera peut-être; mais elle ne le flattera pas longtemps. Ce que j'ai à lui dire rabattra de sa présomption. Cependant, Marton, il y a des moments où je suis toute prête de laisser là Rosimond avec ses ridiculités, et d'abandonner le projet de le corriger. Je sens que je m'y intéresse trop; que le coeur s'en mêle, et y prend trop de part je ne le corrigerai peut-être pas, et j'ai peur d'en être fâchée. Marton. - Eh! courage, Madame, vous réussirez, vous dis-je; voilà déjà d'assez bons petits mouvements qui lui prennent; je crois qu'il est bien embarrassé. J'ai mis le valet à la raison, je l'ai réduit vous réduirez le maÃtre. Il fera un peu plus de façon; il disputera le terrain; il faudra le pousser à bout. Mais c'est à vos genoux que je l'attends; je l'y vois d'avance; il faudra qu'il y vienne. Continuez; ce n'est pas avec des yeux comme les vôtres qu'on manque son coup; vous le verrez. Hortense. - Je le souhaite. Mais tu as parlé au valet, Rosimond n'a-t-il point quelque inclination à Paris? Marton. - Nulle; il n'y a encore été amoureux que de la réputation d'être aimable. Hortense. - Et moi, Marton, dois-je en croire Frontin? Serait-il vrai que son maÃtre eût de la disposition à m'aimer? Marton. - Nous le tenons, Madame, et mes observations sont justes. Hortense. - Cependant, Marton, il ne vient point. Marton. - Oh! mais prétendez-vous qu'il soit tout d'un coup comme un autre? Le bel air ne veut pas qu'il accoure il vient, mais négligemment, et à son aise. Hortense. - Il serait bien impertinent qu'il y manquât! Marton. - Voilà toujours votre père à sa place; il a peut-être à vous parler, et je vous laisse. Hortense. - S'il va me demander ce que je pense de Rosimond, il m'embarrassera beaucoup, car je ne veux pas lui dire qu'il me déplaÃt, et je n'ai jamais eu tant d'envie de le dire. Scène X Hortense, Chrisante Chrisante. - Ma fille, je désespère de voir ici mon frère, je n'en reçois point de nouvelles, et s'il n'en vient point aujourd'hui ou demain au plus tard, je suis d'avis de terminer votre mariage. Hortense. - Pourquoi, mon père, il n'y a pas de nécessité d'aller si vite. Vous savez combien il m'aime, et les égards qu'on lui doit; laissons-le achever les affaires qui le retiennent; différons de quelques jours pour lui en donner le temps. Chrisante. - C'est que la Marquise me presse, et ce mariage-ci me paraÃt si avantageux, que je voudrais qu'il fût déjà conclu. Hortense. - Née ce que je suis, et avec la fortune que j'ai, il serait difficile que j'en fisse un mauvais; vous pouvez choisir. Chrisante. - Eh! comment choisir mieux! Biens, naissance, rang, crédit à la cour vous trouvez tout ici avec une figure aimable, assurément. Hortense. - J'en conviens, mais avec bien de la jeunesse dans l'esprit. Chrisante. - Et à quel âge voulez-vous qu'on l'ait jeune? Hortense. - Le voici. Scène XI Chrisante, Hortense, Rosimond Chrisante. - Marquis, je disais à Hortense que mon frère tarde beaucoup, et que nous nous impatienterons à la fin, qu'en dites-vous? Rosimond. - Sans doute, je serai toujours du parti de l'impatience. Chrisante. - Et moi aussi. Adieu, je vais rejoindre la Marquise. Scène XII Rosimond, Hortense Rosimond. - Je me rends à vos ordres, Madame; on m'a dit que vous me demandiez. Hortense. - Moi! Monsieur... Ah! vous avez raison, oui, j'ai chargé Frontin de vous prier, de ma part, de revenir ici; mais comme vous n'êtes pas revenu sur-le-champ, parce qu'apparemment on ne vous a pas trouvé, je ne m'en ressouvenais plus. Rosimond, riant. - Voilà une distraction dont j'aurais envie de me plaindre. Mais à propos de distraction, pouvez-vous me voir à présent, Madame? Y êtes-vous bien déterminée? Hortense. - D'où vient donc ce discours, Monsieur? Rosimond. - Tantôt vous ne saviez pas si vous le pouviez, m'a-t-on dit; et peut-être est-ce encore de même? Hortense. - Vous ne demandiez à me voir qu'une heure après, et c'est une espèce d'avenir dont je ne répondais pas. Rosimond. - Ah! cela est vrai; il n'y a rien de si exact. Je me rappelle ma commission, c'est moi qui ai tort, et je vous en demande pardon. Si vous saviez combien le séjour de Paris et de la cour nous gâtent sur les formalités, en vérité, Madame, vous m'excuseriez; c'est une certaine habitude de vivre avec trop de liberté, une aisance de façons que je condamne, puisqu'elle vous déplaÃt, mais à laquelle on s'accoutume, et qui vous jette ailleurs dans les impolitesses que vous voyez. Hortense. - Je n'ai pas remarqué qu'il y en ait dans ce que vous avez fait, Monsieur, et sans avoir vu Paris ni la cour, personne au monde n'aime plus les façons unies que moi parlons de ce que je voulais vous dire. Rosimond. - Quoi! vous, Madame, quoi! de la beauté, des grâces, avec ce caractère d'esprit-là , et cela dans l'âge où vous êtes? vous me surprenez; avouez-moi la vérité, combien ai-je de rivaux? Tout ce qui vous voit, tout ce qui vous approche, soupire ah! je m'en doute bien, et je n'en serai pas quitte à moins. La province me le pardonnera-t-elle? Je viens vous enlever convenons qu'elle y fait une perte irréparable. Hortense. - Il peut y avoir ici quelques personnes qui ont de l'amitié pour moi, et qui pourraient m'y regretter; mais ce n'est pas de quoi il s'agit. Rosimond. - Eh! quel secret ceux qui vous voyent ont-ils, pour n'être que vos amis, avec ces yeux-là ? Hortense. - Si parmi ces amis il en est qui soient autre chose, du moins sont-ils discrets, et je ne les connais pas. Ne m'interrompez plus, je vous prie. Rosimond. - Vraiment, je m'imagine bien qu'ils soupirent tout bas, et que le respect les fait taire. Mais à propos de respect, n'y manquerais-je pas un peu, moi qui ai pensé dire que je vous aime? Il y a bien quelque petite chose à redire à mes discours, n'est-ce pas, mais ce n'est pas ma faute. Il veut lui prendre une main. Hortense. - Doucement, Monsieur, je renonce à vous parler. Rosimond. - C'est que sérieusement vous êtes belle avec excès; vous l'êtes trop, le regard le plus vif, le plus beau teint; ah! remerciez-moi, vous êtes charmante, et je n'en dis presque rien; la parure la mieux entendue; vous avez là de la dentelle d'un goût exquis, ce me semble. Passez-moi l'éloge de la dentelle; quand nous marie-t-on? Hortense. - A laquelle des deux questions voulez-vous que je réponde d'abord? A la dentelle, ou au mariage? Rosimond. - Comme il vous plaira. Que faisons-nous cet après-midi? Hortense. - Attendez, la dentelle est passable; de cet après-midi le hasard en décidera; de notre mariage, je ne puis rien en dire, et c'est de quoi j'ai à vous entretenir, si vous voulez bien me laisser parler. Voilà tout ce que vous me demandez, je pense? Venons au mariage. Rosimond. - Il devrait être fait; les parents ne finissent point! Hortense. - Je voulais vous dire au contraire qu'il serait bon de le différer, Monsieur. Rosimond. - Ah! le différer, Madame? Hortense. - Oui, Monsieur, qu'en pensez-vous? Rosimond. - Moi, ma foi, Madame, je ne pense point, je vous épouse. Ces choses-là surtout, quand elles sont aimables, veulent être expédiées, on y pense après. Hortense. - Je crois que je n'irai pas si vite il faut s'aimer un peu quand on s'épouse. Rosimond. - Mais je l'entends bien de même. Hortense. - Et nous ne nous aimons point. Rosimond. - Ah! c'est une autre affaire; la difficulté ne me regarderait point il est vrai que j'espérais, Madame, j'espérais, je vous l'avoue. Serait-ce quelque partie de coeur déjà liée? Hortense. - Non, Monsieur, je ne suis, jusqu'ici, prévenue pour personne. Rosimond. - En tout cas, je vous demande la préférence. Quant au retardement de notre mariage, dont je ne vois pas les raisons, je ne m'en mêlerai point, je n'aurais garde, on me mène, et je suivrai. Hortense. - Quelqu'un vient; faites réflexion à ce que je vous dit, Monsieur. Scène XIII Dorante, Dorimène, Hortense, Rosimond Rosimond, allant à Dorimène. - Eh! vous voilà , Comtesse. Comment! avec Dorante? La Comtesse, embrassant Hortense. - Eh! bonjour, ma chère enfant! Comment se porte-t-on ici? Nous sommes alliés, au moins, Marquis. Rosimond. - Je le sais. La Comtesse. - Mais nous nous voyons peu. Il y a trois ans que je ne suis venue ici. Hortense. - On ne quitte pas volontiers Paris pour la province. Dorimène. - On y a tant d'affaires, de dissipations! les moments s'y passent avec tant de rapidité! Rosimond. - Eh! où avez-vous pris ce garçon-là , Comtesse? Dorimène, à Hortense. - Nous nous sommes rencontrés. Vous voulez bien que je vous le présente? Rosimond. - Qu'en dis-tu, Dorante? ai-je à me louer du choix qu'on a fait pour moi? Dorante. - Tu es trop heureux. Rosimond, à Hortense. - Tel que vous le voyez, je vous le donne pour une espèce de sage qui fait peu de cas de l'amour de l'air dont il vous regarde pourtant, je ne le crois pas trop en sûreté ici. Dorante. - Je n'ai vu nulle part de plus grand danger, j'en conviens. Dorimène, riant. - Sur ce pied-là , sauvez-vous, Dorante, sauvez-vous. Hortense. - Trêve de plaisanterie, Messieurs. Rosimond. - Non, sérieusement, je ne plaisante point; je vous dis qu'il est frappé, je vois cela dans ses yeux; remarquez-vous comme il rougit? Parbleu, je voudrais bien qu'il soupirât, et je vous le recommande. Dorimène. - Ah! doucement, il m'appartient; c'est une espèce d'infidélité qu'il me ferait; car je l'ai amené, à moins que vous ne teniez sa place, Marquis. Rosimond. - Assurément j'en trouve l'idée tout à fait plaisante, et c'est de quoi nous amuser ici. A Hortense. N'est-ce pas, Madame? Allons, Dorante, rendez vos premiers hommages à votre vainqueur. Dorante. - Je n'en suis plus aux premiers. Scène XIV Dorante, Dorimène, Hortense, Rosimond, Marton Marton. - Madame, Monsieur le Comte m'envoie savoir qui vient d'arriver. Dorimène. - Nous allons l'en instruire nous-mêmes. Venez, Marquis, donnez-moi la main, vous êtes mon chevalier. A Hortense. Et vous, Madame, voilà le vôtre. Dorante présente la main à Hortense. Marton fait signe à Hortense. Hortense. - Je vous suis, Messieurs. Je n'ai qu'un mot à dire. Scène XV Marton, Hortense Hortense. - Que me veux-tu, Marton? Je n'ai pas le temps de rester, comme tu vois. Marton. - C'est une lettre que je viens de trouver, lettre d'amour écrite à Rosimond, mais d'un amour qui me paraÃt sans conséquence. La dame qui vient d'arriver pourrait bien l'avoir écrite; le billet est d'un style qui ressemble à son air. Hortense. - Y a-t-il bien des tendresses? Marton. - Non, vous dis-je, point d'amour et beaucoup de folies; mais puisque vous êtes pressée, nous en parlerons tantôt. Rosimond devient-il un peu plus supportable? Hortense. - Toujours aussi impertinent qu'il est aimable. Je te quitte. Marton. - Monsieur l'impertinent, vous avez beau faire, vous deviendrez charmant sur ma parole, je l'ai entrepris. Acte II Scène première La Marquise, Dorante La Marquise. - Avançons encore quelques pas, Monsieur, pour être plus à l'écart, j'aurais un mot à vous dire; vous êtes l'ami de mon fils, et autant que j'en puis juger, il ne saurait avoir fait un meilleur choix. Dorante. - Madame, son amitié me fait honneur. La Marquise. - Il n'est pas aussi raisonnable que vous me paraissez l'être, et je voudrais bien que vous m'aidassiez à le rendre plus sensé dans les circonstances où il se trouve; vous savez qu'il doit épouser Hortense; nous n'attendons que l'instant pour terminer ce mariage; d'où vient, Monsieur, le peu d'attention qu'il a pour elle? Dorante. - Je l'ignore, et n'y ai pris garde, Madame. La Marquise. - Je viens de le voir avec Dorimène, il ne la quitte point depuis qu'elle est ici; et vous, Monsieur, vous ne quittez point Hortense. Dorante. - Je lui fais ma cour, parce que je suis chez elle. La Marquise. - Sans doute, et je ne vous désapprouve pas; mais ce n'est pas à Dorimène à qui il faut que mon fils fasse aujourd'hui la sienne; et personne ici ne doit montrer plus d'empressement que lui pour Hortense. Dorante. - Il est vrai, Madame. La Marquise. - Sa conduite est ridicule, elle peut choquer Hortense, et je vous conjure, Monsieur, de l'avertir qu'il en change; les avis d'un ami comme vous lui feront peut-être plus d'impression que les miens; vous êtes venu avec Dorimène, je la connais fort peu; vous êtes de ses amis, et je souhaiterais qu'elle ne souffrÃt pas que mon fils fût toujours auprès d'elle; en vérité, la bienséance en souffre un peu; elle est alliée de la maison où nous sommes, mais elle est venue ici sans qu'on l'y appelât; y reste-t-elle? Part-elle aujourd'hui? Dorante. - Elle ne m'a pas instruit de ses desseins. La Marquise. - Si elle partait, je n'en serais pas fâchée, et je lui en aurais obligation; pourriez-vous le lui faire entendre? Dorante. - Je n'ai pas beaucoup de pouvoir sur elle; mais je verrai, Madame, et tâcherai de répondre à l'honneur de votre confiance. La Marquise. - Je vous le demande en grâce, Monsieur, et je vous recommande les intérêts de mon fils et de votre ami. Dorante, pendant qu'elle s'en va. - Elle a ma foi beau dire, puisque son fils néglige Hortense, il ne tiendra pas à moi que je n'en profite auprès d'elle. Scène II Dorante, Dorimène Dorimène. - Où est allé le Marquis, Dorante? Je me sauve de cette cohue de province ah! les ennuyants personnages! Je me meurs de l'extravagance des compliments qu'on m'a fait, et que j'ai rendus. Il y a deux heures que je n'ai pas le sens commun, Dorante, pas le sens commun; deux heures que je m'entretiens avec une Marquise qui se tient d'un droit, qui a des gravités, qui prend des mines d'une dignité; avec une petite Baronne si folichonne, si remuante, si méthodiquement étourdie; avec une Comtesse si franche, qui m'estime tant, qui m'estime tant, qui est de si bonne amitié; avec une autre qui est si mignonne, qui a de si jolis tours de tête, qui accompagne ce qu'elle dit avec des mains si pleines de grâces; une autre qui glapit si spirituellement, qui traÃne si bien les mots, qui dit si souvent, mais Madame, cependant Madame, il me paraÃt pourtant; et puis un bel esprit si diffus, si éloquent, une jalouse si difficile en mérite, si peu touchée du mien, si intriguée de ce qu'on m'en trouvait. Enfin, un agréable qui m'a fait des phrases, mais des phrases! d'une perfection! qui m'a déclaré des sentiments qu'il n'osait me dire; mais des sentiments d'une délicatesse assaisonnée d'un respect que j'ai trouvé d'une fadeur! d'une fadeur! Dorante. - Oh! on respecte beaucoup ici, c'est le ton de la province. Mais vous cherchez Rosimond, Madame? Dorimène. - Oui, c'est un étourdi à qui j'ai à parler tête à tête; et grâce à tous ces originaux qui m'ont obsédée, je n'en ai pas encore eu le temps il nous a quitté. Où est-il? Dorante. - Je pense qu'il écrit à Paris, et je sors d'un entretien avec sa mère. Dorimène. - Tant pis, cela n'est pas amusant, il vous en reste encore un air froid et raisonnable, qui me gagnerait si nous restions ensemble; je vais faire un tour sur la terrasse allez, Dorante, allez dire à Rosimond que je l'y attends. Dorante. - Un moment, Madame, je suis chargé d'une petite commission pour vous; c'est que je vous avertis que la Marquise ne trouve pas bon que vous entreteniez le Marquis. Dorimène. - Elle ne le trouve pas bon! Eh bien, vous verrez que je l'en trouverai meilleur. Dorante. - Je n'en ai pas douté mais ce n'est pas là tout; je suis encore prié de vous inspirer l'envie de partir. Dorimène. - Je n'ai jamais eu tant d'envie de rester. Dorante. - Je n'en suis pas surpris; cela doit faire cet effet-là . Dorimène. - Je commençais à m'ennuyer ici, je ne m'y ennuie plus; je m'y plais, je l'avoue; sans ce discours de la Marquise, j'aurais pu me contenter de défendre à Rosimond de se marier, comme je l'avais résolu en venant ici mais on ne veut pas que je le voie? on souhaite que je parte? il m'épousera. Dorante. - Cela serait très plaisant. Dorimène. - Oh! il m'épousera. Je pense qu'il n'y perdra pas et vous, je veux aussi que vous nous aidiez à le débarrasser de cette petite fille; je me propose un plaisir infini de ce qui va arriver; j'aime à déranger les projets, c'est ma folie; surtout, quand je les dérange d'une manière avantageuse. Adieu; je prétends que vous épousiez Hortense, vous. Voilà ce que j'imagine; réglez-vous là -dessus, entendez-vous? Je vais trouver le Marquis. Dorante, pendant qu'elle part. - Puisse la folle me dire vrai! Scène III Rosimond, Dorante, Frontin Rosimond, à Frontin en entrant. - Cherche, vois partout; et sans dire qu'elle est à moi, demande-la à tout le monde; c'est à peu près dans ces endroits-ci que je l'ai perdue. Frontin. - Je ferai ce que je pourrai, Monsieur. Rosimond, à Dorante. - Ah! c'est toi, Dorante; dis-moi, par hasard, n'aurais-tu point trouvé une lettre à terre? Dorante. - Non. Rosimond. - Cela m'inquiète. Dorante. - Eh! de qui est-elle? Rosimond. - De Dorimène; et malheureusement elle est d'un style un peu familier sur Hortense; elle l'y traite de petite provinciale qu'elle ne veut pas que j'épouse, et ces bonnes gens-ci seraient un peu scandalisés de l'épithète. Dorante. - Peut-être personne ne l'aura-t-il encore ramassé et d'ailleurs, cela te chagrine-t-il tant? Rosimond. - Ah! très doucement; je ne m'en désespère pas. Dorante. - Ce qui en doit arriver doit être fort indifférent à un homme comme toi. Rosimond. - Aussi me l'est-il. Parlons de Dorimène; c'est elle qui m'embarrasse. Je t'avouerai confidemment que je ne sais qu'en faire. T'a-t-elle dit qu'elle n'est venue ici que pour m'empêcher d'épouser? Elle a quelque alliance avec ces gens-ci. Dès qu'elle a su que ma mère m'avait brusquement amené de Paris chez eux pour me marier, qu'a-t-elle fait? Elle a une terre à quelques lieues de la leur, elle y est venue, et à peine arrivée, m'a écrit, par un exprès, qu'elle venait ici, et que je la verrais une heure après sa lettre, qui est celle que j'ai perdue. Dorante. - Oui, j'étais chez elle alors, et j'ai vu partir l'exprès qui nous a précédé mais enfin c'est une très aimable femme, et qui t'aime beaucoup. Rosimond. - J'en conviens. Il faut pourtant que tu m'aides à lui faire entendre raison. Dorante. - Pourquoi donc? Tu l'aimes aussi, apparemment, et cela n'est pas étonnant. Rosimond. - J'ai encore quelque goût pour elle, elle est vive, emportée, étourdie, bruyante. Nous avons lié une petite affaire de coeur ensemble; et il y a deux mois que cela dure deux mois, le terme est honnête; cependant aujourd'hui, elle s'avise de se piquer d'une belle passion pour moi. Ce mariage-ci lui déplaÃt, elle ne veut pas que je l'achève, et de vingt galanteries qu'elle a eues en sa vie, il faut que la nôtre soit la seule qu'elle honore de cette opiniâtreté d'amour il n'y a que moi à qui cela arrive. Dorante. - Te voilà donc bien agité? Quoi! tu crains les conséquences de l'amour d'une jolie femme, parce que tu te maries! Tu as de ces sentiments bourgeois, toi Marquis? Je ne te reconnais pas! Je te croyais plus dégagé que cela; j'osais quelquefois entretenir Hortense mais je vois bien qu'il faut que je parte, et je n'y manquerai pas. Adieu. Rosimond. - Venez, venez ici. Qu'est-ce que c'est que cette fantaisie-là ? Dorante. - Elle est sage. Il me semble que la Marquise ne me voit pas volontiers ici, et qu'elle n'aime pas à me trouver en conversation avec Hortense; et je te demande pardon de ce que je vais te dire, mais il m'a passé dans l'esprit que tu avais pu l'indisposer contre moi, et te servir de sa méchante humeur pour m'insinuer de m'en aller. Rosimond. - Mais, oui-da, je suis peut-être jaloux. Ma façon de vivre, jusqu'ici, m'a rendu fort suspect de cette petitesse. Débitez-la, Monsieur, débitez-la dans le monde. En vérité vous me faites pitié! Avec cette opinion-là sur mon compte, valez-vous la peine qu'on vous désabuse? Dorante. - Je puis en avoir mal jugé; mais ne se trompe-t-on jamais? Rosimond. - Moi qui vous parle, suis-je plus à l'abri de la méchante humeur de ma mère? Ne devrais-je pas, si je l'en crois, être aux genoux d'Hortense, et lui débiter mes langueurs? J'ai tort de n'aller pas, une houlette à la main, l'entretenir de ma passion pastorale elle vient de me quereller tout à l'heure, me reprocher mon indifférence; elle m'a dit des injures, Monsieur, des injures m'a traité de fat, d'impertinent, rien que cela, et puis je m'entends avec elle! Dorante. - Ah! voilà qui est fini, Marquis, je désavoue mon idée, et je t'en fais réparation. Rosimond. - Dites-vous vrai? Etes-vous bien sûr au moins que je pense comme il faut? Dorante. - Si sûr à présent, que si tu allais te prendre d'amour pour cette petite Hortense dont on veut faire ta femme, tu me le dirais, que je n'en croirais rien. Rosimond. - Que sait-on? Il y a à craindre, à cause que je l'épouse, que mon coeur ne s'enflamme et ne prenne la chose à la lettre! Dorante. - Je suis persuadé que tu n'es point fâché que je lui en conte. Rosimond. - Ah! si fait; très fâché. J'en boude, et si vous continuez, j'en serai au désespoir. Dorante. - Tu te moques de moi, et je le mérite. Rosimond, riant. - Ha, ha, ha. Comment es-tu avec elle? Dorante. - Ni bien ni mal. Comment la trouves-tu toi? Rosimond. - Moi, ma foi, je n'en sais rien, je ne l'ai pas encore trop vue; cependant, il m'a paru qu'elle était assez gentille, l'air naïf, droit et guindé mais jolie, comme je te dis. Ce visage-là pourrait devenir quelque chose s'il appartenait à une femme du monde, et notre provinciale n'en fait rien; mais cela est bon pour une femme, on la prend comme elle vient. Dorante. - Elle ne te convient guère. De bonne foi, l'épouseras-tu? Rosimond. - Il faudra bien, puisqu'on le veut nous l'épouserons ma mère et moi, si vous ne nous l'enlevez pas. Dorante. - Je pense que tu ne t'en soucierais guère, et que tu me le pardonnerais. Rosimond. - Oh! là -dessus, toutes les permissions du monde au suppliant, si elles pouvaient lui être bonnes à quelque chose. T'amuse-t-elle? Dorante. - Je ne la hais pas. Rosimond. - Tout de bon? Dorante. - Oui comme elle ne m'est pas destinée, je l'aime assez. Rosimond. - Assez? Je vous le conseille! De la passion, Monsieur, des mouvements pour me divertir, s'il vous plaÃt. En sens-tu déjà un peu? Dorante. - Quelquefois. Je n'ai pas ton expérience en galanterie; je ne suis là -dessus qu'un écolier qui n'a rien vu. Rosimond, riant. - Ah! vous l'aimez, Monsieur l'écolier ceci est sérieux, je vous défends de lui plaire. Dorante. - Je n'oublie cependant rien pour cela, ainsi laisse-moi partir; la peur de te fâcher me reprend. Rosimond, riant. - Ah! ah! ah! que tu es réjouissant! Scène IV Marton, Dorante, Rosimond Dorante, riant aussi. - Ah! ah! ah! Où est votre maÃtresse, Marton? Marton. - Dans la grande allée, où elle se promène, Monsieur, elle vous demandait tout à l'heure. Rosimond. - Rien que lui, Marton? Marton. - Non, que je sache. Dorante. - Je te laisse, Marquis, je vais la rejoindre. Rosimond. - Attends, nous irons ensemble. Marton. - Monsieur, j'aurais un mot à vous dire. Rosimond. - A moi, Marton? Marton. - Oui, Monsieur. Dorante. - Je vais donc toujours devant. Rosimond, à part. - Rien que lui? C'est qu'elle est piquée. Scène V Marton, Rosimond Rosimond. - De quoi s'agit-il, Marton? Marton. - D'une lettre que j'ai trouvée, Monsieur, et qui est apparemment celle que vous avez tantôt reçue de Frontin. Rosimond. - Donne, j'en étais inquiet. Marton. - La voilà . Rosimond. - Tu ne l'as montrée à personne, apparemment? Marton. - Il n'y a qu'Hortense et son père qui l'ont vue, et je ne la leur ai montrée que pour savoir à qui elle appartenait. Rosimond. - Eh! ne pouviez-vous pas le voir vous-même? Marton. - Non, Monsieur, je ne sais pas lire, et d'ailleurs, vous en aviez gardé l'enveloppe. Rosimond. - Et ce sont eux qui vous ont dit que la lettre m'appartenait? Ils l'ont donc lue? Marton. - Vraiment oui, Monsieur, ils n'ont pu juger qu'elle était à vous que sur la lecture qu'ils en ont fait. Rosimond. - Hortense présente? Marton. - Sans doute. Est-ce que cette lettre est de quelque conséquence? Y a-t-il quelque chose qui les concerne? Rosimond. - Il vaudrait mieux qu'ils ne l'eussent point vue. Marton. - J'en suis fâchée. Rosimond. - Cela est désagréable. Et qu'en a dit Hortense? Marton. - Rien, Monsieur, elle n'a pas paru y faire attention mais comme on m'a chargé de vous la rendre, voulez-vous que je dise que vous ne l'avez pas reconnue? Rosimond. - L'offre est obligeante et je l'accepte; j'allais vous en prier. Marton. - Oh! de tout mon coeur, je vous le promets, quoique ce soit une précaution assez inutile, comme je vous dis, car ma maÃtresse ne vous en parlera seulement pas. Rosimond. - Tant mieux, tant mieux, je ne m'attendais pas à tant de modération; serait-ce que notre mariage lui déplaÃt? Marton. - Non, cela ne va pas jusque-là ; mais elle ne s'y intéresse pas extrêmement non plus. Rosimond. - Vous l'a-t-elle dit, Marton? Marton. - Oh! plus de dix fois, Monsieur, et vous le savez bien, elle vous l'a dit à vous-même. Rosimond. - Point du tout, elle a, ce me semble, parlé de différer et non pas de rompre mais que ne s'est-elle expliquée? je ne me serais pas avisé de soupçonner son éloignement pour moi, il faut être fait à se douter de pareille chose! Marton. - Il est vrai qu'on est presque sûr d'être aimé quand on vous ressemble, aussi ma maÃtresse vous aurait-elle épousé d'abord assez volontiers mais je ne sais, il y a eu du malheur, vos façons l'ont choquée. Rosimond. - Je ne les ai pas prises en province, à la vérité. Marton. - Eh! Monsieur, à qui le dites-vous? Je suis persuadée qu'elles sont toutes des meilleures mais, tenez, malgré cela je vous avoue moi-même que je ne pourrais pas m'empêcher d'en rire si je ne me retenais pas, tant elles nous paraissent plaisantes à nous autres provinciales; c'est que nous sommes des ignorantes. Adieu, Monsieur, je vous salue. Rosimond. - Doucement, confiez-moi ce que votre maÃtresse y trouve à redire. Marton. - Eh! Monsieur, ne prenez pas garde à ce que nous en pensons je vous dis que tout nous y paraÃt comique. Vous savez bien que vous avez peur de faire l'amoureux de ma maÃtresse, parce qu'apparemment cela ne serait pas de bonne grâce dans un joli homme comme vous; mais comme Hortense est aimable et qu'il s'agit de l'épouser, nous trouvons cette peur-là si burlesque! si bouffonne! qu'il n'y a point de comédie qui nous divertisse tant; car il est sûr que vous auriez plu à Hortense si vous ne l'aviez pas fait rire mais ce qui fait rire n'attendrit plus, et je vous dis cela pour vous divertir vous-même. Rosimond. - C'est aussi tout l'usage que j'en fais. Marton. - Vous avez raison, Monsieur, je suis votre servante. Elle revient. Seriez-vous encore curieux d'une de nos folies? Dès que Dorante et Dorimène sont arrivés ici, vous avez dit qu'il fallait que Dorante aimât ma maÃtresse, pendant que vous feriez l'amour à Dorimène, et cela à la veille d'épouser Hortense; Monsieur, nous en avons pensé mourir de rire, ma maÃtresse et moi! Je lui ai pourtant dit qu'il fallait bien que vos airs fussent dans les règles du bon savoir-vivre. Rien ne l'a persuadée; les gens de ce pays-ci ne sentent point le mérite de ces manières-là ; c'est autant de perdu. Mais je m'amuse trop. Ne dites mot, je vous prie. Rosimond. - Eh bien, Marton, il faudra se corriger j'ai vu quelques benêts de la province, et je les copierai. Marton. - Oh! Monsieur, n'en prenez pas la peine; ce ne serait pas en contrefaisant le benêt que vous feriez revenir les bonnes dispositions où ma maÃtresse était pour vous; ce que je vous dis sous le secret, au moins; mais vous ne réussiriez, ni comme benêt ni comme comique. Adieu, Monsieur. Scène VI Rosimond, Dorimène Rosimond, un moment seul. - Eh bien, cela me guérit d'Hortense; cette fille qui m'aime et qui se résout à me perdre, parce que je ne donne pas dans la fadeur de languir pour elle! Voilà une sotte enfant! Allons pourtant la trouver. Dorimène. - Que devenez-vous donc, Marquis? on ne sait où vous prendre? Est-ce votre future qui vous occupe? Rosimond. - Oui, je m'occupais des reproches qu'on me faisait de mon indifférence pour elle, et je vais tâcher d'y mettre ordre; elle est là -bas avec Dorante, y venez-vous? Dorimène. - Arrêtez, arrêtez; il s'agit de mettre ordre à quelque chose de plus important. Quand est-ce donc que cette indifférence qu'on vous reproche pour elle lui fera prendre son parti? Il me semble que cela demeure bien longtemps à se déterminer. A qui est-ce la faute? Rosimond. - Ah! vous me querellez aussi! Dites-moi, que voulez-vous qu'on fasse? Ne sont-ce pas nos parents qui décident de cela? Dorimène. - Qu'est-ce que c'est que des parents, Monsieur? C'est l'amour que vous avez pour moi, c'est le vôtre, c'est le mien qui en décideront, s'il vous plaÃt. Vous ne mettrez pas des volontés de parents en parallèle avec des raisons de cette force-là , sans doute, et je veux demain que tout cela finisse. Rosimond. - Le terme est court, on aurait de la peine à faire ce que vous dites là ; je désespère d'en venir à bout, moi, et vous en parlez bien à votre aise. Dorimène. - Ah! je vous trouve admirable! Nous sommes à Paris, je vous perds deux jours de vue; et dans cet intervalle, j'apprends que vous êtes parti avec votre mère pour aller vous marier, pendant que vous m'aimez, pendant qu'on vous aime, et qu'on vient tout récemment, comme vous le savez, de congédier là -bas le Chevalier, pour n'avoir de liaison de coeur qu'avec vous? Non, Monsieur, vous ne vous marierez point n'y songez pas, car il n'en sera rien, cela est décidé; votre mariage me déplaÃt. Je le passerais à un autre; mais avec vous! Je ne suis pas de cette humeur-là , je ne saurais; vous êtes un étourdi, pourquoi vous jetez-vous dans cet inconvénient? Rosimond. - Faites-moi donc la grâce d'observer que je suis la victime des arrangements de ma mère. Dorimène. - La victime! Vous m'édifiez beaucoup, vous êtes un petit garçon bien obéissant. Rosimond. - Je n'aime pas à la fâcher, j'ai cette faiblesse-là , par exemple. Dorimène. - Le poltron! Eh bien, gardez votre faiblesse j'y suppléerai, je parlerai à votre prétendue. Rosimond. - Ah! que je vous reconnais bien à ces tendres inconsidérations-là ! Je les adore. Ayons pourtant un peu plus de flegme ici; car que lui direz-vous? que vous m'aimez? Dorimène. - Que nous nous aimons. Rosimond. - Voilà qui va fort bien; mais vous ressouvenez-vous que vous êtes en province, où il y a des règles, des maximes de décence qu'il ne faut point choquer? Dorimène. - Plaisantes maximes! Est-il défendu de s'aimer, quand on est aimable? Ah! il y a des puérilités qui ne doivent pas arrêter. Je vous épouserai, Monsieur, j'ai du bien, de la naissance, qu'on nous marie; c'est peut-être le vrai moyen de me guérir d'un amour que vous ne méritez pas que je conserve. Rosimond. - Nous marier! Des gens qui s'aiment! Y songez-vous? Que vous a fait l'amour pour le pousser à bout? Allons trouver la compagnie. Dorimène. - Nous verrons. Surtout, point de mariage ici, commençons par là . Mais que vous veut Frontin? Scène VII Rosimond, Dorimène, Frontin Frontin, tout essoufflé. - Monsieur, j'ai un mot à vous dire. Rosimond. - Parle. Frontin. - Il faut que nous soyons seuls, Monsieur. Dorimène. - Et moi je reste parce que je suis curieuse. Frontin. - Monsieur, Madame est de trop; la moitié de ce que j'ai à vous dire est contre elle. Dorimène. - Marquis, faites parler ce faquin-là . Rosimond. - Parleras-tu, maraud? Frontin. - J'enrage; mais n'importe. Eh bien, Monsieur, ce que j'ai à vous dire, c'est que Madame ici nous portera malheur à tous deux. Dorimène. - Le sot! Rosimond. - Comment? Frontin. - Oui, Monsieur, si vous ne changez pas de façon, nous ne tenons plus rien. Pendant que Madame vous amuse, Dorante nous égorge. Rosimond. - Que fait-il donc? Frontin. - L'amour, Monsieur, l'amour, à votre belle Hortense! Dorimène. - Votre belle voilà une épithète bien placée! Frontin. - Je défie qu'on la place mieux; si vous entendiez là -bas comme il se démène, comme les déclarations vont dru, comme il entasse les soupirs, j'en ai déjà compté plus de trente de la dernière conséquence, sans parler des génuflexions, des exclamations Madame, par-ci, Madame, par-là ! Ah, les beaux yeux! ah! les belles mains! Et ces mains-là , Monsieur, il ne les marchande pas, il en attrape toujours quelqu'une, qu'on retire... couci, couci, et qu'il baise avec un appétit qui me désespère; je l'ai laissé comme il en retenait une sur qui il s'était déjà jeté plus de dix fois, malgré qu'on en eût, ou qu'on n'en eût pas, et j'ai peur qu'à la fin elle ne lui reste. Rosimond et Dorimène, riant. - Hé, hé, hé... Rosimond. - Cela est pourtant vif! Frontin. - Vous riez? Rosimond, riant, parlant de Dorimène. - Oui, cette main-ci voudra peut-être bien me dédommager du tort qu'on me fait sur l'autre. Dorimène, lui donnant la main. - Il y a de l'équité. Rosimond, lui baisant la main. - Qu'en dis-tu, Frontin, suis-je si à plaindre? Frontin. - Monsieur, on sait bien que Madame a des mains; mais je vous trouve toujours en arrière. Dorimène. - Renvoyez cet homme-là , Monsieur; j'admire votre sang-froid. Rosimond. - Va-t'en. C'est Marton qui lui a tourné la cervelle! Frontin. - Non, Monsieur, elle m'a corrigé, j'étais petit-maÃtre aussi bien qu'un autre; je ne voulais pas aimer Marton que je dois épouser, parce que je croyais qu'il était malhonnête d'aimer sa future; mais cela n'est pas vrai, Monsieur, fiez-vous à ce que je dis, je n'étais qu'un sot, je l'ai bien compris. Faites comme moi, j'aime à présent de tout mon coeur, et je le dis tant qu'on veut suivez mon exemple; Hortense vous plaÃt, je l'ai remarqué, ce n'est que pour être joli homme, que vous la laissez là , et vous ne serez point joli, Monsieur. Dorimène. - Marquis, que veut-il donc dire avec son Hortense, qui vous plaÃt? Qu'est-ce que cela signifie? Quel travers vous donne-t-il là ? Rosimond. - Qu'en sais-je? Que voulez-vous qu'il ait vu? On veut que je l'épouse, et je l'épouserai; d'empressement, on ne m'en a pas vu beaucoup jusqu'ici, je ne pourrai pourtant me dispenser d'en avoir, et j'en aurai parce qu'il le faut voilà tout ce que j'y sache; vous allez bien vite. A Frontin. Retire-toi. Frontin. - Quel dommage de négliger un coeur tout neuf! cela est si rare! Dorimène. - Partira-t-il? Rosimond. - Va-t'en donc! Faut-il que je te chasse? Frontin. - Je n'ai pas tout dit, la lettre est retrouvée, Hortense et Monsieur le Comte l'ont lue d'un bout à l'autre, mettez-y ordre; ce maudit papier est encore de Madame. Dorimène. - Quoi! parle-t-il du billet que je vous ai envoyé ici de chez moi? Rosimond. - C'est du même que j'avais perdu. Dorimène. - Eh bien, le hasard est heureux, cela les met au fait. Rosimond. - Oh, j'ai pris mon parti là -dessus, je m'en démêlerai bien Frontin nous tirera d'affaire. Frontin. - Moi, Monsieur? Rosimond. - Oui, toi-même. Dorimène. - On n'a pas besoin de lui là -dedans, il n'y a qu'à laisser aller les choses. Rosimond. - Ne vous embarrassez pas, voici Hortense et Dorante qui s'avancent, et qui paraissent s'entretenir avec assez de vivacité. Frontin. - Eh bien! Monsieur, si vous ne m'en croyez pas, cachez-vous un moment derrière cette petite palissade, pour entendre ce qu'ils disent, vous aurez le temps, ils ne vous voient point. Frontin s'en va. Rosimond. - Il n'y aurait pas grand mal, le voulez-vous, Madame? C'est une petite plaisanterie de campagne. Dorimène. - Oui-da, cela nous divertira. Scène VIII Rosimond, Dorimène, au bout du théâtre, Dorante, Hortense, à l'autre bout. Hortense. - Je vous crois sincère, Dorante; mais quels que soient vos sentiments, je n'ai rien à y répondre jusqu'ici; on me destine à un autre. A part. Je crois que je vois Rosimond. Dorante. - Il sera donc votre époux, Madame? Hortense. - Il ne l'est pas encore. A part. C'est lui avec Dorimène. Dorante. - Je n'oserais vous demander s'il est aimé. Hortense. - Ah! doucement, je n'hésite point à vous dire que non. Dorimène, à Rosimond. - Cela vous afflige-t-il? Rosimond. - Il faut qu'elle m'ait vu. Hortense. - Ce n'est pas que j'aie de l'éloignement pour lui, mais si j'aime jamais, il en coûtera un peu davantage pour me rendre sensible! Je n'accorderai mon coeur qu'aux soins les plus tendres, qu'à tout ce que l'amour aura de plus respectueux, de plus soumis il faudra qu'on me dise mille fois je vous aime, avant que je le croie, et que je m'en soucie; qu'on se fasse une affaire de la dernière importance de me le persuader; qu'on ait la modestie de craindre d'aimer en vain, et qu'on me demande enfin mon coeur comme une grâce qu'on sera trop heureux d'obtenir. Voilà à quel prix j'aimerai, Dorante, et je n'en rabattrai rien; il est vrai qu'à ces conditions-là , je cours risque de rester insensible, surtout de la part d'un homme comme le Marquis, qui n'en est pas réduit à ne soupirer que pour une provinciale, et qui, au pis-aller, a touché le coeur de Dorimène. Dorimène, après avoir écouté. - Au pis-aller! dit-elle, au pis-aller! avançons, Marquis! Rosimond. - Quel est donc votre dessein? Dorimène. - Laissez-moi faire, je ne gâterai rien. Hortense. - Quoi! vous êtes là , Madame? Dorimène. - Eh oui, Madame, j'ai eu le plaisir de vous entendre; vous peignez si bien! Qui est-ce qui me prendrait pour un pis-aller? cela me ressemble tout à fait pourtant. Je vous apprends en revanche que vous nous tirez d'un grand embarras; Rosimond vous est indifférent, et c'est fort bien fait; il n'osait vous le dire, mais je parle pour lui; son pis-aller lui est cher, et tout cela vient à merveille. Rosimond, riant. - Comment donc, vous parlez pour moi? Mais point du tout, Comtesse! Finissons, je vous prie; je ne reconnais point là mes sentiments. Dorimène. - Taisez-vous, Marquis; votre politesse ici consiste à garder le silence; imaginez-vous que vous n'y êtes point. Rosimond. - Je vous dis qu'il n'est pas question de politesse, et que ce n'est pas là ce que je pense. Dorimène. - Il bat la campagne. Ne faut-il pas en venir à dire ce qui est vrai? Votre coeur et le mien sont engagés, vous m'aimez. Rosimond, en riant. - Eh! qui est-ce qui ne vous aimerait pas? Dorimène. - L'occasion se présente de le dire et je le dis; il faut bien que Madame le sache. Rosimond. - Oui, ceci est sérieux. Dorimène. - Elle s'en doutait; je ne lui apprends presque rien. Rosimond. - Ah, très peu de chose! Dorimène. - Vous avez beau m'interrompre, on ne vous écoute pas. Voudriez-vous l'épouser, Hortense, prévenu d'une autre passion? Non, Madame. Il faut qu'un mari vous aime, votre coeur ne s'en passerait pas; ce sont vos usages, ils sont fort bons; n'en sortez point, et travaillons de concert à rompre votre mariage. Rosimond. - Parbleu, Mesdames, je vous traverserai donc, car je vais travailler à le conclure! Hortense. - Eh! non, Monsieur, vous ne vous ferez point ce tort-là , ni à moi non plus. Dorante. - En effet, Marquis, à quoi bon feindre? Je sais ce que tu penses, tu me l'as confié; d'ailleurs, quand je t'ai dit mes sentiments pour Madame, tu ne les as pas désapprouvés. Rosimond. - Je ne me souviens point de cela, et vous êtes un étourdi, qui me ferez des affaires avec Hortense. Hortense. - Eh! Monsieur, point de mystère! Vous n'ignorez pas mes dispositions, et il ne s'agit point ici de compliments. Rosimond. - Eh! Madame, faites-vous quelque attention à ce qu'on dit là ? Ils se divertissent. Dorante. - Mais, parlons français. Est-ce que tu aimes Madame? Rosimond. - Ah! je suis ravi de vous voir curieux; c'est bien à vous à qui j'en dois rendre compte. A Hortense. Je ne suis pas embarrassé de ma réponse mais approuvez, je vous prie, que je mortifie sa curiosité. Dorimène, riant. - Ah! ah! ah! ah!... il me prend envie aussi de lui demander s'il m'aime? voulez-vous gager qu'il n'osera me l'avouer? m'aimez-vous, Marquis? Rosimond. - Courage, je suis en butte aux questions. Dorimène. - Ne l'ai-je pas dit? Rosimond, à Hortense. - Et vous, Madame, serez-vous la seule qui ne m'en ferez point? Hortense. - Je n'ai rien à savoir. Scène IX Frontin, Rosimond, Dorimène, Dorante, Hortense Frontin. - Monsieur, je vous avertis que voilà votre mère avec Monsieur le Comte, qui vous cherchent, et qui viennent vous parler. Rosimond, à Frontin. - Reste ici. Dorante. - Je te laisse donc, Marquis. Dorimène. - Adieu, je reviendrai savoir ce qu'ils vous auront dit. Hortense. - Et moi je vous laisse penser à ce que vous leur direz. Rosimond. - Un moment, Madame; que tout ce qui vient de se passer ne vous fasse aucune impression vous voyez ce que c'est que Dorimène; vous avez dû démêler son esprit et la trouver singulière. C'est une manière de petit-maÃtre en femme qui tire sur le coquet, sur le cavalier même, n'y faisant pas grande façon pour dire ses sentiments, et qui s'avise d'en avoir pour moi, que je ne saurais brusquer comme vous voyez; mais vous croyez bien qu'on sait faire la différence des personnes; on distingue, Madame, on distingue. Hâtons-nous de conclure pour finir tout cela, je vous en supplie. Hortense. - Monsieur, je n'ai pas le temps de vous répondre; on approche. Nous nous verrons tantôt. Rosimond, quand elle part. - La voilà , je crois, radoucie. Scène X Frontin, Rosimond Frontin. - Je n'ai que faire ici, Monsieur? Rosimond. - Reste, il va peut-être question de ce billet perdu, et il faut que tu le prennes sur ton compte. Frontin. - Vous n'y songez pas, Monsieur! Le diable, qui a bien des secrets, n'aurait pas celui de persuader les gens, s'il était à ma place; d'ailleurs Marton sait qu'il est à vous. Rosimond. - Je le veux, Frontin, je le veux, je suis convenu avec Marton qu'elle dirait que je n'ai su ce que c'était; ainsi, imaginez, faites comme il vous plaira, mais tirez-moi d'intrigue. Scène XI Rosimond, Frontin, La Marquise, Le Comte La Marquise. - Mon fils, Monsieur le Comte a besoin d'un éclaircissement, sur certaine lettre sans adresse, qu'on a trouvée et qu'on croit s'adresser à vous? Dans la conjoncture où vous êtes, il est juste qu'on soit instruit là -dessus; parlez-nous naturellement, le style en est un peu libre sur Hortense; mais on ne s'en prend point à vous. Rosimond. - Tout ce que je puis dire à cela, Madame, c'est que je n'ai point perdu de lettre. Le Comte. - Ce n'est pourtant qu'à vous qu'on peut avoir écrit celle dont nous parlons, Monsieur le Marquis; et j'ai dit même à Marton de vous la rendre. Vous l'a-t-elle rapportée? Rosimond. - Oui, elle m'en a montré une qui ne m'appartenait point. A Frontin. A propos, ne m'as-tu pas dit, toi, que tu en avais perdu une? C'est peut-être la tienne. Frontin. - Monsieur, oui, je ne m'en ressouvenais plus; mais cela se pourrait bien. Le Comte. - Non, non, on vous y parle à vous positivement, le nom de Marquis y est répété deux fois, et on y signe la Comtesse pour tout nom, ce qui pourrait convenir à Dorimène. Rosimond, à Frontin. - Eh bien, qu'en dis-tu? Nous rendras-tu raison de ce que cela veut dire? Frontin. - Mais, oui, je me rappelle du Marquis dans cette lettre; elle est, dites-vous, signée la Comtesse? Oui, Monsieur, c'est cela même, Comtesse et Marquis, voilà l'histoire. Le Comte, riant. - Hé, hé, hé! Je ne savais pas que Frontin fût un Marquis déguisé, ni qu'il fût en commerce de lettres avec des Comtesses. La Marquise. - Mon fils, cela ne paraÃt pas naturel. Rosimond, à Frontin. - Mais, te plaira-t-il de t'expliquer mieux? Frontin. - Eh vraiment oui, il n'y a rien de si aisé; on m'y appelle Marquis, n'est-il pas vrai? Le Comte. - Sans doute. Frontin. - Ah la folle! On y signe Comtesse? La Marquise. - Eh bien! Frontin. - Ah! ah! ah! l'extravagante. Rosimond. - De qui parles-tu? Frontin. - D'une étourdie que vous connaissez, Monsieur; de Lisette. La Marquise. - De la mienne? de celle que j'ai laissée à Paris? Frontin. - D'elle-même. Le Comte, riant. - Et le nom de Marquis, d'où te vient-il? Frontin. - De sa grâce, je suis un Marquis de la promotion de Lisette, comme elle est Comtesse de la promotion de Frontin, et cela est ordinaire. Au Comte. Tenez Monsieur, je connais un garçon qui avait l'honneur d'être à vous pendant votre séjour à Paris, et qu'on appelait familièrement Monsieur le Comte. Vous étiez le premier, il était le second. Cela ne se pratique pas autrement; voilà l'usage parmi nous autres subalternes de qualité, pour établir quelque subordination entre la livrée bourgeoise et nous; c'est ce qui nous distingue. Rosimond. - Ce qu'il vous dit est vrai. Le Comte, riant. - Je le veux bien; tout ce qui m'inquiète, c'est que ma fille a vu cette lettre, elle ne m'en a pourtant pas paru moins tranquille mais elle est réservée, et j'aurais peur qu'elle ne crût pas l'histoire des promotions de Frontin si aisément. Rosimond. - Mais aussi, de quoi s'avisent ces marauds-là ? Frontin. - Monsieur, chaque nation a ses coutumes; voilà les coutumes de la nôtre. Le Comte. - Il y pourrait, pourtant, rester une petite difficulté; c'est que dans cette lettre on y parle d'une provinciale, et d'un mariage avec elle qu'on veut empêcher en venant ici, cela ressemblerait assez à notre projet. La Marquise. - J'en conviens. Rosimond. - Parle! Frontin. - Oh! bagatelle. Vous allez être au fait. Je vous ai dit que nous prenions vos titres. Le Comte. - Oui, vous prenez le nom de vos maÃtres. Mais voilà tout apparemment. Frontin. - Oui, Monsieur, mais quand nos maÃtres passent par le mariage, nous autres, nous quittons le célibat; le maÃtre épouse la maÃtresse, et nous la suivante, c'est encore la règle; et par cette règle que j'observerai, vous voyez bien que Marton me revient. Lisette, qui est là -bas, le sait, Lisette est jalouse, et Marton est tout de suite une provinciale, et tout de suite on menace de venir empêcher le mariage; il est vrai qu'on n'est pas venu, mais on voulait venir. La Marquise. - Tout cela se peut, Monsieur le Comte, et d'ailleurs il n'est pas possible de penser que mon fils préférât Dorimène à Hortense, il faudrait qu'il fût aveugle. Rosimond. - Monsieur est-il bien convaincu? Le Comte. - N'en parlons plus, ce n'est pas même votre amour pour Dorimène qui m'inquiéterait; je sais ce que c'est que ces amours-là entre vous autre gens du bel air, souffrez que je vous dise que vous ne vous aimez guère, et Dorimène notre alliée est un peu sur ce ton-là . Pour vous, Marquis, croyez-moi, ne donnez plus dans ces façons, elles ne sont pas dignes de vous; je vous parle déjà comme à mon gendre; vous avez de l'esprit et de la raison, et vous êtes né avec tant d'avantages, que vous n'avez pas besoin de vous distinguer par de faux airs; restez ce que vous êtes, vous en vaudrez mieux; mon âge, mon estime pour vous, et ce que je vais vous devenir me permettent de vous parler ainsi. Rosimond. - Je n'y trouve point à redire. La Marquise. - Et je vous prie, mon fils, d'y faire attention. Le Comte. - Changeons de discours; Marton est-elle là ? Regarde, Frontin. Frontin. - Oui, Monsieur, je l'aperçois qui passe avec ces dames. Il l'appelle. Marton! Marton paraÃt. - Qu'est-ce qui me demande? Le Comte. - Dites à ma fille de venir. Marton. - La voilà qui s'avance, Monsieur. Scène XII Hortense, Dorimène, Dorante, Rosimond, La Marquise, Le Comte, Marton, Frontin Le Comte. - Approchez, Hortense, il n'est plus nécessaire d'attendre mon frère; il me l'écrit lui-même, et me mande de conclure, ainsi nous signons le contrat ce soir, et nous vous marions demain. Hortense, se mettant à genoux. - Signer le contrat ce soir, et demain me marier! Ah! mon père, souffrez que je me jette à vos genoux pour vous conjurer qu'il n'en soit rien; je ne croyais pas qu'on irait si vite, et je devais vous parler tantôt. Le Comte, relevant sa fille et se tournant du côté de la Marquise. - J'ai prévu ce que je vois là . Ma fille, je sens les motifs de votre refus; c'est ce billet qu'on a perdu qui vous alarme; mais Rosimond dit qu'il ne sait ce que c'est. Et Frontin... Hortense. - Rosimond est trop honnête homme pour le nier sérieusement, mon père; les vues qu'on avait pour nous ont peut-être pu l'engager d'abord à le nier; mais j'ai si bonne opinion de lui, que je suis persuadée qu'il ne le désavouera plus. A Rosimond. Ne justifierez-vous pas ce que je dis là , Monsieur? Rosimond. - En vérité, Madame, je suis dans une si grande surprise... Hortense. - Marton vous l'a vu recevoir, Monsieur. Frontin. - Eh non! celui-là était à moi, Madame je viens d'expliquer cela; demandez. Hortense. - Marton! on vous a dit de le rendre à Rosimond, l'avez-vous fait? dites la vérité? Marton. - Ma foi, Monsieur, le cas devient trop grave, il faut que je parle! Oui, Madame, je l'ai rendu à Monsieur qui l'a remis dans sa poche; je lui avais promis de dire qu'il ne l'avait pas repris, sous prétexte qu'il ne lui appartenait pas, et j'aurais glissé cela tout doucement si les choses avaient glissé de même mais j'avais promis un petit mensonge, et non pas un faux serment, et c'en serait un que de badiner avec des interrogations de cette force-là ; ainsi donc, Madame, j'ai rendu le billet, Monsieur l'a repris; et si Frontin dit qu'il est à lui, je suis obligée en conscience de déclarer que Frontin est un fripon. Frontin. - Je ne l'étais que pour le bien de la chose, moi, c'était un service d'ami que je rendais. Marton. - Je me rappelle même que Monsieur, en ouvrant le billet que Frontin lui donnait, s'est écrié c'est de ma folle de comtesse! Je ne sais de qui il parlait. Le Comte, à Dorimène. - Je n'ose vous dire que j'en ai reconnu l'écriture; j'ai reçu de vos lettres, Madame. Dorimène. - Vous jugez bien que je n'attendrai pas les explications; qu'il les fasse. Elle sort. La Marquise, sortant aussi. - Il peut épouser qui il voudra, mais je ne veux plus le voir, et je le déshérite. Le Comte, qui la suit. - Nous ne vous laisserons pas dans ce dessein-là , Marquise. Hortense les suit. Dorante, à Rosimond en s'en allant. - Ne t'inquiète pas, nous apaiserons la Marquise, et heureusement te voilà libre. Frontin. - Et cassé. Scène XIII Frontin, Rosimond Rosimond regarde Frontin, puis rit. - Ah! ah! ah! Frontin. - J'ai vu qu'on pleurait de ses pertes, mais je n'en ai jamais vu rire; il n'y a pourtant plus d'Hortense. Rosimond. - Je la regrette, dans le fond. Frontin. - Elle ne vous regrette guère, elle. Rosimond. - Plus que tu ne crois, peut-être. Frontin. - Elle en donne de belles marques! Rosimond. - Ce qui m'en fâche, c'est que me voilà pourtant obligé d'épouser cette folle de comtesse; il n'y a point d'autre parti à prendre; car, à propos de quoi Hortense me refuserait-elle, si ce n'est à cause de Dorimène? Il faut qu'on le sache, et qu'on n'en doute pas Je suis outré; allons, tout n'est pas désespéré, je parlerai à Hortense, et je la ramènerai. Qu'en dis-tu? Frontin. - Rien. Quand je suis affligé; je ne pense plus. Rosimond. - Oh! que veux-tu que j'y fasse? Acte III Scène première Marton, Hortense, Frontin Hortense. - Je ne sais plus quel parti prendre. Marton. - Il est, dit-on, dans une extrême agitation, il se fâche, il fait l'indifférent, à ce que dit Frontin; il va trouver Dorimène, il la quitte; quelquefois il soupire; ainsi, ne vous rebutez pas, Madame; voyez ce qu'il vous veut, et ce que produira le désordre d'esprit où il est; allons jusqu'au bout. Hortense. - Oui, Marton, je le crois touché, et c'est là ce qui m'en rebute le plus; car qu'est-ce que c'est que la ridiculté d'un homme qui m'aime, et qui, par vaine gloire, n'a pu encore se résoudre à me le dire aussi franchement, aussi naïvement qu'il le sent? Marton. - Eh! Madame, plus il se débat, et plus il s'affaiblit; il faut bien que son impertinence s'épuise; achevez de l'en guérir. Quel reproche ne vous feriez-vous pas un jour s'il s'en retournait ridicule? Je lui avais donné de l'amour, vous diriez-vous, et ce n'est pas là un présent si rare; mais il n'avait point de raison, je pouvais lui en donner, il n'y avait peut-être que moi qui en fût capable; et j'ai laissé partir cet honnête homme sans lui rendre ce service-là qui nous aurait tant accommodé tous deux. Cela est bien dur; je ne méritais pas les beaux yeux que j'ai. Hortense. - Tu badines, et je ne ris point, car si je ne réussis pas, je serai désolée, je te l'avoue; achevons pourtant. Marton. - Ne l'épargnez point désespérez-le pour le vaincre; Frontin là -bas attend votre réponse pour la porter à son maÃtre. Lui dira-t-il qu'il vienne? Hortense. - Dis-lui d'approcher. Marton, à Frontin. - Avance. Hortense. - Sais-tu ce que me veut ton maÃtre? Frontin. - Hélas, Madame, il ne le sait pas lui-même, mais je crois le savoir. Hortense. - Apparemment qu'il a quelque motif, puisqu'il demande à me voir. Frontin. - Non, Madame, il n'y a encore rien de réglé là -dessus; et en attendant, c'est par force qu'il demande à vous voir; il ne saurait faire autrement Il n'y a pas moyen qu'il s'en passe; il faut qu'il vienne. Hortense. - Je ne t'entends point. Frontin. - Je ne m'entends pas trop non plus, mais je sais bien ce que je veux dire. Marton. - C'est son coeur qui le mène en dépit qu'il en ait, voilà ce que c'est. Frontin. - Tu l'as dit c'est son coeur qui a besoin du vôtre, Madame; qui voudrait l'avoir à bon marché; qui vient savoir à quel prix vous le mettez, le marchander du mieux qu'il pourra, et finir par en donner tout ce que vous voudrez, tout ménager qu'il est; c'est ma pensée. Hortense. - A tout hasard, va le chercher . Scène II Hortense, Marton Hortense. - Marton, je ne veux pas lui parler d'abord, je suis d'avis de l'impatienter; dis-lui que dans le cas présent je n'ai pas jugé qu'il fût nécessaire de nous voir, et que je le prie de vouloir bien s'expliquer avec toi sur ce qu'il a à me dire; s'il insiste, je ne m'écarte point, et tu m'en avertiras. Marton. - C'est bien dit Hâtez-vous de vous retirer, car je crois qu'il avance. Scène III Marton, Rosimond Rosimond, agité. - Où est donc votre maÃtresse? Marton. - Monsieur, ne pouvez-vous pas me confier ce que vous lui voulez? après tout ce qui s'est passé, il ne sied pas beaucoup, dit-elle, que vous ayez un entretien ensemble, elle souhaiterait se l'épargner; d'ailleurs, je m'imagine qu'elle ne veut pas inquiéter Dorante qui ne la quitte guère, et vous n'avez qu'à me dire de quoi il s'agit. Rosimond. - Quoi! c'est la peur d'inquiéter Dorante qui l'empêche de venir? Marton. - Peut-être bien. Rosimond. - Ah! celui-là me paraÃt neuf. A part. On a de plaisants goûts en province; Dorante... de sorte donc qu'elle a cru que je voulais lui parler d'amour. Ah! Marton, je suis bien aise de la désabuser; allez lui dire qu'il n'en est pas question, que je n'y songe point, qu'elle peut venir avec Dorante même, si elle veut, pour plus de sûreté; dites-lui qu'il ne s'agit que de Dorimène, et que c'est une grâce que j'ai à lui demander pour elle, rien que cela; allez, ah! ah! ah! Marton. - Vous l'attendrez ici, Monsieur. Rosimond. - Sans doute. Marton. - Souhaitez-vous qu'elle amène Dorante? ou viendra-t-elle seule? Rosimond. - Comme il lui plaira; quant à moi, je n'ai que faire de lui. Rosimond un moment seul riant. Dorante l'emporte sur moi! Je n'aurais pas parié pour lui; sans cet avis-là j'allais faire une belle tentative! Mais que me veut cette femme-ci? Scène IV Dorimène, Rosimond Dorimène. - Marquis, je viens vous avertir que je pars; vous sentez bien qu'il ne me convient plus de rester, et je n'ai plus qu'à dire adieu à ces gens-ci. Je retourne à ma terre; de là à Paris où je vous attends pour notre mariage; car il est devenu nécessaire depuis l'éclat qu'on a fait; vous ne pouvez me venger du dédain de votre mère que par là ; il faut absolument que je vous épouse. Rosimond. - Eh oui, Madame, on vous épousera mais j'ai pour nous, à présent, quelques mesures à prendre, qui ne demandent pas que vous soyez présente, et que je manquerais si vous ne me laissez pas. Dorimène. - Qu'est-ce que c'est que ces mesures? Dites-les-moi en deux mots. Rosimond. - Je ne saurais; je n'en ai pas le temps. Dorimène. - Donnez-m'en la moindre idée, ne faites rien sans conseil vous avez quelquefois besoin qu'on vous conduise, Marquis; voyons le parti que vous prenez. Rosimond. - Vous me chagrinez. A part. Que lui dirai-je? Haut. C'est que je veux ménager un raccommodement entre vous et ma mère. Dorimène. - Cela ne vaut rien; je n'en suis pas encore d'avis écoutez-moi. Rosimond. - Eh, morbleu! Ne vous embarrassez pas, c'est un mouvement qu'il faut que je me donne. Dorimène. - D'où vient le faut-il? Rosimond. - C'est qu'on croirait peut-être que je regrette Hortense, et je veux qu'on sache qu'elle ne me refuse que parce que j'aime ailleurs. Dorimène. - Eh bien, il n'en sera que mieux que je sois présente, la preuve de votre amour en sera encore plus forte, quoique, à vrai dire, elle soit inutile; ne sait-on pas que vous m'aimez? Cela est si bien établi et si croyable! Rosimond. - Eh! de grâce, Madame, allez-vous-en. A part. Ne pourrai-je l'écarter? Dorimène. - Attendez donc; ne pouvez-vous m'épouser qu'avec l'agrément de votre mère? Il serait plus flatteur pour moi qu'on s'en passât, si cela se peut, et d'ailleurs c'est que je ne me raccommoderai point je suis piquée. Rosimond. - Restez piquée, soit; ne vous raccommodez point, ne m'épousez pas mais retirez-vous pour un moment. Dorimène. - Que vous êtes entêté! Rosimond, à part. - L'incommode femme! Dorimène. - Parlons raison. A qui vous adressez-vous? Rosimond. - Puisque vous voulez le savoir, c'est Hortense que j'attends, et qui arrive, je pense. Dorimène. - Je vous laisse donc, à condition que je reviendrai savoir ce que vous aurez conclu avec elle entendez-vous? Rosimond. - Eh! non, tenez-vous en repos; j'irai vous le dire. Scène V Rosimond, Hortense, Marton Marton, en entrant, à Hortense. - Madame, n'hésitez point à entretenir Monsieur le Marquis, il m'a assuré qu'il ne serait point question d'amour entre vous, et que ce qu'il a à vous dire ne concerne uniquement que Dorimène; il m'en a donné sa parole. Rosimond, à part. - Le préambule est fort nécessaire. Hortense. - Vous n'avez qu'à rester, Marton. Rosimond, à part. - Autre précaution. Marton, à part. - Voyons comme il s'y prendra. Hortense. - Que puis-je faire pour obliger Dorimène, Monsieur? Rosimond, à part. - Je me sens ému... Haut. Il ne s'agit plus de rien, Madame; elle m'avait prié de vous engager à disposer l'esprit de ma mère en sa faveur, mais ce n'est pas la peine, cette démarche-là ne réussirait pas. Hortense. - J'en ai meilleur augure; essayons toujours mon père y songeait, et moi aussi, Monsieur, ainsi, compter tous deux sur nous. Est-ce là tout? Rosimond. - J'avais à vous parler de son billet qu'on a trouvé, et je venais vous protester que je n'y ai point de part; que j'en ai senti tout le manque de raison, et qu'il m'a touché plus que je ne puis le dire. Marton, en riant. - Hélas! Hortense. - Pure bagatelle qu'on pardonne à l'amour. Rosimond. - C'est qu'assurément vous ne méritez pas la façon de penser qu'elle y a eu; vous ne la méritez pas. Marton, à part. - Vous ne la méritez pas? Hortense. - Je vous jure, Monsieur, que je n'y ai point pris garde, et que je n'en agirai pas moins vivement dans cette occasion-ci. Vous n'avez plus rien à me dire, je pense? Rosimond. - Notre entretien vous est si à charge que j'hésite de le continuer. Hortense. - Parlez, Monsieur. Marton, à part. - Ecoutons. Rosimond. - Je ne saurais revenir de mon étonnement j'admire le malentendu qui nous sépare; car enfin, pourquoi rompons-nous? Marton, riant à part. - Voyez quelle aisance! Rosimond. - Un mariage arrêté, convenable, que nos parents souhaitaient, dont je faisais tout le cas qu'il fallait, par quelle tracasserie arrive-t-il qu'il ne s'achève pas? Cela me passe. Hortense. - Ne devez-vous pas être charmé, Monsieur, qu'on vous débarrasse d'un mariage où vous ne vous engagiez que par complaisance? Rosimond. - Par complaisance? Marton. - Par complaisance! Ah! Madame, où se récriera-t-on, si ce n'est ici? Malheur à tout homme qui pourrait écouter cela de sang-froid. Rosimond. - Elle a raison. Quand on n'examine pas les gens, voilà comme on les explique. Marton, à part. - Voilà comme on est un sot. Rosimond. - J'avais cru pourtant vous avoir donné quelque preuve de délicatesse de sentiment. Hortense rit. Rosimond continue. Oui, Madame, de délicatesse. Marton, toujours à part. - Cet homme-là est incurable. Rosimond. - Il n'y a qu'à suivre ma conduite; toutes vos attentions ont été pour Dorante, songez-y; à peine m'avez-vous regardé là -dessus, je me suis piqué, cela est dans l'ordre. J'ai paru manquer d'empressement, j'en conviens, j'ai fait l'indifférent, même le fier, si vous voulez; j'étais fâché cela est-il si désobligeant? Est-ce là de la complaisance? Voilà mes torts. Auriez-vous mieux aimé qu'on ne prÃt garde à rien? Qu'on ne sentÃt rien? Qu'on eût été content sans devoir l'être? Et fit-on jamais aux gens les reproches que vous me faites, Madame? Hortense. - Vous vous plaignez si joliment, que je ne me lasserais point de vous entendre; mais il et temps que je me retire. Adieu, Monsieur. Marton. - Encore un instant, Monsieur me charme; on ne trouve pas toujours des amants d'un espèce aussi rare. Rosimond. - Mais, restez donc, Madame, vous ne me dites mot; convenons de quelque chose. Y a-t-il matière de rupture entre nous? Où allez-vous? Presser ma mère de se raccommoder avec Dorimène? Oh! vous me permettrez de vous retenir! Vous n'irez pas. Qu'elles restent brouillées, je ne veux point de Dorimène; je n'en veux qu'à vous. Vous laisserez là Dorante, et il n'y a point ici, s'il vous plaÃt, d'autre raccommodement à faire que le mien avec vous; il n'y en a point de plus pressé. Ah çà , voyons; vous rendez-vous justice? Me la rendez-vous? Croyez-vous qu'on sente ce que vous valez? Sommes-nous enfin d'accord? En est-ce fait? Vous-ne me répondez rien. Marton. - Tenez, Madame, vous croyez peut-être que Monsieur le Marquis ne vous aime point, parce qu'il ne vous le dit pas bien bourgeoisement, et en termes précis; mais faut-il réduire un homme comme lui à cette extrémité-là ? Ne doit-on pas l'aimer gratis? A votre place, pourtant, Monsieur, je m'y résoudrais. Qui est-ce qui le saura? Je vous garderai le secret. Je m'en vais, car j'ai de la peine à voir qu'on vous maltraite. Rosimond. - Qu'est-ce que c'est que ce discours? Hortense. - C'est une étourdie qui parle mais il faut qu'à mon tour la vérité m'échappe, Monsieur, je n'y saurais résister. C'est que votre petit jargon de galanterie me choque, me révolte, il soulève la raison C'est pourtant dommage. Voici Dorimène qui approche, et à qui je vais confirmer tout ce que je vous ai promis; et pour vous, et pour elle. Scène VI Dorimène, Hortense, Rosimond Dorimène. - Je ne suis point de trop, Madame, je sais le sujet de votre entretien, il me l'a dit. Hortense. - Oui, Madame, et je l'assurais que mon père et moi n'oublierons rien pour réussir à ce que vous souhaitez. Dorimène. - Ce n'est pas pour moi qu'il souhaite, Madame, et c'est bien malgré moi qu'il vous en a parlé. Hortense. - Malgré vous? Il m'a pourtant dit que vous l'en aviez prié. Dorimène. - Eh! point du tout, nous avons pensé nous quereller là -dessus à cause de la répugnance que j'y avais il n'a pas même voulu que je fusse présente à votre entretien. Il est vrai que le motif de son obstination est si tendre, que je me serais rendue; mais j'accours pour vous prier de laisser tout là . Je viens de rencontrer la Marquise qui m'a saluée d'un air si glacé, si dédaigneux, que voilà qui est fait, abandonnons ce projet; il y a des moyens de se passer d'une cérémonie si désagréable elle me rebuterait de notre mariage. Rosimond. - Il ne se fera jamais, Madame. Dorimène. - Vous êtes un petit emporté. Hortense. - Vous voyez, Madame, jusqu'où le dépit porte un coeur tendre. Dorimène. - C'est que c'est une démarche si dure, si humiliante. Hortense. - Elle est nécessaire; il ne serait pas séant de vous marier sans l'aveu de Madame la Marquise, et nous allons agir mon père et moi, s'il ne l'a déjà fait. Rosimond. - Non, Madame, je vous prie très sérieusement qu'il ne s'en mêle point, ni vous non plus. Dorimène. - Et moi, je vous prie qu'il s'en mêle, et vous aussi, Hortense. Le voici qui vient, je vais lui en parler moi-même. Etes-vous content, petit ingrat? Quelle complaisance il faut avoir! Scène VII Le Comte, Dorante, Dorimène, Hortense, Rosimond Le Comte, à Dorimène. - Venez, Madame, hâtez-vous de grâce, nous avons laissé la Marquise avec quelques amis qui tâchent de la gagner. Le moment m'a paru favorable; présentez-vous, Madame, et venez par vos politesses achever de la déterminer; ce sont des pas que la bienséance exige que vous fassiez. Suivez-nous aussi, ma fille; et vous, Marquis, attendez ici, on vous dira quand il sera temps de paraÃtre. Rosimond, à part. - Ceci est trop fort. Dorimène. - Je vous rends mille grâces de vos soins, Monsieur le Comte. Adieu, Marquis, tranquillisez-vous donc. Dorante, à Rosimond. - Point d'inquiétude, nous te rapporterons de bonnes nouvelles. Hortense. - Je me charge de vous les venir dire. Scène VIII Rosimond, abattu et rêveur, Frontin Frontin, bas. - Son air rêveur est de mauvais présage... Haut. Monsieur. Rosimond. - Que me veux-tu? Frontin. - Epousons-nous Hortense? Rosimond. - Non, je n'épouse personne. Frontin. - Et cet entretien que vous avez eu avec elle, il a donc mal fini? Rosimond. - Très mal. Frontin. - Pourquoi cela? Rosimond. - C'est que je lui ai déplu. Frontin. - Je vous crois. Rosimond. - Elle dit que je la choque. Frontin. - Je n'en doute pas; j'ai prévu son indignation. Rosimond. - Quoi! Frontin, tu trouves qu'elle a raison? Frontin. - Je trouve que vous seriez charmant, si vous ne faisiez pas le petit agréable ce sont vos agréments qui vous perdent. Rosimond. - Mais, Frontin, je sors du monde; y étais-je si étrange? Frontin. - On s'y moquait de nous la plupart du temps; je l'ai fort bien remarqué, Monsieur; les gens raisonnables ne pouvaient pas nous souffrir; en vérité, vous ne plaisiez qu'aux Dorimènes, et moi aussi; et nos camarades n'étaient que des étourdis; je le sens bien à présent, et si vous l'aviez senti aussi tôt que moi, l'adorable Hortense vous aurait autant chéri que me chérit sa gentille suivante, qui m'a défait de toute mon impertinence. Rosimond. - Est-ce qu'en effet il y aurait de ma faute? Frontin. - Regardez-moi Est-ce que vous me reconnaissez, par exemple? Voyez comme je parle naturellement à cette heure, en comparaison d'autrefois que je prenais des tons si sots Bonjour, la belle enfant, qu'est-ce? Eh! comment vous portez-vous? Voilà comme vous m'aviez appris à faire, et cela me fatiguait; au lieu qu'à présent je suis si à mon aise Bonjour, Marton, comment te portes-tu? Cela coule de source, et on est gracieux avec toute la commodité possible. Rosimond. - Laisse-moi, il n'y a plus de ressource Et tu me chagrines. Scène IX Marton, Frontin, Rosimond Frontin, à part à Marton. - Encore une petite façon, et nous le tenons, Marton. Marton, à part les premiers mots. - Je vais l'achever. Monsieur, ma maÃtresse que j'ai rencontrée en passant, comme elle vous quittait, m'a chargé de vous prier d'une chose qu'elle a oublié de vous dire tantôt, et dont elle n'aurait peut-être pas le temps de vous avertir assez tôt C'est que Monsieur le Comte pourra vous parler de Dorante, vous faire quelques questions sur son caractère; et elle souhaiterait que vous en dissiez du bien; non pas qu'elle l'aime encore, mais comme il s'y prend d'une manière à lui plaire, il sera bon, à tout hasard, que Monsieur le Comte soit prévenu en sa faveur. Rosimond. - Oh! Parbleu! c'en est trop; ce trait me pousse à bout Allez, Marton, dites à votre maÃtresse que son procédé est injurieux, et que Dorante, pour qui elle veut que je parle, me répondra de l'affront qu'on me fait aujourd'hui. Marton. - Eh, Monsieur! A qui en avez-vous? Quel mal vous fait-on? Par quel intérêt refusez-vous d'obliger ma maÃtresse, qui vous sert actuellement vous-même, et qui, en revanche, vous demande en grâce de servir votre propre ami? Je ne vous conçois pas! Frontin, quelle fantaisie lui prend-il donc? Pourquoi se fâche-t-il contre Hortense? Sais-tu ce que c'est? Frontin. - Eh! mon enfant, c'est qu'il l'aime. Marton. - Bon! Tu rêves. Cela ne se peut pas. Dit-il vrai, Monsieur? Rosimond. - Marton, je suis au désespoir! Marton. - Quoi! Vous? Rosimond. - Ne me trahis pas; je rougirais que l'ingrate le sût mais, je te l'avoue, Marton oui, je l'aime, je l'adore, et je ne saurai supporter sa perte. Marton. - Ah! C'est parler que cela; voilà ce qu'on appelle des expressions. Rosimond. - Garde-toi surtout de les répéter. Marton. - Voilà qui ne vaut rien, vous retombez. Frontin. - Oui, Monsieur, dites toujours je l'adore; ce mot-là vous portera bonheur. Rosimond. - L'ingrate! Marton. - Vous avez tort; car il faut que je me fâche à mon tour. Est-ce que ma maÃtresse se doute seulement que vous l'aimez? jamais le mot d'amour est-il sorti de votre bouche pour elle? Il semblait que vous auriez eu peur de compromettre votre importance; ce n'était pas la peine que votre coeur se développât sérieusement pour ma maÃtresse, ni qu'il se mÃt en frais de sentiment pour elle. Trop heureuse de vous épouser, vous lui faisiez la grâce d'y consentir je ne vous parle si franchement, que pour vous mettre au fait de vos torts; il faut que vous les sentiez c'est de vos façons dont vous devez rougir, et non pas d'un amour qui ne vous fait qu'honneur. Frontin. - Si vous saviez le chagrin que nous en avions, Marton et moi; nous en étions si pénétrés... Rosimond. - Je me suis mal conduit, j'en conviens. Marton. - Avec tout ce qui peut rendre un homme aimable, vous n'avez rien oublié pour vous empêcher de l'être. Souvenez-vous des discours de tantôt j'en étais dans une fureur... Frontin. - Oui, elle m'a dit que vous l'aviez scandalisée; car elle est notre amie. Marton. - C'est un malentendu qui nous sépare; et puis, concluons quelque chose, un mariage arrêté, convenable, dont je faisais cas voilà de votre style; et avec qui? Avec la plus charmante et la plus raisonnable fille du monde, et je dirai même, la plus disposée d'abord à vous vouloir du bien. Rosimond. - Ah! Marton, n'en dis pas davantage. J'ouvre les yeux; je me déteste, et il n'est plus temps! Marton. - Je ne dis pas cela, Monsieur le Marquis, votre état me touche, et peut-être touchera-t-il ma maÃtresse. Frontin. - Cette belle dame a l'air si clément! Marton. - Me promettez-vous de rester comme vous êtes? Continuerez-vous d'être aussi aimable que vous l'êtes actuellement? En est-ce fait? N'y a-t-il plus de petit-maÃtre? Rosimond. - Je suis confus de l'avoir été, Marton. Frontin. - Je pleure de joie. Marton. - Eh bien, portez-lui donc ce coeur tendre et repentant; jetez-vous à ses genoux, et n'en sortez point qu'elle ne vous ait fait grâce. Rosimond. - Je m'y jetterai, Marton, mais sans espérance, puisqu'elle aime Dorante. Marton. - Doucement; Dorante ne lui a plu qu'en s'efforçant de lui plaire, et vous lui avez plu d'abord. Cela est différent c'est reconnaissance pour lui, c'était inclination pour vous, et l'inclination reprendra ses droits. Je la vois qui s'avance; nous vous laissons avec elle. Scène X Rosimond, Hortense Hortense. - Bonnes nouvelles, Monsieur le Marquis, tout est pacifié. Rosimond, se jetant à ses genoux. - Et moi je meurs de douleur, et je renonce à tout, puisque je vous perds, Madame. Hortense. - Ah! Ciel! Levez-vous, Rosimond; ne vous troublez pas, et dites-moi ce que cela signifie. Rosimond. - Je ne mérite pas, Hortense, la bonté que vous avez de m'entendre; et ce n'est pas en me flattant de vous fléchir, que je viens d'embrasser vos genoux. Non, je me fais justice; je ne suis pas même digne de votre haine, et vous ne me devez que du mépris; mais mon coeur vous a manqué de respect; il vous a refusé l'aveu de tout l'amour dont vous l'aviez pénétré, et je veux, pour l'en punir, vous déclarer les motifs ridicules du mystère qu'il vous en a fait. Oui, belle Hortense, cet amour que je ne méritais pas de sentir, je ne vous l'ai caché que par le plus misérable, par le plus incroyable orgueil qui fût jamais. Triomphez donc d'un malheureux qui vous adorait, qui a pourtant négligé de vous le dire, et qui a porté la présomption, jusqu'à croire que vous l'aimeriez sans cela voilà ce que j'étais devenu par de faux airs; refusez-m'en le pardon que je vous en demande; prenez en réparation de mes folies l'humiliation que j'ai voulu subir en vous les apprenant; si ce n'est pas assez, riez-en vous-même, et soyez sûre d'en être toujours vengée par la douleur éternelle que j'en emporte. Scène XI Dorimène, Dorante, Hortense, Rosimond Dorimène. - Enfin, Marquis, vous ne vous plaindrez plus, je suis à vous, il vous est permis de m'épouser; il est vrai qu'il m'en coûte le sacrifice de ma fierté mais, que ne fait-on pas pour ce qu'on aime? Rosimond. - Un moment, de grâce, Madame. Dorante. - Votre père consent à mon bonheur, si vous y consentez vous-même, Madame. Hortense. - Dans un instant, Dorante. Rosimond, à Hortense. - Vous ne me dites rien, Hortense? Je n'aurai pas même, en partant, la triste consolation d'espérer que vous me plaindrez. Dorimène. - Que veut-il dire avec sa consolation? De quoi demande-t-il donc qu'on le plaigne? Rosimond. - Ayez la bonté de ne pas m'interrompre. Hortense. - Quoi, Rosimond, vous m'aimez? Rosimond. - Et mon amour ne finira qu'avec ma vie. Dorimène. - Mais, parlez donc? Répétez-vous une scène de comédie? Rosimond. - Eh! de grâce. Dorante. - Que dois-je penser, Madame? Hortense. - Tout à l'heure. A Rosimond. Et vous n'aimez pas Dorimène? Rosimond. - Elle est présente; et je dis que je vous adore; et je le dis sans être infidèle approuvez que je n'en dise pas davantage. Dorimène. - Comment donc, vous l'adorez! Vous ne m'aimez pas? A-t-il perdu l'esprit? Je ne plaisante plus, moi. Dorante. - Tirez-moi de l'inquiétude où je suis, Madame? Rosimond. - Adieu, belle Hortense; ma présence doit vous être à charge. Puisse Dorante, à qui vous accordez votre coeur, sentir toute l'étendue du bonheur que je perds. A Dorante. Tu me donnes la mort, Dorante; mais je ne mérite pas de vivre, et je te pardonne. Dorimène. - Voilà qui est bien particulier! Hortense. - Arrêtez, Rosimond; ma main peut-elle effacer le ressouvenir de la peine que je vous ai faite? Je vous la donne. Rosimond. - Je devrais expirer d'amour, de transport et de reconnaissance. Dorimène. - C'est un rêve! Voyons. A quoi cela aboutira-t-il? Hortense, à Rosimond. - Ne me sachez pas mauvais gré de ce qui s'est passé; je vous ai refusé ma main, j'ai montré de l'éloignement pour vous; rien de tout cela n'était sincère c'était mon coeur qui éprouvait le vôtre. Vous devez tout à mon penchant; je voulais pouvoir m'y livrer, je voulais que ma raison fût contente, et vous comblez mes souhaits; jugez à présent du cas que j'ai fait de votre coeur par tout ce que j'ai tenté pour en obtenir la tendresse entière. Rosimond se jette à genoux. Dorimène, en s'en allant. - Adieu. Je vous annonce qu'il faudra l'enfermer au premier jour. Scène XII Le Comte, La Marquise, Marton, Frontin Le Comte. - Rosimond à vos pieds, ma fille! Qu'est-ce que cela veut dire? Hortense. - Mon père, c'est Rosimond qui m'aime, et que j'épouserai si vous le souhaitez. Rosimond. - Oui, Monsieur, c'est Rosimond devenu raisonnable, et qui ne voit rien d'égal au bonheur de son sort. Le Comte, à Dorante. - Nous les destinions l'un à l'autre, Monsieur; vous m'aviez demandé ma fille mais vous voyez bien qu'il n'est plus question d'y songer. La Marquise. - Ah! mon fils! Que cet événement me charme! Dorante, à Hortense. - Je ne me plains point, Madame; mais votre procédé est cruel. Hortense. - Vous n'avez rien à me reprocher, Dorante; vous vouliez profiter des fautes de votre ami, et ce dénouement-ci vous rend justice. Frontin. - Ah, Monsieur! Ah, Madame! Mon incomparable Marton. Marton. - Aime-moi à présent tant que tu voudras, il n'y aura rien de perdu. Fin La Mère confidente Acteurs Comédie en trois actes et en prose représentée pour la première fois par les comédiens Italiens le 9 mai 1735 Acteurs Madame Argante. Angélique, sa fille. Lisette, sa suivante. Dorante, amant d'Angélique. Ergaste, son oncle. Lubin, paysan valet de Madame Argante. La scène se passe à la campagne, chez Madame Argante. Acte premier Scène première Dorante, Lisette Dorante. - Quoi! vous venez sans Angélique, Lisette? Lisette. - Elle arrivera bientôt, elle est avec sa mère, je lui ai dit que j'allais toujours devant, et je ne me suis hâtée que pour avoir avec vous un moment d'entretien, sans qu'elle le sache. Dorante. - Que me veux-tu, Lisette? Lisette. - Ah ça, Monsieur, nous ne vous connaissons, Angélique et moi, que par une aventure de promenade dans cette campagne. Dorante. - Il est vrai. Lisette. - Vous êtes tous deux aimables, l'amour s'est mis de la partie, cela est naturel; voilà sept ou huit entrevues que nous avons avec vous, à l'insu de tout le monde; la mère, à qui vous êtes inconnu, pourrait à la fin en apprendre quelque chose, toute l'intrigue retomberait sur moi terminons; Angélique est riche, vous êtes tous deux d'une égale condition, à ce que vous dites; engagez vos parents à la demander pour vous en mariage; il n'y a pas même de temps à perdre. Dorante. - C'est ici où gÃt la difficulté. Lisette. - Vous auriez de la peine à trouver un meilleur parti, au moins. Dorante. - Eh! il n'est que trop bon. Lisette. - Je ne vous entends pas. Dorante. - Ma famille vaut la sienne, sans contredit, mais je n'ai pas de bien, Lisette. Lisette, étonnée. - Comment? Dorante. - Je dis les choses comme elles sont; je n'ai qu'une très petite légitime. Lisette, brusquement. - Vous? Tant pis; je ne suis point contente de cela, qui est-ce qui le devinerait à votre air? Quand on n'a rien, faut-il être de si bonne mine? Vous m'avez trompée, Monsieur. Dorante. - Ce n'était pas mon dessein. Lisette. - Cela ne se fait pas, vous dis-je, que diantre voulez-vous qu'on fasse de vous? Vraiment Angélique vous épouserait volontiers, mais nous avons une mère qui ne sera pas tentée de votre légitime, et votre amour ne nous donnerait que du chagrin. Dorante. - Eh! Lisette, laisse aller les choses, je t'en conjure; il peut arriver tant d'accidents! Si je l'épouse, je te jure d'honneur que je te ferai ta fortune; tu n'en peux espérer autant de personne, et je tiendrai parole. Lisette. - Ma fortune? Dorante. - Oui, je te le promets. Ce n'est pas le bien d'Angélique qui me fait envie si je ne l'avais pas rencontrée ici, j'allais, à mon retour à Paris, épouser une veuve très riche et peut-être plus riche qu'elle, tout le monde le sait, mais il n'y a plus moyen j'aime Angélique; et si jamais tes soins m'unissaient à elle, je me charge de ton établissement. Lisette, rêvant un peu. - Vous êtes séduisant; voilà une façon d'aimer qui commence à m'intéresser, je me persuade qu'Angélique serait bien avec vous. Dorante. - Je n'aimerai jamais qu'elle. Lisette. - Vous lui ferez donc sa fortune aussi bien qu'à moi, mais, Monsieur, vous n'avez rien, dites-vous? cela est dur, n'héritez-vous de personne, tous vos parents sont-ils ruinés? Dorante. - Je suis le neveu d'un homme qui a de très grands biens, qui m'aime beaucoup, et qui me traite comme un fils. Lisette. - Eh! que ne parlez-vous donc? d'où vient me faire peur avec vos tristes récits, pendant que vous en avez de si consolants à faire? Un oncle riche, voilà qui est excellent; et il est vieux, sans doute, car ces Messieurs-là ont coutume de l'être. Dorante. - Oui, mais le mien ne suit pas la coutume, il est jeune. Lisette. - Jeune! et de quelle jeunesse encore? Dorante. - Il n'a que trente-cinq ans. Lisette. - Miséricorde! trente-cinq ans! Cet homme-là n'est bon qu'à être le neveu d'un autre. Dorante. - Il est vrai. Lisette. - Mais du moins, est-il un peu infirme? Dorante. - Point du tout, il se porte à merveille, il est, grâce au ciel, de la meilleure santé du monde, car il m'est cher. Lisette. - Trente-cinq ans et de la santé, avec un degré de parenté comme celui-là ! Le joli parent! Et quelle est l'humeur de ce galant homme? Dorante. - Il est froid, sérieux et philosophe. Lisette. - Encore passe, voilà une humeur qui peut nous dédommager de la vieillesse et des infirmités qu'il n'a pas il n'a qu'à nous assurer son bien. Dorante. - Il ne faut pas s'y attendre; on parle de quelque mariage en campagne pour lui. Lisette, s'écriant. - Pour ce philosophe! Il veut donc avoir des héritiers en propre personne? Dorante. - Le bruit en court. Lisette. - Oh! Monsieur, vous m'impatientez avec votre situation; en vérité, vous êtes insupportable, tout est désolant avec vous, de quelque côté qu'on se tourne. Dorante. - Te voilà donc dégoûtée de me servir? Lisette, vivement. - Non, vous avez un malheur qui me pique et que je veux vaincre; mais retirez-vous, voici Angélique qui arrive, je ne lui ai pas dit que vous viendriez ici, quoiqu'elle s'attende bien de vous y voir; vous reparaÃtrez dans un instant et ferez comme si vous arriviez, donnez-moi le temps de l'instruire de tout, j'ai à lui rendre compte de votre personne, elle m'a chargée de savoir un peu de vos nouvelles, laissez-moi faire. Dorante sort. Scène II Angélique, Lisette Lisette. - Je désespérais que vous vinssiez, Madame. Angélique. - C'est qu'il est arrivé du monde à qui j'ai tenu compagnie. Eh bien! Lisette, as-tu quelque chose à me dire de Dorante? as-tu parlé de lui à la concierge du château où il est? Lisette. - Oui, je suis parfaitement informée. Dorante est un homme charmant, un homme aimé, estimé de tout le monde, en un mot, le plus honnête homme qu'on puisse connaÃtre. Angélique. - Hélas! Lisette, je n'en doutais pas, cela ne m'apprend rien, je l'avais deviné. Lisette. - Oui; il n'y a qu'à le voir pour avoir bonne opinion de lui. Il faut pourtant le quitter, car il ne vous convient pas. Angélique. - Le quitter! Quoi! après cet éloge! Lisette. - Oui, Madame, il n'est pas votre fait. Angélique. - Ou vous plaisantez, ou la tête vous tourne. Lisette. - Ni l'un ni l'autre. Il a un défaut terrible. Angélique. - Tu m'effrayes. Lisette. - Il est sans bien. Angélique. - Ah! je respire! N'est-ce que cela? Explique-toi donc mieux, Lisette ce n'est pas un défaut, c'est un malheur, je le regarde comme une bagatelle, moi. Lisette. - Vous parlez juste; mais nous avons une mère, allez la consulter sur cette bagatelle-là , pour voir un peu ce qu'elle vous répondra; demandez-lui si elle sera d'avis de vous donner Dorante. Angélique. - Et quel est le tien là -dessus, Lisette? Lisette. - Oh! le mien, c'est une autre affaire; sans vanité, je penserais un peu plus noblement que cela, ce serait une fort belle action que d'épouser Dorante. Angélique. - Va, va, ne ménage pas mon coeur, il n'est pas au-dessous du tien, conseille-moi hardiment une belle action. Lisette. - Non pas, s'il vous plaÃt. Dorante est un cadet et l'usage veut qu'on le laisse là . Angélique. - Je l'enrichirais donc? Quel plaisir! Lisette. - Oh! vous en direz tant que vous me tenterez. Angélique. - Plus il me devrait, et plus il me serait cher. Lisette. - Vous êtes tous deux les plus aimables enfants du monde, car il refuse aussi, à cause de vous, une veuve très riche, à ce qu'on dit. Angélique. - Lui? eh bien! il a eu la modestie de s'en taire, c'est toujours de nouvelles qualités que je lui découvre. Lisette. - Allons, Madame, il faut que vous épousiez cet homme-là , le ciel vous destine l'un à l'autre, cela est visible. Rappelez-vous votre aventure nous nous promenons toutes deux dans les allées de ce bois. Il y a mille autres endroits pour se promener; point du tout, cet homme, qui nous est inconnu, ne vient qu'à celui-ci, parce qu'il faut qu'il nous rencontre. Qu'y faisiez-vous? Vous lisiez. Qu'y faisait-il? Il lisait. Y a-t-il rien de plus marqué? Angélique. - Effectivement. Lisette. - Il vous salue, nous le saluons, le lendemain, même promenade, mêmes allées, même rencontre, même inclination des deux côtés, et plus de livres de part et d'autre; cela est admirable! Angélique. - Ajoute que j'ai voulu m'empêcher de l'aimer, et que je n'ai pu en venir à bout. Lisette. - Je vous en défierais. Angélique. - Il n'y a plus que ma mère qui m'inquiète, cette mère qui m'idolâtre, qui ne m'a jamais fait sentir que son amour, qui ne veut jamais que ce que je veux. Lisette. - Bon! c'est que vous ne voulez jamais que ce qui lui plaÃt. Angélique. - Mais si elle fait si bien que ce qui lui plaÃt me plaise aussi, n'est-ce pas comme si je faisais toujours mes volontés? Lisette. - Est-ce que vous tremblez déjà ? Angélique. - Non, tu m'encourages, mais c'est ce misérable bien que j'ai et qui me nuira ah! que je suis fâchée d'être si riche! Lisette. - Ah! le plaisant chagrin! Eh! ne l'êtes-vous pas pour vous deux? Angélique. - Il est vrai. Ne le verrons-nous pas aujourd'hui? Quand reviendra-t-il? Lisette regarde sa montre. - Attendez, je vais vous le dire. Angélique. - Comment! est-ce que tu lui as donné rendez-vous? Lisette. - Oui, il va venir, il ne tardera pas deux minutes, il est exact. Angélique. - Vous n'y songez pas, Lisette; il croira que c'est moi qui le lui ai fait donner. Lisette. - Non, non, c'est toujours avec moi qu'il les prend, et c'est vous qui les tenez sans le savoir. Angélique. - Il a fort bien fait de ne m'en rien dire, car je n'en aurais pas tenu un seul; et comme vous m'avertissez de celui-ci, je ne sais pas trop si je puis rester avec bienséance, j'ai presque envie de m'en aller. Lisette. - Je crois que vous avez raison. Allons, partons, Madame. Angélique. - Une autre fois, quand vous lui direz de venir, du moins ne m'avertissez pas, voilà tout ce que je vous demande. Lisette. - Ne nous fâchons pas, le voici. Scène III Dorante, Angélique, Lisette, Lubin, éloigné. Angélique. - Je ne vous attendais pas, au moins, Dorante. Dorante. - Je ne sais que trop que c'est à Lisette que j'ai l'obligation de vous voir ici, Madame. Lisette, sans regarder. - Je lui ai pourtant dit que vous viendriez. Angélique. - Oui, elle vient de me l'apprendre tout à l'heure. Lisette. - Pas tant tout à l'heure. Angélique. - Taisez-vous, Lisette. Dorante. - Me voyez-vous à regret, Madame? Angélique. - Non, Dorante, si j'étais fâchée de vous voir, je fuirais les lieux où je vous trouve, et où je pourrais soupçonner de vous rencontrer. Lisette. - Oh! pour cela, Monsieur, ne vous plaignez pas; il faut rendre justice à Madame il n'y a rien de si obligeant que les discours qu'elle vient de me tenir sur votre compte. Angélique. - Mais, en vérité, Lisette!... Dorante. - Eh! Madame, ne m'enviez pas la joie qu'elle me donne. Lisette. - Où est l'inconvénient de répéter des choses qui ne sont que louables? Pourquoi ne saurait-il pas que vous êtes charmée que tout le monde l'aime et l'estime? Y a-t-il du mal à lui dire le plaisir que vous vous proposez à le venger de la fortune, à lui apprendre que la sienne vous le rend encore plus cher? Il n'y a point à rougir d'une pareille façon de penser, elle fait l'éloge de votre coeur. Dorante. - Quoi! charmante Angélique, mon bonheur irait-il jusque-là ? Oserais-je ajouter foi à ce qu'elle me dit? Angélique. - Je vous avoue qu'elle est bien étourdie. Dorante. - Je n'ai que mon coeur à vous offrir, il est vrai, mais du moins n'en fut-il jamais de plus pénétré ni de plus tendre. Lubin paraÃt dans l'éloignement. Lisette. - Doucement, ne parlez pas si haut, il me semble que je vois le neveu de notre fermier qui nous observe; ce grand benêt-là , que fait-il ici? Angélique. - C'est lui-même. Ah! que je suis inquiète! Il dira tout à ma mère. Adieu, Dorante, nous nous reverrons, je me sauve, retirez-vous aussi. Elle sort. Dorante veut s'en aller. Lisette, l'arrêtant. - Non, Monsieur, arrêtez, il me vient une idée il faut tâcher de le mettre dans nos intérêts, il ne me hait pas. Dorante. - Puisqu'il nous a vus, c'est le meilleur parti. Scène IV Dorante, Lisette, Lubi Lisette, à Dorante. - Laissez-moi faire. Ah! te voilà , Lubin? à quoi t'amuses-tu là ? Lubin. - Moi? D'abord je faisais une promenade, à présent je regarde. Lisette. - Et que regardes-tu? Lubin. - Des oisiaux, deux qui restont, et un qui viant de prenre sa volée, et qui est le plus joli de tous. Regardant Dorante. En velà un qui est bian joli itou, et jarnigué! ils profiteront bian avec vous, car vous les sifflez comme un charme, Mademoiselle Lisette. Lisette. - C'est-à -dire que tu nous as vu, Angélique et moi, parler à Monsieur? Lubin. - Oh! oui, j'ons tout vu à mon aise, j'ons mêmement entendu leur petit ramage. Lisette. - C'est le hasard qui nous a fait rencontrer Monsieur, et voilà la première fois que nous le voyons. Lubin. - Morgué! qu'alle a bonne meine cette première fois-là , alle ressemble à la vingtième! Dorante. - On ne saurait se dispenser de saluer une dame quand on la rencontre, je pense. Lubin, riant. - Ah! ah! ah! vous tirez donc voute révérence en paroles, vous convarsez depuis un quart d'heure, appelez-vous ça un coup de chapiau? Lisette. - Venons au fait, serais-tu d'humeur d'entrer dans nos intérêts? Lubin. - Peut-être qu'oui, peut-être que non, ce sera suivant les magnières du monde; il gnia que ça qui règle, car j'aime les magnières, moi. Lisette. - Eh bien! Lubin, je te prie instamment de nous servir. Dorante lui donne de l'argent. - Et moi, je te paye pour cela. Lubin. - Je vous baille donc la parfarence; redites voute chance, alle sera pu bonne ce coup-ci que l'autre, d'abord c'est une rencontre, n'est-ce pas? ça se pratique, il n'y a pas de malhonnêteté à rencontrer les parsonnes. Lisette. - Et puis on se salue. Lubin. - Et pis queuque bredouille au bout de la révérence, c'est itou ma coutume; toujours je bredouille en saluant, et quand ça se passe avec des femmes, faut bian qu'alles répondent deux paroles pour une; les hommes parlent, les femmes babillent, allez voute chemin; velà qui est fort bon, fort raisonnable et fort civil. Oh çà ! la rencontre, la salutation, la demande, et la réponse, tout ça est payé! il n'y a pus qu'à nous accommoder pour le courant. Dorante. - Voilà pour le courant. Lubin. - Courez donc tant que vous pourrez, ce que vous attraperez, c'est pour vous; je n'y prétends rin, pourvu que j'attrape itou. Sarviteur, il n'y a, morgué! parsonne de si agriable à rencontrer que vous. Lisette. - Tu seras donc de nos amis à présent. Lubin. - Tatigué! oui, ne m'épargnez pas, toute mon amiquié est à voute sarvice au même prix. Lisette. - Puisque nous pouvons compter sur toi, veux-tu bien actuellement faire le guet pour nous avertir, en cas que quelqu'un vienne, et surtout Madame? Lubin. - Que vos parsonnes se tiennent en paix, je vous garantis des passants une lieue à la ronde. Il sort. Scène V Dorante, Lisette Lisette. - Puisque nous voici seuls un moment, parlons encore de votre amour, Monsieur. Vous m'avez fait de grandes promesses en cas que les choses réussissent; mais comment réussiront-elles? Angélique est une héritière, et je sais les intentions de la mère, quelque tendresse qu'elle ait pour sa fille, qui vous aime, ce ne sera pas à vous à qui elle la donnera, c'est de quoi vous devez être bien convaincu; or, cela supposé, que vous passe-t-il dans l'esprit là -dessus? Dorante. - Rien encore, Lisette. Je n'ai jusqu'ici songé qu'au plaisir d'aimer Angélique. Lisette. - Mais ne pourriez-vous pas en même temps songer à faire durer ce plaisir? Dorante. - C'est bien mon dessein; mais comment s'y prendre? Lisette. - Je vous le demande. Dorante. - J'y rêverai, Lisette. Lisette. - Ah! vous y rêverez! Il n'y a qu'un petit inconvénient à craindre, c'est qu'on ne marie votre maÃtresse pendant que vous rêverez à la conserver. Dorante. - Que me dis-tu, Lisette? J'en mourrais de douleur. Lisette. - Je vous tiens donc pour mort. Dorante, vivement. - Est-ce qu'on la veut marier? Lisette. - La partie est toute liée avec la mère, il y a déjà un époux d'arrêté, je le sais de bonne part. Dorante. - Eh! Lisette, tu me désespères, il faut absolument éviter ce malheur-là . Lisette. - Ah! ce ne sera pas en disant j'aime, et toujours j'aime... N'imaginez-vous rien? Dorante. - Tu m'accables. Scène VI Lubin, Lisette, Dorante Lubin, accourant. - Gagnez pays, mes bons amis, sauvez-vous, velà l'ennemi qui s'avance. Lisette. - Quel ennemi? Lubin. - Morgué! le plus méchant, c'est la mère d'Angélique. Lisette, à Dorante. - Eh! vite, cachez-vous dans le bois, je me retire. Elle sort. Lubin. - Et moi je ferai semblant d'être sans malice. Scène VII Lubin, Madame Argante Madame Argante. - Ah! c'est toi, Lubin, tu es tout seul? Il me semblait avoir entendu du monde. Lubin. - Non, noute maÃtresse; ce n'est que moi qui me parle et qui me repart, à celle fin de me tenir compagnie, ça amuse. Madame Argante. - Ne me trompes-tu point? Lubin. - Pargué! je serais donc un fripon? Madame Argante. - Je te crois, et je suis bien aise de te trouver, car je te cherchais; j'ai une commission à te donner, que je ne veux confier à aucun de mes gens; c'est d'observer Angélique dans ses promenades, et de me rendre compte de ce qui s'y passe; je remarque que depuis quelque temps elle sort souvent à la même heure avec Lisette, et j'en voudrais savoir la raison. Lubin. - Ca est fort raisonnable. Vous me baillez donc une charge d'espion? Madame Argante. - A peu près. Lubin. - Je savons bian ce que c'est; j'ons la pareille. Madame Argante. - Toi? Lubin. - Oui, ça est fort lucratif; mais c'est qu'ou venez un peu tard, noute maÃtresse, car je sis retenu pour vous espionner vous-même. Madame Argante, à part. - Qu'entends-je? Moi, Lubin? Lubin. - Vraiment oui. Quand Mademoiselle Angélique parle en cachette à son amoureux, c'est moi qui regarde si vous ne venez pas. Madame Argante. - Ceci est sérieux; mais vous êtes bien hardi, Lubin, de vous charger d'une pareille commission. Lubin. - Pardi, y a-t-il du mal à dire à cette jeunesse Velà Madame qui viant, la velà qui ne viant pas? Ca empêche-t-il que vous ne veniez, ou non? Je n'y entends pas de finesse. Madame Argante. - Je te pardonne, puisque tu n'as pas cru mal faire, à condition que tu m'instruiras de tout ce que tu verras et de tout ce que tu entendras. Lubin. - Faura donc que j'acoute et que je regarde? Ce sera moiquié plus de besogne avec vous qu'avec eux. Madame Argante. - Je consens même que tu les avertisses quand j'arriverai, pourvu que tu me rapportes tout fidèlement, et il ne te sera pas difficile de le faire, puisque tu ne t'éloignes pas beaucoup d'eux. Lubin. - Eh! sans doute, je serai tout porté pour les nouvelles, ça me sera commode, aussitôt pris, aussitôt rendu. Madame Argante. - Je te défends surtout de les informer de l'emploi que je te donne, comme tu m'as informé de celui qu'ils t'ont donné; garde-moi le secret. Lubin. - Drès qu'ou voulez qu'an le garde, an le gardera; s'ils me l'aviont commandé, j'aurions fait de même, ils n'aviont qu'à dire. Madame Argante. - N'y manque pas à mon égard, et puisqu'ils ne se soucient point que tu gardes le leur, achève de m'instruire, tu n'y perdras pas. Lubin. - Premièrement, au lieu de pardre avec eux, j'y gagne. Madame Argante. - C'est-à -dire qu'ils te payent? Lubin. - Tout juste. Madame Argante. - Je te promets de faire comme eux, quand je serai rentrée chez moi. Lubin. - Ce que j'en dis n'est pas pour porter exemple, mais ce qu'ou ferez sera toujours bian fait. Madame Argante. - Ma fille a donc un amant? Quel est-il? Lubin. - Un biau jeune homme fait comme une marveille, qui est libéral, qui a un air, une présentation, une philosomie! Dame! c'est ma meine à moi, ce sera la vôtre itou; il n'y a pas de garçon pu gracieux à contempler, et qui fait l'amour avec des paroles si douces! C'est un plaisir que de l'entendre débiter sa petite marchandise! Il ne dit pas un mot qu'il n'adore. Madame Argante. - Et ma fille, que lui répond-elle? Lubin. - Voute fille? mais je pense que bientôt ils s'adoreront tous deux. Madame Argante. - N'as-tu rien retenu de leurs discours? Lubin. - Non, qu'une petite miette. Je n'ai pas de moyen, ce li fait-il. Et moi, j'en ai trop, ce li fait-elle. Mais, li dit-il, j'ai le coeur si tendre! Mais, li dit-elle, qu'est-ce que ma mère s'en souciera? Et pis là -dessus ils se lamentont sur le plus, sur le moins, sur la pauvreté de l'un, sur la richesse de l'autre, ça fait des regrets bian touchants. Madame Argante. - Quel est ce jeune homme? Lubin. - Attendez, il m'est avis que c'est Dorante, et comme c'est un voisin, on peut l'appeler le voisin Dorante. Madame Argante. - Dorante! ce nom-là ne m'est pas inconnu, comment se sont-ils vus? Lubin. - Ils se sont vus en se rencontrant; mais ils ne se rencontrent pus, ils se treuvent. Madame Argante. - Et Lisette, est-elle de la partie? Lubin. - Morgué! oui, c'est leur capitaine, alle a le gouvarnement des rencontres, c'est un trésor pour des amoureux que cette fille-là . Madame Argante. - Voici, ce me semble, ma fille, qui feint de se promener et qui vient à nous; retire-toi, Lubin, continue d'observer et de m'instruire avec fidélité, je te récompenserai. Lubin. - Oh! que oui, Madame, ce sera au logis, il n'y a pas loin. Il sort. Scène VIII Madame Argante, Angélique Madame Argante. - Je vous demandais à Lubin, ma fille. Angélique. - Avez-vous à me parler, Madame? Madame Argante. - Oui; vous connaissez Ergaste, Angélique, vous l'avez vu souvent à Paris, il vous demande en mariage. Angélique. - Lui, ma mère, Ergaste, cet homme si sombre si sérieux, il n'est pas fait pour être un mari, ce me semble. Madame Argante. - Il n'y a rien à redire à sa figure. Angélique. - Pour sa figure, je la lui passe, c'est à quoi je ne regarde guère. Madame Argante. - Il est froid. Angélique. - Dites glacé, taciturne, mélancolique, rêveur et triste. Madame Argante. - Vous le verrez bientôt, il doit venir ici, et s'il ne vous accommode pas, vous ne l'épouserez pas malgré vous, ma chère enfant, vous savez bien comme nous vivons ensemble. Angélique. - Ah! ma mère, je ne crains point de violence de votre part, ce n'est pas là ce qui m'inquiète. Madame Argante. - Es-tu bien persuadée que je t'aime? Angélique. - Il n'y a point de jour qui ne m'en donne des preuves. Madame Argante. - Et toi, ma fille, m'aimes-tu autant? Angélique. - Je me flatte que vous n'en doutez pas, assurément. Madame Argante. - Non, mais pour m'en rendre encore plus sûre, il faut que tu m'accordes une grâce. Angélique. - Une grâce, ma mère! Voilà un mot qui ne me convient point, ordonnez, et je vous obéirai. Madame Argante. - Oh! si tu le prends sur ce ton-là , tu ne m'aimes pas tant que je croyais. Je n'ai point d'ordre à vous donner, ma fille; je suis votre amie, et vous êtes la mienne, et si vous me traitez autrement, je n'ai plus rien à vous dire. Angélique. - Allons, ma mère, je me rends, vous me charmez, j'en pleure de tendresse, voyons, quelle est cette grâce que vous me demandez? Je vous l'accorde d'avance. Madame Argante. - Viens donc que je t'embrasse te voici dans un âge raisonnable, mais où tu auras besoin de mes conseils et de mon expérience; te rappelles-tu l'entretien que nous eûmes l'autre jour; et cette douceur que nous nous figurions toutes deux à vivre ensemble dans la plus intime confiance, sans avoir de secrets l'une pour l'autre; t'en souviens-tu? Nous fûmes interrompues, mais cette idée-là te réjouit beaucoup, exécutons-la, parle-moi à coeur ouvert; fais-moi ta confidente. Angélique. - Vous, la confidente de votre fille? Madame Argante. - Oh! votre fille; et qui te parle d'elle? Ce n'est point ta mère qui veut être ta confidente, c'est ton amie, encore une fois. Angélique, riant. - D'accord, mais mon amie redira tout à ma mère, l'un est inséparable de l'autre. Madame Argante. - Eh bien! je les sépare, moi, je t'en fais serment; oui, mets-toi dans l'esprit que ce que tu me confieras sur ce pied-là , c'est comme si ta mère ne l'entendait pas; eh! mais cela se doit, il y aurait même de la mauvaise foi à faire autrement. Angélique. - Il est difficile d'espérer ce que vous dites là . Madame Argante. - Ah! que tu m'affliges; je ne mérite pas ta résistance. Angélique. - Eh bien! soit, vous l'exigez de trop bonne grâce, j'y consens, je vous dirai tout. Madame Argante. - Si tu veux, ne m'appelle pas ta mère, donne-moi un autre nom. Angélique. - Oh! ce n'est pas la peine, ce nom-là m'est cher, quand je le changerais, il n'en serait ni plus ni moins, ce ne serait qu'une finesse inutile, laissez-le-moi, il ne m'effraye plus. Madame Argante. - Comme tu voudras, ma chère Angélique. Ah çà ! je suis donc ta confidente, n'as-tu rien à me confier dès à présent? Angélique. - Non, que je sache, mais ce sera pour l'avenir. Madame Argante. - Comment va ton coeur? Personne ne l'a-t-il attaqué jusqu'ici? Angélique. - Pas encore. Madame Argante. - Hum! Tu ne te fies pas à moi, j'ai peur que ce ne soit encore à ta mère à qui tu réponds. Angélique. - C'est que vous commencez par une furieuse question. Madame Argante. - La question convient à ton âge. Angélique. - Ah! Madame Argante. - Tu soupires? Angélique. - Il est vrai. Madame Argante. - Que t'est-il arrivé? Je t'offre de la consolation et des conseils, parle. Angélique. - Vous ne me le pardonnerez pas. Madame Argante. - Tu rêves encore, avec tes pardons, tu me prends pour ta mère. Angélique. - Il est assez permis de s'y tromper, mais c'est du moins pour la plus digne de l'être, pour la plus tendre et la plus chérie de sa fille qu'il y ait au monde. Madame Argante. - Ces sentiments-là sont dignes de toi, et je les dirai; mais il ne s'agit pas d'elle, elle est absente revenons, qu'est-ce qui te chagrine? Angélique. - Vous m'avez demandé si on avait attaqué mon coeur? Que trop, puisque j'aime! Madame Argante, d'un air sérieux. - Vous aimez? Angélique, riant. - Eh bien! ne voilà -t-il pas cette mère qui est absente? C'est pourtant elle qui me répond; mais rassurez-vous, car je badine. Madame Argante. - Non, tu ne badines point, tu me dis la vérité, et il n'y a rien là qui me surprenne; de mon côté, je n'ai répondu sérieusement que parce que tu me parlais de même; ainsi point d'inquiétude, tu me confies donc que tu aimes. Angélique. - Je suis presque tentée de m'en dédire. Madame Argante. - Ah! ma chère Angélique, tu ne me rends pas tendresse pour tendresse. Angélique. - Vous m'excuserez, c'est l'air que vous avez pris qui m'a alarmée; mais je n'ai plus peur; oui, j'aime, c'est un penchant qui m'a surpris. Madame Argante. - Tu n'es pas la première, cela peut arriver à tout le monde et quel homme est-ce? est-il à Paris? Angélique. - Non, je ne le connais que d'ici? Madame Argante, riant. - D'ici, ma chère? Conte-moi donc cette histoire-là , je la trouve plus plaisante que sérieuse, ce ne peut être qu'une aventure de campagne, une rencontre? Angélique. - Justement. Madame Argante. - Quelque jeune homme galant, qui t'a salué, et qui a su adroitement engager une conversation? Angélique. - C'est cela même. Madame Argante. - Sa hardiesse m'étonne, car tu es d'une figure qui devait lui en imposer ne trouves-tu pas qu'il a un peu manqué de respect? Angélique. - Non, le hasard a tout fait, et c'est Lisette qui en est cause, quoique fort innocemment; elle tenait un livre, elle le laissa tomber, il le ramassa, et on se parla, cela est tout naturel. Madame Argante, riant. - Va, ma chère enfant, tu es folle de t'imaginer que tu aimes cet homme-là , c'est Lisette qui te le fait accroire, tu es si fort au-dessus de pareille chose! tu en riras toi-même au premier jour. Angélique. - Non, je n'en crois rien, je ne m'y attends pas, en vérité. Madame Argante. - Bagatelle, te dis-je, c'est qu'il y a là dedans un air de roman qui te gagne. Angélique. - Moi, je n'en lis jamais, et puis notre aventure est toute des plus simples. Madame Argante. - Tu verras; te dis-je; tu es raisonnable, et c'est assez; mais l'as-tu vu souvent? Angélique. - Dix ou douze fois. Madame Argante. - Le verras-tu encore? Angélique. - Franchement, j'aurais bien de la peine à m'en empêcher. Madame Argante. - Je t'offre, si tu le veux, de reprendre ma qualité de mère pour te le défendre. Angélique. - Non vraiment, ne reprenez rien, je vous prie, ceci doit être un secret pour vous en cette qualité-là , et je compte que vous ne savez rien, au moins, vous me l'avez promis. Madame Argante. - Oh! je te tiendrai parole, mais puisque cela est si sérieux, peu s'en faut que je ne verse des larmes sur le danger où je te vois, de perdre l'estime qu'on a pour toi dans le monde. Angélique. - Comment donc? l'estime qu'on a pour moi! Vous me faites trembler. Est-ce que vous me croyez capable de manquer de sagesse? Madame Argante. - Hélas! ma fille, vois ce que tu as fait, te serais-tu crue capable de tromper ta mère, de voir à son insu un jeune étourdi, de courir les risques de son indiscrétion et de sa vanité, de t'exposer à tout ce qu'il voudra dire, et de te livrer à l'indécence de tant d'entrevues secrètes, ménagées par une misérable suivante sans coeur, qui ne s'embarrasse guère des conséquences, pourvu qu'elle y trouve son intérêt, comme elle l'y trouve sans doute? qui t'aurait dit, il y a un mois, que tu t'égarerais jusque-là , l'aurais-tu cru? Angélique, triste. - Je pourrais bien avoir tort, voilà des réflexions que je n'ai jamais faites. Madame Argante. - Eh! ma chère enfant, qui est-ce qui te les ferait faire? Ce n'est pas un domestique payé pour te trahir, non plus qu'un amant qui met tout son bonheur à te séduire; tu ne consultes que tes ennemis; ton coeur même est de leur parti, tu n'as pour tout secours que ta vertu qui ne doit pas être contente, et qu'une véritable amie comme moi, dont tu te défies que ne risques-tu pas? Angélique. - Ah! ma chère mère, ma chère amie, vous avez raison, vous m'ouvrez les yeux, vous me couvrez de confusion; Lisette m'a trahie, et je romps avec le jeune homme; que je vous suis obligée de vos conseils! Lubin, à Madame Argante. - Madame, il vient d'arriver un homme qui demande à vous parler. Madame Argante, à Angélique. - En qualité de simple confidente, je te laisse libre; je te conseille pourtant de me suivre, car le jeune homme est peut-être ici. Angélique. - Permettez-moi de rêver un instant, et ne vous embarrassez point; s'il y est, et qu'il ose paraÃtre, je le congédierai, je vous assure. Madame Argante. - Soit, mais songe à ce que je t'ai dit. Elle sort. Scène IX Angélique, un moment seule, Lubin survient. Angélique. - Voilà qui est fait, je ne le verrai plus. Lubin, sans s'arrêter, lui remet une lettre dans la main. Arrêtez, de qui est-elle? Lubin, en s'en allant, de loin. - De ce cher poulet. C'est voute galant qui vous la mande. Angélique la rejette loin. - Je n'ai point de galant, rapportez-la. Lubin. - Elle est faite pour rester. Angélique. - Reprenez-la, encore une fois, et retirez-vous. Lubin. - Eh morgué! queu fantaisie! je vous dis qu'il faut qu'alle demeure, à celle fin que vous la lisiais, ça m'est enjoint, et à vous aussi; il y a dedans un entretien pour tantôt, à l'heure qui vous fera plaisir, et je sis enchargé d'apporter l'heure à Lisette, et non pas la lettre. Ramassez-la, car je n'ose, de peur qu'en ne me voie, et pis vous me crierez la réponse tout bas. Angélique. - Ramasse-la toi-même, et va-t'en, je te l'ordonne. Lubin. - Mais voyez ce rat qui lui prend! Non, morgué! je ne la ramasserai pas, il ne sera pas dit que j'aie fait ma commission tout de travars. Angélique, s'en allant. - Cet impertinent! Lubin la regarde s'en aller. - Faut qu'alle ai de l'avarsion pour l'écriture. Acte II Scène première Dorante, Lubin Lubin entre le premier et dit. - Parsonne ne viant. Dorante entre. Eh palsangué! arrivez donc, il y a pu d'une heure que je sis à l'affût de vous. Dorante. - Eh bien! qu'as-tu à me dire? Lubin. - Que vous ne bougiais d'ici, Lisette m'a dit de vous le commander. Dorante. - T'a-t-elle dit l'heure qu'Angélique a prise pour notre rendez-vous? Lubin. - Non, alle vous contera ça. Dorante. - Est-ce là tout? Lubin. - C'est tout par rapport à vous, mais il y a un restant par rapport à moi. Dorante. - De quoi est-il question? Lubin. - C'est que je me repens... Dorante. - Qu'appelles-tu te repentir? Lubin. - J'entends qu'il y a des scrupules qui me tourmentont sur vos rendez-vous que je protège, j'ons queuquefois la tentation de vous torner casaque sur tout ceci, et d'aller nous accuser tretous. Dorante. - Tu rêves, et où est le mal de ces rendez-vous? Que crains-tu? ne suis-je pas honnête homme? Lubin. - Morgué! moi itou, et tellement honnête, qu'il n'y aura pas moyen d'être un fripon, si on ne me soutient le coeur, par rapport à ce que j'ons toujours maille à partie avec ma conscience; il y a toujours queuque chose qui cloche dans mon courage; à chaque pas que je fais, j'ai le défaut de m'arrêter, à moins qu'on ne me pousse, et c'est à vous à pousser. Dorante, tirant une bague qu'il lui donne. - Eh! morbleu! prends encore cela, et continue. Lubin. - Ça me ravigote. Dorante. - Dis-moi, Angélique viendra-t-elle bientôt? Lubin. - Peut-être biantôt, peut-être bian tard, peut-être point du tout. Dorante. - Point du tout, qu'est-ce que tu veux dire? Comment a-t-elle reçu ma lettre? Lubin. - Ah! comment? Est-ce que vous me faites itou voute rapporteux auprès d'elle? Pargué! je serons donc l'espion à tout le monde? Dorante. - Toi? Eh! de qui l'es-tu encore? Lubin. - Eh! pardi! de la mère, qui m'a bian enchargé de n'en rian dire. Dorante. - Misérable! tu parles donc contre nous? Lubin. - Contre vous, Monsieur? Pas le mot, ni pour ni contre, je fais ma main, et velà tout, faut pas mêmement que vous sachiez ça. Dorante. - Explique-toi donc; c'est-à -dire que ce que tu en fais, n'est que pour obtenir quelque argent d'elle sans nous nuire? Lubin. - Velà cen que c'est, je tire d'ici, je tire d'ilà , et j'attrape. Dorante. - Achève, que t'a dit Angélique quand tu lui as porté ma lettre? Lubin. - Parlez-li toujours, mais ne li écrivez pas, voute griffonnage n'a pas fait forteune. Dorante. - Quoi! ma lettre l'a fâchée? Lubin. - Alle n'en a jamais voulu tâter, le papier la courrouce. Dorante. - Elle te l'a donc rendue? Lubin. - Alle me l'a rendue à tarre, car je l'ons ramassée; et Lisette la tient. Dorante. - Je n'y comprends rien, d'où cela peut-il provenir? Lubin. - Velà Lisette, intarrogez-la, je retorne à ma place pour vous garder. Il sort. Scène II Lisette, Dorante Dorante. - Que viens-je d'apprendre, Lisette? Angélique a rebuté ma lettre! Lisette. - Oui, la voici, Lubin me l'a rendue, j'ignore quelle fantaisie lui a pris, mais il est vrai qu'elle est de fort mauvaise humeur, je n'ai pu m'expliquer avec elle à cause du monde qu'il y avait au logis, mais elle est triste, elle m'a battu froid, et je l'ai trouvée toute changée; je viens pourtant de l'apercevoir là -bas, et j'arrive pour vous en avertir; attendons-la, sa rêverie pourrait bien tout doucement la conduire ici. Dorante. - Non, Lisette, ma vue ne ferait que l'irriter peut-être; il faut respecter ses dégoûts pour moi, je ne les soutiendrais pas, et je me retire. Lisette. - Que les amants sont quelquefois risibles! Qu'ils disent de fadeurs! Tenez, fuyez-la, Monsieur, car elle arrive, fuyez-la, pour la respecter. Scène III Angélique, Dorante, Lisette Angélique. - Quoi! Monsieur est ici! Je ne m'attendais pas à l'y trouver. Dorante. - J'allais me retirer, Madame, Lisette vous le dira je n'avais garde de me montrer; le mépris que vous avez fait de ma lettre m'apprend combien je vous suis odieux. Angélique. - Odieux! Ah! j'en suis quitte à moins; pour indifférent, passe, et très indifférent; quant à votre lettre, je l'ai reçue comme elle le méritait, et je ne croyais pas qu'on eût droit d'écrire aux gens qu'on a vus par hasard; j'ai trouvé cela fort singulier, surtout avec une personne de mon sexe m'écrire, à moi, Monsieur, d'où vous est venue cette idée, je n'ai pas donné lieu à votre hardiesse, ce me semble, de quoi s'agit-il entre vous et moi? Dorante. - De rien pour vous, Madame, mais de tout pour un malheureux que vous accablez. Angélique. - Voilà des expressions aussi déplacées qu'inutiles, et je vous avertis que je ne les écoute point. Dorante. - Eh! de grâce, Madame, n'ajoutez point la raillerie aux discours cruels que vous me tenez, méprisez ma douleur, mais ne vous en moquez pas, je ne vous exagère point ce que je souffre. Angélique. - Vous m'empêchez de parler à Lisette, Monsieur, ne m'interrompez point. Lisette. - Peut-on, sans être trop curieuse, vous demander à qui vous en avez? Angélique. - A vous, et je ne suis venue ici que parce que je vous cherchais, voilà ce qui m'amène. Dorante. - Voulez-vous que je me retire, Madame? Angélique. - Comme vous voudrez, Monsieur. Dorante. - Ciel! Angélique. - Attendez pourtant; puisque vous êtes là , je serai bien aise que vous sachiez ce que j'ai à vous dire vous m'avez écrit, vous avez lié conversation avec moi, vous pourriez vous en vanter, cela n'arrive que trop souvent, et je serais charmée que vous appreniez ce que j'en pense. Dorante. - Me vanter, moi, Madame, de quel affreux caractère me faites-vous là ? Je ne réponds rien pour ma défense, je n'en ai pas la force; si ma lettre vous a déplu, je vous en demande pardon, n'en présumez rien contre mon respect, celui que j'ai pour vous m'est plus cher que la vie, et je vous le prouverai en me condamnant à ne vous plus revoir, puisque je vous déplais. Angélique. - Je vous ai déjà dit que je m'en tenais à l'indifférence. Revenons à Lisette. Lisette. - Voyons, puisque c'est mon tour pour être grondée; je ne saurais me vanter de rien, moi, je ne vous ai écrit ni rencontré, quel est mon crime? Angélique. - Dites-moi, il n'a pas tenu à vous que je n'eusse des dispositions favorables pour Monsieur, c'est par vos soins qu'il a eu avec moi toutes les entrevues où vous m'avez amenée sans me le dire, car c'est sans me le dire, en avez-vous senti les conséquences? Lisette. - Non, je n'ai pas eu cet esprit-là . Angélique. - Si Monsieur, comme je l'ai déjà dit, et à l'exemple de presque tous les jeunes gens, était homme à faire trophée d'une aventure dont je suis tout à fait innocente, où en serais-je? Lisette, à Dorante. - Remerciez, Monsieur. Dorante. - Je ne saurais parler. Angélique. - Si, de votre côté, vous êtes de ces filles intéressées qui ne se soucient pas de faire tort à leurs maÃtresses pourvu qu'elles y trouvent leur avantage, que ne risquerais-je pas? Lisette. - Oh! je répondrai, moi, je n'ai pas perdu la parole si Monsieur est un homme d'honneur à qui vous faites injure, si je suis une fille généreuse, qui ne gagne à tout cela que le joli compliment dont vous m'honorez, où en est avec moi votre reconnaissance, hem? Angélique. - D'où vient donc que vous avez si bien servi Dorante, quel peut avoir été le motif d'un zèle si vif, quels moyens a-t-il employés pour vous faire agir? Lisette. - Je crois vous entendre vous gageriez, j'en suis sûre, que j'ai été séduite par des présents? Gagez, Madame, faites-moi cette galanterie-là , vous perdrez, et ce sera une manière de donner tout à fait noble. Dorante. - Des présents, Madame! Que pourrais-je lui donner qui fût digne de ce que je lui dois? Lisette. - Attendez, Monsieur, disons pourtant la vérité. Dans vos transports, vous m'avez promis d'être extrêmement reconnaissant, si jamais vous aviez le bonheur d'être à Madame, il faut convenir de cela. Angélique. - Eh! je serais la première à vous donner moi-même. Dorante. - Que je suis à plaindre d'avoir livré mon coeur à tant d'amour! Lisette. - J'entre dans votre douleur, Monsieur, mais faites comme moi, je n'avais que de bonnes intentions j'aime ma maÃtresse, tout injuste qu'elle est, je voulais unir son sort à celui d'un homme qui lui aurait rendu la vie heureuse et tranquille, mes motifs lui sont suspects, et j'y renonce; imitez-moi, privez-vous de votre côté du plaisir de voir Angélique, sacrifiez votre amour à ses inquiétudes, vous êtes capable de cet effort-là . Angélique. - Soit. Lisette, à Dorante, à part. - Retirez-vous pour un moment. Dorante. - Adieu, Madame; je vous quitte, puisque vous le voulez; dans l'état où vous me jetez, la vie m'est à charge, je pars pénétré d'une affliction mortelle, et je n'y résisterai point, jamais on n'eut tant d'amour, tant de respect que j'en ai pour vous, jamais on n'osa espérer moins de retour; ce n'est pas votre indifférence qui m'accable, elle me rend justice, j'en aurais soupiré toute ma vie sans m'en plaindre, et ce n'était point à moi, ce n'est peut-être à personne à prétendre à votre coeur; mais je pouvais espérer votre estime, je me croyais à l'abri du mépris, et ni ma passion ni mon caractère n'ont mérité les outrages que vous leur faites. Il sort. Scène IV Angélique, Lisette, Lubin survient. Angélique. - Il est parti? Lisette. - Oui, Madame. Angélique, un moment sans parler, et à part. - J'ai été trop vite, ma mère, avec toute son expérience, en a mal jugé; Dorante est un honnête homme. Lisette, à part. - Elle rêve, elle est triste cette querelle-ci ne nous fera point de tort. Lubin, à Angélique. - J'aperçois par là -bas un passant qui viant envars nous, voulez-vous qu'il vous regarde? Angélique. - Eh! que m'importe? Lisette. - Qu'il passe, qu'est-ce que cela nous fait? Lubin, à part. - Il y a du brit dans le ménage, je m'en retorne donc, je vas me mettre pus près par rapport à ce que je m'ennuie d'être si loin, j'aime à voir le monde, vous me sarvirez de récriation, n'est-ce pas? Lisette. - Comme tu voudras, reste à dix pas. Lubin. - Je les compterai en conscience. A part. Je sis pus fin qu'eux, j'allons faire ma forniture de nouvelles pour la bonne mère. Il s'éloigne. Scène V Angélique, Lisette, Lubin, éloigné. Lisette. - Vous avez furieusement maltraité Dorante! Angélique. - Oui, vous avez raison, j'en suis fâchée, mais laissez-moi, car je suis outrée contre vous. Lisette. - Vous savez si je le mérite. Angélique. - C'est vous qui êtes cause que je me suis accoutumée à le voir. Lisette. - Je n'avais pas dessein de vous rendre un mauvais service, et cette aventure-ci n'est triste que pour lui; avez-vous pris garde à l'état où il est? C'est un homme au désespoir. Angélique. - Je n'y saurais que faire, pourquoi s'en va-t-il? Lisette. - Cela est aisé à dire à qui ne se soucie pas de lui, mais vous savez avec quelle tendresse il vous aime. Angélique. - Et vous prétendez que je ne m'en soucie pas, moi? Que vous êtes méchante! Lisette. - Que voulez-vous que j'en croie? Je vous vois tranquille, et il versait des larmes en s'en allant. Lubin. - Comme alle l'enjole! Angélique. - Lui? Lisette. - Eh! sans doute! Angélique. - Et malgré cela, il part! Lisette. - Eh! vous l'avez congédié. Quelle perte vous faites! Angélique, après avoir rêvé. - Qu'il revienne donc, s'il y est encore, qu'on lui parle, puisqu'il est si affligé. Lisette. - Il ne peut être qu'à l'écart dans ce bois il n'a pu aller loin, accablé comme il l'était. Monsieur Dorante, Monsieur Dorante! Scène VI Dorante, Angélique, Lisette, Lubin, éloigné. Dorante. - Est-ce Angélique qui m'appelle? Lisette. - Oui, c'est moi qui parle, mais c'est elle qui vous demande. Angélique. - Voilà de ces faiblesses que je voudrais bien qu'on m'épargnât. Dorante. - A quoi dois-je m'attendre, Angélique? Que souhaitez-vous d'un homme dont vous ne pouvez plus supporter la vue? Angélique. - Il y a une grande apparence que vous vous trompez. Dorante. - Hélas! vous ne m'estimez plus. Angélique. - Plaignez-vous, je vous laisse dire, car je suis un peu dans mon tort. Dorante. - Angélique a pu douter de mon amour! Angélique. - Elle en a douté pour en être plus sûre, cela est-il si désobligeant? Dorante. - Quoi! j'aurais le bonheur de n'être point haï? Angélique. - J'ai bien peur que ce ne soit tout le contraire. Dorante. - Vous me rendez la vie. Angélique. - Où est cette lettre que j'ai refusé de recevoir? S'il ne tient qu'à la lire, on le veut bien. Dorante. - J'aime mieux vous entendre. Angélique. - Vous n'y perdez pas. Dorante. - Ne vous défiez donc jamais d'un coeur qui vous adore. Angélique. - Oui, Dorante, je vous le promets, voilà qui est fini; excusez tous deux l'embarras où se trouve une fille de mon âge, timide et vertueuse; il y a tant de pièges dans la vie! j'ai si peu d'expérience! serait-il difficile de me tromper si on voulait? Je n'ai que ma sagesse et mon innocence pour toute ressource, et quand on n'a que cela, on peut avoir peur; mais me voilà bien rassurée. Il ne me reste plus qu'un chagrin Que deviendra cet amour? Je n'y vois que des sujets d'affliction! Savez-vous bien que ma mère me propose un époux que je verrai peut-être dans un quart d'heure? Je ne vous disais pas tout ce qui m'agitait, il m'était bien permis d'être fâcheuse, comme vous voyez. Dorante. - Angélique, vous êtes toute mon espérance. Lisette. - Mais si vous avouiez votre amour à cette mère qui vous aime tant, serait-elle inexorable? Il n'y a qu'à supposer que vous avez connu Monsieur à Paris, et qu'il y est. Angélique. - Cela ne mènerait à rien, Lisette, à rien du tout, je sais bien ce que je dis. Dorante. - Vous consentirez donc d'être à un autre? Angélique. - Vous me faites trembler. Dorante. - Je m'égare à la seule idée de vous perdre, et il n'est point d'extrémité pardonnable que je ne sois tenté de vous proposer. Angélique. - D'extrémité pardonnable! Lisette. - J'entrevois ce qu'il veut dire. Angélique. - Quoi! me jeter à ses genoux? C'est bien mon dessein de lui résister, j'aurai bien de la peine, surtout avec une mère aussi tendre. Lisette. - Bon! tendre, si elle l'était tant, vous gênerait-elle là -dessus? Avec le bien que vous avez, vous n'avez besoin que d'un honnête homme, encore une fois. Angélique. - Tu as raison, c'est une tendresse fort mal entendue, j'en conviens. Dorante. - Ah! belle Angélique, si vous avez tout l'amour que j'ai, vous auriez bientôt pris votre parti, ne me demandez point ce que je pense, je me trouble, je ne sais où je suis. Angélique, à Lisette. - Que de peines! Tâche donc de lui remettre l'esprit; que veut-il dire? Lisette. - Eh bien! Monsieur, parlez, quelle est votre idée? Dorante, se jetant à ses genoux. - Angélique, voulez-vous que je meure? Angélique. - Non, levez-vous et parlez, je vous l'ordonne. Dorante. - J'obéis; votre mère sera inflexible, et dans le cas où nous sommes... Angélique. - Que faire? Dorante. - Si j'avais des trésors à vous offrir, je vous le dirais plus hardiment. Angélique. - Votre coeur en est un, achevez, je le veux. Dorante. - A notre place, on se fait son sort à soi-même. Angélique. - Et comment? Dorante. - On s'échappe... Lubin, de loin. - Au voleur! Angélique. - Après? Dorante. - Une mère s'emporte, à la fin elle consent, on se réconcilie avec elle, et on se trouve uni avec ce qu'on aime. Angélique. - Mais ou j'entends mal, ou cela ressemble à un enlèvement; en est-ce un, Dorante? Dorante. - Je n'ai plus rien à dire. Angélique, le regardant. - Je vous ai forcé de parler, et je n'ai que ce que je mérite; Lisette. - Pardonnez quelque chose au trouble où il est le moyen est dur, et il est fâcheux qu'il n'y en ait point d'autre. Angélique. - Est-ce là un moyen, est-ce un remède qu'une extravagance! Ah! je ne vous reconnais pas à cela, Dorante, je me passerai mieux de bonheur que de vertus, me proposer d'être insensée, d'être méprisable? Je ne vous aime plus. Dorante. - Vous ne m'aimez plus! Ce mot m'accable, il m'arrache le coeur. Lisette. - En vérité, son état me touche. Dorante. - Adieu, belle Angélique, je ne survivrai pas à la menace que vous m'avez faite. Angélique. - Mais, Dorante, êtes-vous raisonnable? Lisette. - Ce qu'il vous propose est hardi, mais ce n'est pas un crime. Angélique. - Un enlèvement, Lisette! Dorante. - Ma chère Angélique, je vous perds. Concevez-vous ce que c'est que vous perdre? et si vous m'aimez un peu, n'êtes-vous pas effrayée vous-même de l'idée de n'être jamais à moi? Et parce que vous êtes vertueuse, en avez-vous moins de droit d'éviter un malheur? Nous aurions le secours d'une dame qui n'est heureusement qu'à un quart de lieue d'ici, et chez qui je vous mènerais. Lubin, de loin. - Haye! Haye! Angélique. - Non, Dorante, laissons là votre dame, je parlerai à ma mère; elle est bonne, je la toucherai peut-être, je la toucherai, je l'espère. Ah! Scène VII Lubin, Lisette, Angélique, Dorante Lubin. - Et vite, et vite, qu'on s'éparpille; velà ce grand monsieur que j'ons vu une fois à Paris, cheux vous, et qui ne parle point. Il s'écarte. Angélique. - C'est peut-être celui à qui ma mère me destine, fuyez, Dorante, nous nous reverrons tantôt, ne vous inquiétez point. Dorante sort. Scène VIII Angélique, Lisette, Ergaste Angélique, en le voyant. - C'est lui-même. Ah! quel homme! Lisette. - Il n'a pas l'air éveillé. Ergaste, marchant lentement. - Je suis votre serviteur, Madame; je devance Madame votre mère, qui est embarrassée, elle m'a dit que vous vous promeniez. Angélique. - Vous le voyez, Monsieur. Ergaste. - Et je me suis hâté de venir vous faire la révérence. Lisette, à part. - Appelle-t-il cela se hâter? Ergaste. - Ne suis-je pas importun? Angélique. - Non, Monsieur. Lisette, à part. - Ah! cela vous plaÃt à dire. Ergaste. - Vous êtes plus belle que jamais. Angélique. - Je ne l'ai jamais été. Ergaste. - Vous êtes bien modeste. Lisette, à part. - Il parle comme il marche. Ergaste. - Ce pays-ci est fort beau. Angélique. - Il est passable. Lisette, à part. - Quand il a dit un mot, il est si fatigué qu'il faut qu'il se repose. Ergaste. - Et solitaire. Angélique. - On n'y voit pas grand monde. Lisette. - Quelque importun par-ci par-là . Ergaste. - Il y en a partout. On est du temps sans parler. Lisette, à part. - Voilà la conversation tombée, ce ne sera pas moi qui la relèverai. Ergaste. - Ah! bonjour, Lisette. Lisette. - Bonsoir, Monsieur; je vous dis bonsoir, parce que je m'endors, ne trouvez-vous pas qu'il fait un temps pesant? Ergaste. - Oui, ce me semble. Lisette. - Vous vous en retournez sans doute? Ergaste. - Rien que demain. Madame Argante m'a retenu. Angélique. - Et Monsieur se promène-t-il? Ergaste. - Je vais d'abord à ce château voisin, pour y porter une lettre qu'on m'a prié de rendre en main propre, et je reviens ensuite. Angélique. - Faites, Monsieur, ne vous gênez pas. Ergaste. - Vous me le permettez donc? Angélique. - Oui, Monsieur. Lisette. - Ne vous pressez point, quand on a des commissions, il faut y mettre tout le temps nécessaire, n'avez-vous que celle-là ? Ergaste. - Non, c'est l'unique. Lisette. - Quoi! pas le moindre petit compliment à faire ailleurs? Ergaste. - Non. Angélique. - Monsieur y soupera peut-être? Lisette. - Et à la campagne, on couche où l'on soupe. Ergaste. - Point du tout, je reviens incessamment, Madame. A part, en s'en allant. Je ne sais que dire aux femmes, même à celles qui me plaisent. Il sort. Scène IX Angélique, Lisette Lisette. - Ce garçon-là a de grands talents pour le silence; quelle abstinence de paroles! Il ne parlera bientôt plus que par signes. Angélique. - Il a dit que ma mère allait venir, et je m'éloigne je ne saurais lui parler dans le désordre d'esprit où je suis; j'ai pourtant dessein de l'attendrir sur le chapitre de Dorante. Lisette. - Et moi, je ne vous conseille pas de lui en parler, vous ne ferez que la révolter davantage, et elle se hâterait de conclure. Angélique. - Oh! doucement! je me révolterais à mon tour. Lisette, riant. - Vous, contre cette mère qui dit qu'elle vous aime tant? Angélique, s'en allant. - Eh bien! qu'elle aime donc mieux, car je ne suis point contente d'elle. Lisette. - Retirez-vous, je crois qu'elle vient. Angélique sort Scène X Madame Argante, Lisette, qui veut s'en aller. Madame Argante, l'arrêtant. - Voici cette fourbe de suivante. Un moment, où est ma fille? J'ai cru la trouver ici avec Monsieur Ergaste. Lisette. - Ils y étaient tous deux tout à l'heure, Madame, mais Monsieur Ergaste est allé à cette maison d'ici près, remettre une lettre à quelqu'un, et Mademoiselle est là -bas, je pense. Madame Argante. - Allez lui dire que je serais bien aise de la voir. Lisette, les premiers mots à part. - Elle me parle bien sèchement. J'y vais, Madame, mais vous me paraissez triste, j'ai eu peur que vous ne fussiez fâchée contre moi. Madame Argante. - Contre vous? Est-ce que vous le méritez, Lisette? Lisette. - Non, Madame. Madame Argante. - Il est vrai que j'ai l'air plus occupé qu'à l'ordinaire. Je veux marier ma fille à Ergaste, vous le savez, et je crains souvent qu'elle n'ait quelque chose dans le coeur; mais vous me le diriez, n'est-il pas vrai? Lisette. - Eh mais! je le saurais. Madame Argante. - Je n'en doute pas; allez, je connais votre fidélité, Lisette, je ne m'y trompe pas, et je compte bien vous en récompenser comme il faut; dites à ma fille que je l'attends. Lisette, à part. - Elle prend bien son temps pour me louer! Elle sort. Madame Argante. - Toute fourbe qu'elle est, je l'ai embarrassée. Scène XI Lubin, Madame Argante Madame Argante. - Ah! tu viens à propos. As-tu quelque chose à me dire? Lubin. - Jarnigoi! si jons queuque chose! J'avons vu des pardons, j'avons vu des offenses, des allées, des venues, et pis des moyens pour avoir un mari. Madame Argante. - Hâte-toi de m'instruire, parce que j'attends Angélique. Que sais-tu? Lubin. - Pisque vous êtes pressée, je mettrons tout en un tas. Madame Argante. - Parle donc. Lubin. - Je sais une accusation, je sais une innocence, et pis un autre grand stratagème, attendez, comment appelont-ils cela? Madame Argante. - Je ne t'entends pas mais va-t'en, Lubin, j'aperçois ma fille, tu me diras ce que c'est tantôt, il ne faut pas qu'elle nous voie ensemble. Lubin. - Je m'en retorne donc à la provision. Il sort. Scène XII Madame Argante, Angélique Madame Argante, à part. - Voyons de quoi il sera question. Angélique, les premiers mots à part. - Plus de confidence, Lisette a raison, c'est le plus sûr. Lisette m'a dit que vous me demandiez, ma mère. Madame Argante. - Oui, je sais que tu as vu Ergaste, ton éloignement pour lui dure-t-il toujours? Angélique, souriant. - Ergaste n'a pas changé. Madame Argante. - Te souvient-il qu'avant que nous vinssions ici, tu m'en disais du bien? Angélique. - Je vous en dirai volontiers encore, car je l'estime, mais je ne l'aime point, et l'estime et l'indifférence vont fort bien ensemble. Madame Argante. - Parlons d'autre chose, n'as-tu rien à dire à ta confidente? Angélique. - Non, il n'y a plus rien de nouveau. Madame Argante. - Tu n'as pas revu le jeune homme? Angélique. - Oui, je l'ai retrouvé, je lui ai dit ce qu'il fallait, et voilà qui est fini. Madame Argante, souriant. - Quoi! absolument fini? Angélique. - Oui, tout à fait. Madame Argante. - Tu me charmes, je ne saurais t'exprimer la satisfaction que tu me donnes; il n'y a rien de si estimable que toi, Angélique, ni rien aussi d'égal au plaisir que j'ai à te le dire, car je compte que tu me dis vrai, je me livre hardiment à ma joie, tu ne voudrais pas m'y abandonner, si elle était fausse ce serait une cruauté dont tu n'es pas capable. Angélique, d'un ton timide. - Assurément Madame Argante. - Va, tu n'as pas besoin de me rassurer, ma fille, tu me ferais injure, si tu croyais que j'en doute; non, ma chère Angélique, tu ne verras plus Dorante, tu l'as renvoyé, j'en suis sûre, ce n'est pas avec un caractère comme le tien qu'on est exposé à la douleur d'être trop crédule; n'ajoute donc rien à ce que tu m'as dit tu ne le verras plus, tu m'en assures, et cela suffit; parlons de la raison, du courage et de la vertu que tu viens de montrer. Angélique, d'un air interdit. - Que je suis confuse! Madame Argante. - Grâce au ciel, te voilà donc encore plus respectable, plus digne d'être aimée, plus digne que jamais de faire mes délices; que tu me rends glorieuse, Angélique! Angélique, pleurant. - Ah! ma mère, arrêtez, de grâce. Madame Argante. - Que vois-je? Tu pleures, ma fille, tu viens de triompher de toi-même, tu me vois enchantée, et tu pleures! Angélique, se jetant à ses genoux. - Non, ma mère, je ne triomphe point, votre joie et vos tendresses me confondent, je ne les mérite point. Madame Argante la relève. - Relève-toi, ma chère enfant, d'où te viennent ces mouvements où je te reconnais toujours? Que veulent-ils dire? Angélique. - Hélas! C'est que je vous trompe. Madame Argante. - Toi? Un moment sans rien dire. Non, tu ne me trompes point, puisque tu me l'avoues. Achève; voyons de quoi il est question. Angélique. - Vous allez frémir on m'a parlé d'enlèvement. Madame Argante. - Je n'en suis point surprise, je te l'ai dit il n'y a rien dont ces étourdis-là ne soient capables; et je suis persuadée que tu en as plus frémi que moi. Angélique. - J'en ai tremblé, il est vrai; j'ai pourtant eu la faiblesse de lui pardonner, pourvu qu'il ne m'en parle plus. Madame Argante. - N'importe, je m'en fie à tes réflexions, elles te donneront bien du mépris pour lui. Angélique. - Eh! voilà encore ce qui m'afflige dans l'aveu que je vous fais, c'est que vous allez le mépriser vous-même, il est perdu vous n'étiez déjà que trop prévenue contre lui, et cependant il n'est point si méprisable; permettez que je le justifie je suis peut-être prévenue moi-même; mais vous m'aimez, daignez m'entendre, portez vos bontés jusque-là . Vous croyez que c'est un jeune homme sans caractère, qui a plus de vanité que d'amour, qui ne cherche qu'à me séduire, et ce n'est point cela, je vous assure. Il a tort de m'avoir proposé ce que je vous ai dit; mais il faut regarder que c'est le tort d'un homme au désespoir, que j'ai vu fondre en larmes quand j'ai paru irritée, d'un homme à qui la crainte de me perdre a tourné la tête; il n'a point de bien, il ne s'en est point caché, il me l'a dit, il ne lui restait donc point d'autre ressource que celle dont je vous parle, ressource que je condamne comme vous, mais qu'il ne m'a proposée que dans la seule vue d'être à moi, c'est tout ce qu'il y a compris; car il m'adore, on n'en peut douter. Madame Argante. - Eh! ma fille! il y en aura tant d'autres qui t'aimeront encore plus que lui. Angélique. - Oui, mais je ne les aimerai pas, moi, m'aimassent-ils davantage, et cela n'est pas possible. Madame Argante. - D'ailleurs, il sait que tu es riche. Angélique. - Il l'ignorait quand il m'a vue, et c'est ce qui devrait l'empêcher de m'aimer, il sait bien que quand une fille est riche, on ne la donne qu'à un homme qui a d'autres richesses, toutes inutiles qu'elles sont; c'est, du moins, l'usage, le mérite n'est compté pour rien. Madame Argante. - Tu le défends d'une manière qui m'alarme. Que penses-tu donc de cet enlèvement, dis-moi? tu es la franchise même, ne serais-tu point en danger d'y consentir? Angélique. - Ah! je ne crois pas, ma mère. Madame Argante. - Ta mère! Ah! le ciel la préserve de savoir seulement qu'on te le propose! ne te sers plus de ce nom, elle ne saurait le soutenir dans cette occasion-ci. Mais pourrais-tu la fuir, te sentirais-tu la force de l'affliger jusque-là , de lui donner la mort, de lui porter le poignard dans le sein? Angélique. - J'aimerais mieux mourir moi-même. Madame Argante. - Survivrait-elle à l'affront que tu te ferais? Souffre à ton tour que mon amitié te parle pour elle; lequel aimes-tu le mieux, ou de cette mère qui t'a inspiré mille vertus, ou d'un amant qui veut te les ôter toutes? Angélique. - Vous m'accablez. Dites-lui qu'elle ne craigne rien de sa fille, dites-lui que rien ne m'est plus cher qu'elle, et que je ne verrai plus Dorante, si elle me condamne à le perdre. Madame Argante. - Eh! que perdras-tu dans un inconnu qui n'a rien? Angélique. - Tout le bonheur de ma vie; ayez la bonté de lui dire aussi que ce n'est point la quantité de biens qui rend heureuse, que j'en ai plus qu'il n'en faudrait avec Dorante, que je languirais avec un autre rapportez-lui ce que je vous dis là , et que je me soumets à ce qu'elle en décidera. Madame Argante. - Si tu pouvais seulement passer quelque temps sans le voir, le veux-tu bien? Tu ne me réponds pas, à quoi songes-tu? Angélique. - Vous le dirai-je? Je me repens d'avoir tout dit; mon amour m'est cher, je viens de m'ôter la liberté d'y céder, et peu s'en faut que je ne la regrette; je suis même fâchée d'être éclairée; je ne voyais rien de tout ce qui m'effraye, et me voilà plus triste que je ne l'étais. Madame Argante. - Dorante me connaÃt-il? Angélique. - Non, à ce qu'il m'a dit. Madame Argante. - Eh bien! laisse-moi le voir, je lui parlerai sous le nom d'une tante à qui tu auras tout confié, et qui veut te servir; viens, ma fille, et laisse à mon coeur le soin de conduire le tien. Angélique. - Je ne sais, mais ce que vous inspire votre tendresse m'est d'un bon augure. Acte III Scène première Madame Argante, Lubin Madame Argante. - Personne ne nous voit-il? Lubin. - On ne peut pas nous voir, drès que nous ne voyons parsonne. Madame Argante. - C'est qu'il me semble avoir aperçu là -bas Monsieur Ergaste qui se promène. Lubin. - Qui, ce nouviau venu? Il n'y a pas de danger avec li, ça ne regarde rin, ça dort en marchant. Madame Argante. - N'importe, il faut l'éviter. Voyons ce que tu avais à me dire tantôt et que tu n'as pas eu le temps de m'achever. Est-ce quelque chose de conséquence? Lubin. - Jarni, si c'est de conséquence! il s'agit tant seulement que cet amoureux veut détourner voute fille. Madame Argante. - Qu'appelles-tu la détourner? Lubin. - La loger ailleurs, la changer de chambre velà cen que c'est. Madame Argante. - Qu'a-t-elle répondu? Lubin. - Il n'y a encore rien de décidé; car voute fille a dit Comment, ventregué! un enlèvement, Monsieur, avec une mère qui m'aime tant! Bon! belle amiquié! a dit Lisette. Voute fille a reparti que c'était une honte, qu'alle vous parlerait, vous émouverait, vous embrasserait les jambes; et pis chacun a tiré de son côté, et moi du mian. Madame Argante. - Je saurai y mettre ordre. Dorante va-t-il se rendre ici? Lubin. - Tatigué, s'il viendra! Je li ons donné l'ordre de la part de noute damoiselle, il ne peut pas manquer d'être obéissant, et la chaise de poste est au bout de l'allée. Madame Argante. - La chaise! Lubin. - Eh voirement oui! avec une dame entre deux âges, qu'il a mêmement descendue dans l'hôtellerie du village. Madame Argante. - Et pourquoi l'a-t-il amenée? Lubin. - Pour à celle fin qu'alle fasse compagnie à noute damoiselle si alle veut faire un tour dans la chaise, et pis de là aller souper en ville, à ce qui m'est avis, selon queuques paroles que j'avons attrapées et qu'ils disiont tout bas. Madame Argante. - Voilà de furieux desseins; adieu, je m'éloigne; et surtout ne dis point à Lisette que je suis ici. Lubin. - Je vas donc courir après elle, mais faut que chacun soit content, je sis leur commissionnaire itou à ces enfants, quand vous arriverez, leur dirai-je que vous venez? Madame Argante. - Tu ne leur diras pas que c'est moi, à cause de Dorante qui ne m'attendrait pas, mais seulement que c'est quelqu'un qui approche. A part. Je ne veux pas le mettre entièrement au fait. Lubin. - Je vous entends, rien que queuqu'un, sans nommer parsonne, je ferai voute affaire, noute maÃtresse enfilez le taillis stanpendant que je reste pour la manigance. Scène II Lubin, Ergaste Lubin. - Morgué! je gaigne bien ma vie avec l'amour de cette jeunesse. Bon! à l'autre, qu'est-ce qu'il viant rôder ici, stila? Ergaste, rêveur. - Interrogeons ce paysan, il est de la maison. Lubin, chantant en se promenant. - La, la, la. Ergaste. - Bonjour, l'ami. Lubin. - Serviteur. La, la. Ergaste. - Y a-t-il longtemps que vous êtes ici? Lubin. - Il n'y a que l'horloge qui en sait le compte, moi, je n'y regarde pas. Ergaste. - Il est brusque. Lubin. - Les gens de Paris passont-ils leur chemin queuquefois? restez-vous là , Monsieur? Ergaste. - Peut-être. Lubin. - Oh! que nanni! la civilité ne vous le parmet pas. Ergaste. - Et d'où vient? Lubin. - C'est que vous me portez de l'incommodité, j'ons besoin de ce chemin-ci pour une confarence en cachette. Ergaste. - Je te laisserai libre, je n'aime à gêner personne; mais dis-moi, connais-tu un nommé Monsieur Dorante? Lubin. - Dorante? Oui-da. Ergaste. - Il vient quelquefois ici, je pense, et connaÃt Mademoiselle Angélique? Lubin. - Pourquoi non? Je la connais bian, moi. Ergaste. - N'est-ce pas lui que tu attends? Lubin. - C'est à moi à savoir ça tout seul, si je vous disais oui, nous le saurions tous deux. Ergaste. - C'est que j'ai vu de loin un homme qui lui ressemblait. Lubin. - Eh bien! cette ressemblance, ne faut pas que vous l'aperceviez de près, si vous êtes honnête. Ergaste. - Sans doute, mais j'ai compris d'abord qu'il était amoureux d'Angélique, et je ne me suis approché de toi que pour en être mieux instruit. Lubin. - Mieux! Eh! par la sambille, allez donc oublier ce que vous savez déjà , comment instruire un homme qui est aussi savant que moi? Ergaste. - Je ne te demande plus rien. Lubin. - Voyez qu'il a de peine! Gageons que vous savez itou qu'alle est amoureuse de li? Ergaste. - Non, mais je l'apprends. Lubin. - Oui, parce que vous le saviez; mais transportez-vous plus loin, faites-li place, et gardez le secret, Monsieur, ça est de conséquence. Ergaste. - Volontiers, je te laisse. Il sort. Lubin, le voyant partir. - Queu sorcier d'homme! Dame, s'il n'ignore de rin, ce n'est pas ma faute. Scène III Dorante, Lubin Lubin. - Bon, vous êtes homme de parole, mais dites-moi, avez-vous souvenance de connaÃtre un certain Monsieur Ergaste, qui a l'air d'être gelé, et qu'on dirait qu'il ne va ni ne grouille, quand il marche? Dorante. - Un homme sérieux? Lubin. - Oh! si sérieux que j'en sis tout triste. Dorante. - Vraiment oui! je le connais, s'il s'appelle Ergaste; est-ce qu'il est ici? Lubin. - Il y était tout présentement; mais je li avons finement persuadé d'aller être ailleurs. Dorante. - Explique-toi, Lubin, que fait-il ici? Lubin. - Oh! jarniguienne, ne m'amusez pas, je n'ons pas le temps de vous acouter dire, je sis pressé d'aller avartir Angélique, ne démarrez pas. Dorante. - Mais, dis-moi auparavant... Lubin, en colère. - Tantôt je ferai le récit de ça. Pargué, allez, j'ons bian le temps de lantarner de la manière. Il sort. Scène IV Dorante, Ergaste Dorante, un moment seul. - Ergaste, dit-il; connaÃt-il Angélique dans ce pays-ci? Ergaste, rêvant. - C'est Dorante lui-même. Dorante. - Le voici. Me trompé-je, est-ce vous, Monsieur? Ergaste. - Oui, mon neveu. Dorante. - Par quelle aventure vous trouvé-je dans ce pays-ci? Ergaste. - J'y ai quelques amis que j'y suis venu voir; mais qu'y venez-vous faire vous-même? Vous m'avez tout l'air d'y être en bonne fortune; je viens de vous y voir parler à un domestique qui vous apporte quelque réponse, ou qui vous y ménage quelque entrevue. Dorante. - Je ferais scrupule de vous rien déguiser, il y est question d'amour, Monsieur, j'en conviens. Ergaste. - Je m'en doutais, on parle ici d'une très aimable fille, qui s'appelle Angélique; est-ce à elle à qui s'adressent vos voeux? Dorante. - C'est à elle-même. Ergaste. - Vous avez donc accès chez la mère? Dorante. - Point du tout, je ne la connais pas, et c'est par hasard que j'ai vu sa fille. Ergaste. - Cet engagement-là ne vous réussira pas, Dorante, vous y perdez votre temps, car Angélique est extrêmement riche, on ne la donnera pas à un homme sans bien. Dorante. - Aussi la quitterais-je, s'il n'y avait que son bien qui m'arrêtât, mais je l'aime et j'ai le bonheur d'en être aimé. Ergaste. - Vous l'a-t-elle dit positivement? Dorante. - Oui, je suis sûr de son coeur. Ergaste. - C'est beaucoup, mais il vous reste encore un autre inconvénient c'est qu'on dit que sa mère a pour elle actuellement un riche parti en vue. Dorante. - Je ne le sais que trop, Angélique m'en a instruit. Ergaste. - Et dans quelle disposition est-elle là -dessus? Dorante. - Elle est au désespoir; et dit-on quel homme est ce rival? Ergaste. - Je le connais; c'est un honnête homme. Dorante. - Il faut du moins qu'il soit bien peu délicat s'il épouse une fille qui ne pourra le souffrir; et puisque vous le connaissez, Monsieur, ce serait en vérité lui rendre service, aussi bien qu'à moi, que de lui apprendre combien on le hait d'avance. Ergaste. - Mais on prétend qu'il s'en doute un peu. Dorante. - Il s'en doute et ne se retire pas! Ce n'est pas là un homme estimable. Ergaste. - Vous ne savez pas encore le parti qu'il prendra. Dorante. - Si Angélique veut m'en croire, je ne le craindrai plus; mais quoi qu'il arrive, il ne peut l'épouser qu'en m'ôtant la vie. Ergaste. - Du caractère dont je le connais, je ne crois pas qu'il voulût vous ôter la vôtre, ni que vous fussiez d'humeur à attaquer la sienne; et si vous lui disiez poliment vos raisons, je suis persuadé qu'il y aurait égard; voulez-vous le voir? Dorante. - C'est risquer beaucoup, peut-être avez-vous meilleure opinion de lui qu'il ne le mérite. S'il allait me trahir? Et d'ailleurs, où le trouver? Ergaste. - Oh! rien de plus aisé, car le voilà tout porté pour vous entendre. Dorante. - Quoi! c'est vous, Monsieur? Ergaste. - Vous l'avez dit, mon neveu. Dorante. - Je suis confus de ce qui m'est échappé, et vous avez raison, votre vie est bien en sûreté. Ergaste. - La vôtre ne court pas plus de hasard, comme vous voyez. Dorante. - Elle est plus à vous qu'à moi, je vous dois tout, et je ne dispute plus Angélique. Ergaste. - L'attendez-vous ici? Dorante. - Oui, Monsieur, elle doit y venir; mais je ne la verrai que pour lui apprendre l'impossibilité où je suis de la revoir davantage. Ergaste. - Point du tout, allez votre chemin, ma façon d'aimer est plus tranquille que la vôtre, j'en suis plus le maÃtre, et je me sens touché de ce que vous me dites. Dorante. - Quoi! vous me laissez la liberté de poursuivre? Ergaste. - Liberté tout entière, continuez, vous dis-je, faites comme si vous ne m'aviez pas vu, et ne dites ici à personne qui je suis, je vous le défends bien. Voici Angélique, elle ne m'aperçoit pas encore, je vais lui dire un mot en passant, ne vous alarmez point. Scène V Dorante, Ergaste, Angélique, qui s'est approchée, mais qui, apercevant Ergaste, veut se retirer. Ergaste. - Ce n'est pas la peine de vous retirer, Madame; je suis instruit, je sais que Monsieur vous aime, qu'il n'est qu'un cadet, Lubin m'a tout dit, et mon parti est pris. Adieu, Madame. Il sort. Scène VI Dorante, Angélique Dorante. - Voilà notre secret découvert, cet homme-là , pour se venger, va tout dire à votre mère. Angélique. - Et malheureusement il a du crédit sur son esprit. Dorante. - Il y a apparence que nous nous voyons ici pour la dernière fois, Angélique. Angélique. - Je n'en sais rien, pourquoi Ergaste se trouve-t-il ici? A part. Ma mère aurait-elle quelque dessein? Dorante. - Tout est désespéré, le temps nous presse. Je finis par un mot, m'aimez-vous? m'estimez-vous? Angélique. - Si je vous aime! Vous dites que le temps presse, et vous faites des questions inutiles! Dorante. - Achevez de m'en convaincre; j'ai une chaise au bout de la grande allée, la dame dont je vous ai parlé, et dont la maison est à un quart de lieue d'ici, nous attend dans le village, hâtons-nous de l'aller trouver, et vous rendre chez elle. Angélique. - Dorante, ne songez plus à cela, je vous le défends. Dorante. - Vous voulez donc me dire un éternel adieu? Angélique. - Encore une fois je vous le défends; mettez-vous dans l'esprit que, si vous aviez le malheur de me persuader, je serais inconsolable; je dis le malheur, car n'en serait-ce pas un pour vous de me voir dans cet état? Je crois qu'oui. Ainsi, qu'il n'en soit plus question; ne nous effrayons point, nous avons une ressource. Dorante. - Et quelle est-elle? Angélique. - Savez-vous à quoi je me suis engagée? A vous montrer à une dame de mes parentes. Dorante. - De vos parentes? Angélique. - Oui, je suis sa nièce, et elle va venir ici. Dorante. - Et vous lui avez confié notre amour? Angélique. - Oui. Dorante. - Et jusqu'où l'avez-vous instruite? Angélique. - Je lui ai tout conté pour avoir son avis. Dorante. - Quoi! la fuite même que je vous ai proposée? Angélique. - Quand on ouvre son coeur aux gens, leur cache-t-on quelque chose? Tout ce que j'ai mal fait, c'est que je ne lui ai pas paru effrayée de votre proposition autant qu'il le fallait; voilà ce qui m'inquiète. Dorante. - Et vous appelez cela une ressource? Angélique. - Pas trop, cela est équivoque, je ne sais plus que penser. Dorante. - Et vous hésitez encore de me suivre? Angélique. - Non seulement j'hésite, mais je ne le veux point. Dorante. - Non, je n'écoute plus rien. Venez, Angélique, au nom de notre amour; venez, ne nous quittons plus, sauvez-moi ce que j'aime, conservez-vous un homme qui vous adore. Angélique. - De grâce, laissez-moi, Dorante; épargnez-moi cette démarche, c'est abuser de ma tendresse en vérité, respectez ce que je vous dis. Dorante. - Vous nous avez trahis; il ne nous reste qu'un moment à nous voir, et ce moment décide de tout. Angélique, combattue. - Dorante, je ne saurais m'y résoudre. Dorante. - Il faut donc vous quitter pour jamais. Angélique. - Quelle persécution! Je n'ai point Lisette, et je suis sans conseil. Dorante. - Ah! vous ne m'aimez point. Angélique. - Pouvez-vous le dire? Scène VII Dorante, Angélique, Lubin Lubin, passant au milieu d'eux sans s'arrêter. - Prenez garde, reboutez le propos à une autre fois, voici queuqu'un. Dorante. - Et qui? Lubin. - Queuqu'un qui est fait comme une mère. Dorante, fuyant avec Lubin. - Votre mère! Adieu, Angélique, je l'avais prévu, il n'y a plus d'espérance. Angélique, voulant le retenir. - Non, je crois qu'il se trompe, c'est ma parente. Il ne m'écoute point, que ferai-je? Je ne sais où j'en suis. Scène VIII Madame Argante, Angélique Angélique, allant à sa mère. - Ah! ma mère. Madame Argante. - Qu'as-tu donc, ma fille? d'où vient que tu es si troublée? Angélique. - Ne me quittez point, secourez-moi, je ne me reconnais plus. Madame Argante. - Te secourir, et contre qui, ma chère fille? Angélique. - Hélas! contre moi, contre Dorante et contre vous, qui nous séparerez peut-être. Lubin est venu dire que c'était vous. Dorante s'est sauvé, il se meurt, et je vous conjure qu'on le rappelle, puisque vous voulez lui parler. Madame Argante. - Sa franchise me pénètre. Oui, je te l'ai promis, et j'y consens, qu'on le rappelle, je veux devant toi le forcer lui-même à convenir de l'indignité qu'il te proposait. Elle appelle Lubin. Lubin, cherche Dorante, et dis-lui que je l'attends ici avec ma nièce. Lubin. - Voute nièce! Est-ce que vous êtes itou la tante de voute fille? Il sort. Madame Argante. - Va, ne t'embarrasse point. Mais j'aperçois Lisette, c'est un inconvénient; renvoie-la comme tu pourras, avant que Dorante arrive, elle ne me reconnaÃtra pas sous cet habit, et je me cache avec ma coiffe. Scène IX Madame Argante, Angélique, Lisette Lisette, à Angélique. - Apparemment que Dorante attend plus loin. A Madame Argante. Que je ne vous sois point suspecte, Madame; je suis du secret, et vous allez tirer ma maÃtresse d'une dépendance bien dure et bien gênante, sa mère aurait infailliblement forcé son inclination. A Angélique. Pour vous, Madame, ne vous faites pas un monstre de votre fuite. Que peut-on vous reprocher, dès que vous fuyez avec Madame? Madame Argante, se découvrant. - Retirez-vous. Lisette, fuyant. - Oh! Madame Argante. - C'était le plus court pour nous en défaire. Angélique. - Voici Dorante, je frissonne. Ah! ma mère, songez que je me suis ôté tous les moyens de vous déplaire, et que cette pensée vous attendrisse un peu pour nous. Scène X Dorante, Madame Argante, Angélique, Lubin Angélique. - Approchez, Dorante, Madame n'a que de bonnes intentions, je vous ai dit que j'étais sa nièce. Dorante, saluant. - Je vous croyais avec Madame votre mère. Madame Argante. - C'est Lubin qui s'est mal expliqué d'abord. Dorante. - Mais ne viendra-t-elle pas? Madame Argante. - Lubin y prendra garde. Retire-toi, et nous avertis si Madame Argante arrive. Lubin, riant par intervalles. - Madame Argante? allez, allez, n'appréhendez rin pus, je la défie de vous surprendre; alle pourra arriver, si le guiable s'en mêle. Il sort en riant. Scène XI Madame Argante, Angélique, Dorante Madame Argante. - Eh bien! Monsieur, ma nièce m'a tout conté, rassurez-vous il me paraÃt que vous êtes inquiet. Dorante. - J'avoue, Madame, que votre présence m'a d'abord un peu troublé. Angélique, à part. - Comment le trouvez-vous, ma mère? Madame Argante, à part le premier mot. - Doucement. Je ne viens ici que pour écouter vos raisons sur l'enlèvement dont vous parlez à ma nièce. Dorante. - Un enlèvement est effrayant, Madame, mais le désespoir de perdre ce qu'on aime rend bien des choses pardonnables. Angélique. - Il n'a pas trop insisté, je suis obligée de le dire. Dorante. - Il est certain qu'on ne consentira pas à nous unir. Ma naissance est égale à celle d'Angélique, mais la différence de nos fortunes ne me laisse rien à espérer de sa mère. Madame Argante. - Prenez garde, Monsieur; votre désespoir de la perdre pourrait être suspect d'intérêt; et quand vous dites que non, faut-il vous en croire sur votre parole? Dorante. - Ah! Madame, qu'on retienne tout son bien, qu'on me mette hors d'état de l'avoir jamais; le ciel me punisse si j'y songe! Angélique. - Il m'a toujours parlé de même. Madame Argante. - Ne nous interrompez point, ma nièce. A Dorante. L'amour seul vous fait agir, soit; mais vous êtes, m'a-t-on dit, un honnête homme, et un honnête homme aime autrement qu'un autre; le plus violent amour ne lui conseille jamais rien qui puisse tourner à la honte de sa maÃtresse, vous voyez, reconnaissez-vous ce que je dis là , vous qui voulez engager Angélique à une démarche aussi déshonorante? Angélique, à part. - Ceci commence mal. Madame Argante. - Pouvez-vous être content de votre coeur; et supposons qu'elle vous aime, le méritez-vous? Je ne viens point ici pour me fâcher, et vous avez la liberté de me répondre, mais n'est-elle pas bien à plaindre d'aimer un homme aussi peu jaloux de sa gloire, aussi peu touché des intérêts de sa vertu, qui ne se sert de sa tendresse que pour égarer sa raison, que pour lui fermer les yeux sur tout ce qu'elle se doit à elle-même, que pour l'étourdir sur l'affront irréparable qu'elle va se faire? Appelez-vous cela de l'amour, et la puniriez-vous plus cruellement du sien, si vous étiez son ennemi mortel? Dorante. - Madame, permettez-moi de vous le dire, je ne vois rien dans mon coeur qui ressemble à ce que je viens d'entendre. Un amour infini, un respect qui m'est peut-être encore plus cher et plus précieux que cet amour même, voilà tout ce que je sens pour Angélique; je suis d'ailleurs incapable de manquer d'honneur, mais il y a des réflexions austères qu'on n'est point en état de faire quand on aime, un enlèvement n'est pas un crime, c'est une irrégularité que le mariage efface; nous nous serions donné notre foi mutuelle, et Angélique, en me suivant, n'aurait fui qu'avec son époux. Angélique, à part. - Elle ne se payera pas de ces raisons-là . Madame Argante. - Son époux, Monsieur, suffit-il d'en prendre le nom pour l'être? Et de quel poids, s'il vous plaÃt, serait cette foi mutuelle dont vous parlez? Vous vous croiriez donc mariés, parce que, dans l'étourderie d'un transport amoureux, il vous aurait plu de vous dire Nous le somme? Les passions seraient bien à leur aise, si leur emportement rendait tout légitime. Angélique. - Juste ciel! Madame Argante. - Songez-vous que de pareils engagements déshonorent une fille! que sa réputation en demeure ternie, qu'elle en perd l'estime publique, que son époux peut réfléchir un jour qu'elle a manqué de vertu, que la faiblesse honteuse où elle est tombée doit la flétrir à ses yeux mêmes, et la lui rendre méprisable? Angélique, vivement. - Ah! Dorante, que vous étiez coupable! Madame, je me livre à vous, à vos conseils, conduisez-moi, ordonnez, que faut-il que je devienne, vous êtes la maÃtresse, je fais moins cas de la vie que des lumières que vous venez de me donner; et vous, Dorante, tout ce que je puis à présent pour vous, c'est de vous pardonner une proposition qui doit vous paraÃtre affreuse. Dorante. - N'en doutez pas, chère Angélique; oui, je me rends, je la désavoue; ce n'est pas la crainte de voir diminuer mon estime pour vous qui me frappe, je suis sûr que cela n'est pas possible; c'est l'horreur de penser que les autres ne vous estimeraient plus, qui m'effraye; oui, je le comprends, le danger est sûr, Madame vient de m'éclairer à mon tour je vous perdrais, et qu'est-ce que c'est que mon amour et ses intérêts, auprès d'un malheur aussi terrible? Madame Argante. - Et d'un malheur qui aurait entraÃné la mort d'Angélique, parce que sa mère n'aurait pu le supporter. Angélique. - Hélas! jugez combien je dois l'aimer, cette mère, rien ne nous a gênés dans nos entrevues; eh bien! Dorante, apprenez qu'elle les savait toutes, que je l'ai instruite de votre amour, du mien, de vos desseins, de mes irrésolutions. Dorante. - Qu'entends-je? Angélique. - Oui, je l'avais instruite, ses bontés, ses tendresses m'y avaient obligée, elle a été ma confidente, mon amie, elle n'a jamais gardé que le droit de me conseiller, elle ne s'est reposée de ma conduite que sur ma tendresse pour elle, et m'a laissée la maÃtresse de tout, il n'a tenu qu'à moi de vous suivre, d'être une ingrate envers elle, de l'affliger impunément, parce qu'elle avait promis que je serais libre. Dorante. - Quel respectable portrait me faites-vous d'elle! Tout amant que je suis, vous me mettez dans ses intérêts même, je me range de son parti, et me regarderais comme le plus indigne des hommes, si j'avais pu détruire une aussi belle, aussi vertueuse union que la vôtre. Angélique, à part. - Ah! ma mère, lui dirai-je qui vous êtes? Dorante. - Oui, belle Angélique, vous avez raison. Abandonnez-vous toujours à ces mêmes bontés qui m'étonnent, et que j'admire; continuez de les mériter, je vous y exhorte, que mon amour y perde ou non, vous le devez, je serais au désespoir, si je l'avais emporté sur elle. Madame Argante, après avoir rêvé quelque temps. - Ma fille, je vous permets d'aimer Dorante. Dorante. - Vous, Madame, la mère d'Angélique! Angélique. - C'est elle-même; en connaissez-vous qui lui ressemble? Dorante. - Je suis si pénétré de respect... Madame Argante. - Arrêtez, voici Monsieur Ergaste. Scène XII Ergaste, acteurs susdits. Ergaste. - Madame, quelques affaires pressantes me rappellent à Paris. Mon mariage avec Angélique était comme arrêté, mais j'ai fait quelques réflexions, je craindrais qu'elle ne m'épousât par pure obéissance, et je vous remets votre parole. Ce n'est pas tout, j'ai un époux à vous proposer pour Angélique, un jeune homme riche et estimé elle peut avoir le coeur prévenu, mais n'importe. Angélique. - Je vous suis obligée, Monsieur; ma mère n'est pas pressée de me marier. Madame Argante. - Mon parti est pris, Monsieur, j'accorde ma fille à Dorante que vous voyez. Il n'est pas riche, mais il vient de me montrer un caractère qui me charme, et qui fera le bonheur d'Angélique; Dorante, je ne veux que le temps de savoir qui vous êtes. Dorante veut se jeter aux genoux de Madame Argante qui le relève. Ergaste. - Je vais vous le dire, Madame, c'est mon neveu, le jeune homme dont je vous parle, et à qui j'assure tout mon bien. Madame Argante. - Votre neveu! Angélique, à Dorante, à part. - Ah! que nous avons d'excuses à lui faire! Dorante. - Eh! Monsieur, comment payer vos bienfaits? Ergaste. - Point de remerciements. Ne vous avais-je pas promis qu'Angélique n'épouserait pas un homme sans bien? Je n'ai plus qu'une chose à dire j'intercède pour Lisette, et je demande sa grâce. Madame Argante. - Je lui pardonne; que nos jeunes gens la récompensent, mais qu'ils s'en défassent. Lubin. - Et moi, pour bian faire, faut qu'an me récompense, et qu'an me garde. Madame Argante. - Je t'accorde les deux. Le Legs Acteurs Comédie en un acte et en prose représentée pour la première fois le 11 juin 1736 par les comédiens Français Acteurs La Comtesse. Le Marquis. Le Chevalier Lisette, suivante de la Comtesse. Lépine, valet de chambre du Marquis. La scène est à une maison de campagne de la Comtesse. Scène première Le Chevalier, Hortense Le Chevalier. - La démarche que vous allez faire auprès du Marquis m'alarme. Hortense. - Je ne risque rien, vous dis-je. Raisonnons. Défunt son parent et le mien lui laisse six cent mille francs, à la charge il est vrai de m'épouser, ou de m'en donner deux cent mille; cela est à son choix; mais le Marquis ne sent rien pour moi. Je suis sûre qu'il a de l'inclination pour la Comtesse; d'ailleurs, il est déjà assez riche par lui-même; voilà encore une succession de six cent mille francs qui lui vient, à laquelle il ne s'attendait pas; et vous croyez que, plutôt que d'en distraire deux cent mille, il aimera mieux m'épouser, moi qui lui suis indifférente, pendant qu'il a de l'amour pour la Comtesse, qui peut-être ne le hait pas, et qui a plus de bien que moi? Il n'y a pas d'apparence. Le Chevalier. - Mais à quoi jugez-vous que la Comtesse ne le hait pas? Hortense. - A mille petites remarques que je fais tous les jours; et je n'en suis pas surprise. Du caractère dont elle est, celui du Marquis doit être de son goût. La Comtesse est une femme brusque, qui aime à primer, à gouverner, à être la maÃtresse. Le Marquis est un homme doux, paisible, aisé à conduire; et voilà ce qu'il faut à la Comtesse. Aussi ne parle-t-elle de lui qu'avec éloge. Son air de naïveté lui plaÃt; c'est, dit-elle, le meilleur homme, le plus complaisant, le plus sociable. D'ailleurs, le Marquis est d'un âge qui lui convient; elle n'est plus de cette grande jeunesse il a trente-cinq ou quarante ans, et je vois bien qu'elle serait charmée de vivre avec lui. Le Chevalier. - J'ai peur que l'événement ne vous trompe. Ce n'est pas un petit objet que deux cent mille francs qu'il faudra qu'on vous donne si l'on ne vous épouse pas; et puis, quand le Marquis et la Comtesse s'aimeraient, de l'humeur dont ils sont tous deux, ils auront bien de la peine à se le dire. Hortense. - Oh! moyennant l'embarras où je vais jeter le Marquis, il faudra bien qu'il parle, et je veux savoir à quoi m'en tenir. Depuis le temps que nous sommes à cette campagne chez la Comtesse, il ne me dit rien. Il y a six semaines qu'il se tait; je veux qu'il s'explique. Je ne perdrai pas le legs qui me revient, si je n'épouse pas le Marquis. Le Chevalier. - Mais, s'il accepte votre main? Hortense. - Eh! non, vous dis-je. Laissez-moi faire. Je crois qu'il espère que ce sera moi qui le refuserai. Peut-être même feindra-t-il de consentir à notre union; mais que cela ne vous épouvante pas. Vous n'êtes point assez riche pour m'épouser avec deux cent mille francs de moins; je suis bien aise de vous les apporter en mariage. Je suis persuadée que la Comtesse et le Marquis ne se haïssent pas. Voyons ce que me diront là -dessus Lépine et Lisette, qui vont venir me parler. L'un est un Gascon froid, mais adroit; Lisette a de l'esprit. Je sais qu'ils ont tous deux la confiance de leurs maÃtres; je les intéresserai à m'instruire, et tout ira bien. Les voilà qui viennent. Retirez-vous. Scène II Lisette, Lépine, Hortense Hortense. - Venez, Lisette; approchez. Lisette. - Que souhaitez-vous de nous, Madame? Hortense. - Rien que vous ne puissiez me dire sans blesser la fidélité que vous devez, vous au Marquis, et vous à la Comtesse. Lisette. - Tant mieux, Madame. Lépine. - Ce début encourage. Nos services vous sont acquis. Hortense tire quelque argent de sa poche. - Tenez, Lisette; tout service mérite récompense. Lisette refusant d'abord. - Du moins, Madame, faudrait-il savoir auparavant de quoi il s'agit. Hortense. - Prenez; je vous le donne, quoi qu'il arrive. Voilà pour vous, Monsieur de Lépine. Lépine. - Madame, je serais volontiers de l'avis de Mademoiselle; mais je prends le respect défend que je raisonne. Hortense. - Je ne prétends vous engager à rien et voici de quoi il est question; le Marquis, votre maÃtre, vous estime, Lépine? Lépine, froidement. - Extrêmement, Madame; il me connaÃt. Hortense. - Je remarque qu'il vous confie aisément ce qu'il pense. Lépine. - Oui, Madame; de toutes ses pensées, incontinent j'en ai copie; il n'en sait pas le compte mieux que moi. Hortense. - Vous, Lisette, vous êtes sur le même ton avec la Comtesse? Lisette. - J'ai cet honneur-là , Madame. Hortense. - Dites-moi, Lépine, je me figure que le Marquis aime la Comtesse; me trompé-je? il n'y a point d'inconvénient à me dire ce qui en est. Lépine. - Je n'affirme rien; mais patience. Nous devons ce soir nous entretenir là -dessus. Hortense. - Et soupçonnez-vous qu'il l'aime? Lépine. - De soupçons, j'en ai de violents. Je m'en éclaircirai tantôt. Hortense. - Et vous, Lisette, quel est votre sentiment sur la Comtesse? Lisette. - Qu'elle ne songe point du tout au Marquis, Madame. Lépine. - Je diffère avec vous de pensée. Hortense. - Je crois aussi qu'ils s'aiment. Et supposons que je ne me trompe pas; du caractère dont ils sont, ils auront de la peine à s'en parler. Vous, Lépine, voudriez-vous exciter le Marquis à le déclarer à la Comtesse? et vous, Lisette, disposer la Comtesse à se l'entendre dire. Ce sera une industrie fort innocente. Lépine. - Et même louable. Lisette, rendant l'argent. - Madame, permettez que je vous rende votre argent. Hortense. - Gardez. D'où vient?... Lisette. - C'est qu'il me semble que voilà précisément le service que vous exigez de moi, et c'est précisément celui que je ne puis vous rendre. Ma maÃtresse est veuve; elle est tranquille; son état est heureux; ce serait dommage de l'en tirer; je prie le Ciel qu'elle y reste. Lépine, froidement. - Quant à moi, je garde mon lot; rien ne m'oblige à restitution. J'ai la volonté de vous être utile. Monsieur le Marquis vit dans le célibat; mais le mariage, il est bon, très bon, il a ses peines, chaque état a les siennes; quelquefois le mien me pèse; le tout est égal. Oui, je vous servirai, Madame, je vous servirai. Je n'y vois point de mal. On s'épouse de tout temps, on s'épousera toujours; on n'a que cette honnête ressource quand on aime. Hortense. - Vous me surprenez, Lisette, d'autant plus que je m'imaginais que vous pouviez vous aimer tous deux. Lisette. - C'est de quoi il n'est pas question de ma part. Lépine. - De la mienne, j'en suis demeuré à l'estime. Néanmoins Mademoiselle est aimable; mais j'ai passé mon chemin sans y prendre garde. Lisette. - J'espère que vous passerez toujours de même. Hortense. - Voilà ce que j'avais à vous dire. Adieu, Lisette; vous ferez ce qu'il vous plaira; je ne vous demande que le secret. J'accepte vos services, Lépine. Scène III Lépine, Lisette Lisette. - Nous n'avons rien à nous dire, Mons de Lépine. J'ai affaire, et je vous laisse. Lépine. - Doucement, Mademoiselle, retardez d'un moment; je trouve à propos de vous informer d'un petit accident qui m'arrive. Lisette. - Voyons. Lépine. - D'homme d'honneur, je n'avais pas envisagé vos grâces; je ne connaissais pas votre mine. Lisette. - Qu'importe? Je vous en offre autant; c'est tout au plus si je connais actuellement la vôtre. Lépine. - Cette dame se figurait que nous nous aimions. Lisette. - Eh bien! elle se figurait mal. Lépine. - Attendez; voici l'accident. Son discours a fait que mes yeux se sont arrêtés dessus vous plus attentivement que de coutume. Lisette. - Vos yeux ont pris bien de la peine. Lépine. - Et vous êtes jolie, sandis, oh! très jolie. Lisette. - Ma foi, Monsieur de Lépine, vous êtes galant, oh! très galant; mais l'ennui me prend dès qu'on me loue. Abrégeons. Est-ce là tout? Lépine. - A mon exemple, envisagez-moi, je vous prie; faites-en l'épreuve. Lisette. - Oui-da. Tenez, je vous regarde. Lépine. - Eh donc! est-ce là ce Lépine, que vous connaissiez? N'y voyez-vous rien de nouveau? Que vous dit le coeur? Lisette. - Pas le mot. Il n'y a rien là pour lui. Lépine. - Quelquefois pourtant nombre de gens ont estimé que j'étais un garçon assez revenant; mais nous y retournerons; c'est partie à remettre. Ecoutez le restant. Il est certain que mon maÃtre distingue tendrement votre maÃtresse. Aujourd'hui même il m'a confié qu'il méditait de vous communiquer ses sentiments. Lisette. - Comme il lui plaira. La réponse que j'aurai l'honneur de lui communiquer sera courte. Lépine. - Remarquons d'abondance que la Comtesse se plaÃt avec mon maÃtre, qu'elle a l'âme joyeuse en le voyant. Vous me direz que nos gens sont étranges personnes, et je vous l'accorde. Le Marquis, homme tout simple, peu hasardeux dans le discours, n'osera jamais aventurer la déclaration; et des déclarations, la Comtesse les épouvante; femme qui néglige les compliments, qui vous parle entre l'aigre et le doux, et dont l'entretien a je ne sais quoi de sec, de froid, de purement raisonnable. Le moyen que l'amour puisse être mis en avant avec cette femme. Il ne sera jamais à propos de lui dire "Je vous aime", à moins qu'on ne le lui dise à propos de rien. Cette matière, avec elle, ne peut tomber que des nues. On dit qu'elle traite l'amour de bagatelle d'enfant; moi, je prétends qu'elle a pris goût à cette enfance. Dans cette conjoncture, j'opine que nous encouragions ces deux personnages. Qu'en sera-t-il? qu'ils s'aimeront bonnement, en toute simplesse, et qu'ils s'épouseront de même. Qu'en sera-t-il? Qu'en me voyant votre camarade, vous me rendrez votre mari par la douce habitude de me voir. Eh donc! parlez, êtes-vous d'accord? Lisette. - Non. Lépine. - Mademoiselle, est-ce mon amour qui vous déplaÃt? Lisette. - Oui. Lépine. - En peu de mots vous dites beaucoup; mais considérez l'occurrence. Je vous prédis que nos maÃtres se marieront; que la commodité vous tente. Lisette. - Je vous prédis qu'ils ne se marieront point. Je ne veux pas, moi. Ma maÃtresse, comme vous dites fort habilement, tient l'amour au-dessous d'elle; et j'aurai soin de l'entretenir dans cette humeur, attendu qu'il n'est pas de mon petit intérêt qu'elle se marie. Ma condition n'en serait pas si bonne, entendez-vous? Il n'y a point d'apparence que la Comtesse y gagne, et moi j'y perdrais beaucoup. J'ai fait un petit calcul là -dessus, au moyen duquel je trouve que tous vos arrangements me dérangent et ne me valent rien. Ainsi, quelque jolie que je sois, continuez de n'en rien voir; laissez là la découverte que vous avez faite de mes grâces, et passez toujours sans y prendre garde. Lépine, froidement. - Je les ai vues, Mademoiselle; j'en suis frappé et n'ai de remède que votre coeur. Lisette. - Tenez-vous donc pour incurable. Lépine. - Me donnez-vous votre dernier mot? Lisette. - Je n'y changerai pas une syllabe. Elle veut s'en aller. Lépine, l'arrêtant. - Permettez que je reparte. Vous calculez; moi de même. Selon vous, il ne faut pas que nos gens se marient; il faut qu'ils s'épousent, selon moi, je le prétends. Lisette. - Mauvaise gasconnade! Lépine. - Patience. Je vous aime, et vous me refusez le réciproque. Je calcule qu'il me fait besoin, et je l'aurai, sandis! je le prétends. Lisette. - Vous ne l'aurez pas, sandis! Lépine. - J'ai tout dit. Laissez parler mon maÃtre qui nous arrive. Scène IV Le Marquis, Lépine, Lisette Le Marquis. - Ah! vous voici, Lisette! je suis bien aise de vous trouver. Lisette. - Je vous suis obligée, Monsieur; mais je m'en allais. Le Marquis. - Vous vous en alliez? J'avais pourtant quelque chose à vous dire. Etes-vous un peu de nos amis? Lépine. - Petitement. Lisette. - J'ai beaucoup d'estime et de respect pour Monsieur le Marquis. Le Marquis. - Tout de bon? Vous me faites plaisir, Lisette; je fais beaucoup de cas de vous aussi. Vous me paraissez une très bonne fille, et vous êtes à une maÃtresse qui a bien du mérite. Lisette. - Il y a longtemps que je le sais, Monsieur. Le Marquis. - Ne vous parle-t-elle jamais de moi? Que vous en dit-elle? Lisette. - Oh! rien. Le Marquis. - C'est que, entre nous, il n'y a point de femme que j'aime tant qu'elle. Lisette. - Qu'appelez-vous aimer, Monsieur le Marquis? Est-ce de l'amour que vous entendez? Le Marquis. - Eh! mais oui, de l'amour, de l'inclination, comme tu voudras; le nom n'y fait rien. Je l'aime mieux qu'un autre. Voilà tout. Lisette. - Cela se peut. Le Marquis. - Mais elle n'en sait rien; je n'ai pas osé le lui apprendre. Je n'ai pas trop le talent de parler d'amour. Lisette. - C'est ce qui me semble. Le Marquis. - Oui, cela m'embarrasse, et, comme ta maÃtresse est une femme fort raisonnable, j'ai peur qu'elle ne se moque de moi, et je ne saurais plus que lui dire; de sorte que j'ai rêvé qu'il serait bon que tu la prévinsses en ma faveur. Lisette. - Je vous demande pardon, Monsieur, mais il fallait rêver tout le contraire. Je ne puis rien pour vous, en vérité. Le Marquis. - Eh! d'où vient? Je t'aurai grande obligation. Je payerai bien tes peines; et si ce garçon-là montrant Lépine te convenait, je vous ferais un fort bon parti à tous les deux. Lépine, froidement, et sans regarder Lisette. - Derechef, recueillez-vous là -dessus, Mademoiselle. Lisette. - Il n'y a pas moyen, Monsieur le Marquis. Si je parlais de vos sentiments à ma maÃtresse, vous avez beau dire que le nom n'y fait rien, je me brouillerais avec elle, je vous y brouillerais vous-même. Ne la connaissez-vous pas? Le Marquis. - Tu crois donc qu'il n'y a rien à faire? Lisette. - Absolument rien. Le Marquis. - Tant pis, cela me chagrine. Elle me fait tant d'amitié, cette femme! Allons, il ne faut donc plus y penser. Lépine, froidement. - Monsieur, ne vous déconfortez pas. Du récit de Mademoiselle, n'en tenez compte, elle vous triche. Retirons-nous; venez me consulter à l'écart, je serai plus consolant. Partons. Le Marquis. - Viens; voyons ce que tu as à me dire. Adieu, Lisette; ne me nuis pas, voilà tout ce que j'exige. Scène V Lépine, Lisette Lépine. - N'exigez rien; ne gênons point Mademoiselle. Soyons galamment ennemis déclarés; faisons-nous du mal en toute franchise. Adieu, gentille personne, je vous chéris ni plus ni moins; gardez-moi votre coeur, c'est un dépôt que je vous laisse. Lisette. - Adieu, mon pauvre Lépine; vous êtes peut-être de tous les fous de la Garonne le plus effronté, mais aussi le plus divertissant. Scène VI La Comtesse, Lisette Lisette. - Voici ma maÃtresse. De l'humeur dont elle est, je crois que cet amour-ci ne la divertira guère. Gare que le Marquis ne soit bientôt congédié! La Comtesse, tenant une lettre. - Tenez, Lisette, dites qu'on porte cette lettre à la poste; en voilà dix que j'écris depuis trois semaines. La sotte chose qu'un procès! Que j'en suis lasse! Je ne m'étonne pas s'il y a tant de femmes qui se remarient. Lisette, riant. - Bon, votre procès, une affaire de mille francs, voilà quelque chose de bien considérable pour vous! Avez-vous envie de vous remarier? J'ai votre affaire. La Comtesse. - Qu'est-ce que c'est qu'envie de me remarier? Pourquoi me dites-vous cela? Lisette. - Ne vous fâchez pas; je ne veux que vous divertir. La Comtesse. - Ce pourrait être quelqu'un de Paris qui vous aurait fait une confidence; en tout cas, ne me le nommez pas. Lisette. - Oh! il faut pourtant que vous connaissiez celui dont je parle. La Comtesse. - Brisons là -dessus. Je rêve à une chose; le Marquis n'a ici qu'un valet de chambre dont il a peut-être besoin; et je voulais lui demander s'il n'a pas quelque paquet à porter à la poste, on le porterait avec le mien. Où est-il, le Marquis? L'as-tu vu ce matin? Lisette. - Oh! oui; malepeste, il a ses raisons pour être éveillé de bonne heure. Revenons au mari que j'ai à vous donner, celui qui brûle pour vous, et que vous avez enflammé de passion... La Comtesse. - Qui est ce benêt-là ? Lisette. - Vous le devinez. La Comtesse. - Celui qui brûle est un sot. Je ne veux rien savoir de Paris. Lisette. - Ce n'est point de Paris; votre conquête est dans le château. Vous l'appelez benêt; moi je vais le flatter; c'est un soupirant qui a l'air fort simple, un air de bon homme. Y êtes-vous? La Comtesse. - Nullement. Qui est-ce qui ressemble à cela ici? Lisette. - Eh! le Marquis. La Comtesse. - Celui qui est avec nous? Lisette. - Lui-même. La Comtesse. - Je n'avais garde d'y être. Où as-tu pris son air simple et de bon homme? Dis donc un air franc et ouvert, à la bonne heure; il sera reconnaissable. Lisette. - Ma foi, Madame, je vous le rends comme je le vois. La Comtesse. - Tu le vois très mal, on ne peut pas plus mal; en mille ans on ne le devinerait pas à ce portrait-là . Mais de qui tiens-tu ce que tu me contes de son amour? Lisette. - De lui qui me l'a dit; rien que cela. N'en riez-vous pas? Ne faites pas semblant de le savoir. Au reste, il n'y a qu'à vous en défaire tout doucement. La Comtesse. - Hélas! je ne lui en veux point de mal. C'est un fort honnête homme, un homme dont je fais cas, qui a d'excellentes qualités; et j'aime encore mieux que ce soit lui qu'un autre. Mais ne te trompes-tu pas aussi? Il ne t'aura peut-être parlé que d'estime; il en a beaucoup pour moi, beaucoup; il me l'a marquée en mille occasions d'une manière fort obligeante. Lisette. - Non, Madame, c'est de l'amour qui regarde vos appas; il en a prononcé le mot sans bredouiller comme à l'ordinaire. C'est de la flamme; il languit, il soupire. La Comtesse. - Est-il possible? Sur ce pied-là , je le plains; car ce n'est pas un étourdi; il faut qu'il le sente puisqu'il le dit, et ce n'est pas de ces gens-là qu'on se moque; jamais leur amour n'est ridicule. Mais il n'osera m'en parler, n'est-ce pas? Lisette. - Oh! ne craignez rien, j'y ai mis bon ordre; il ne s'y jouera pas. Je lui ai ôté toute espérance; n'ai-je pas bien fait? La Comtesse. - Mais... oui, sans doute, oui...; pourvu que vous ne l'ayez pas brusqué, pourtant; il fallait y prendre garde; c'est un ami que je veux conserver, et vous avez quelquefois le ton dur et revêche, Lisette; il valait mieux le laisser dire. Lisette. - Point du tout. Il voulait que je vous parlasse en sa faveur. La Comtesse. - Ce pauvre homme! Lisette. - Et je lui ai répondu que je ne pouvais pas m'en mêler, que je me brouillerais avec vous si je vous en parlais, que vous me donneriez mon congé, que vous lui donneriez le sien. La Comtesse. - Le sien? Quelle grossièreté?! Ah! que c'est mal parler! Son congé? Et même est-ce que je vous aurais donné le vôtre? Vous savez bien que non. D'où vient mentir, Lisette? c'est un ennemi que vous m'allez faire d'un des hommes du monde que je considère le plus, et qui le mérite le mieux. Quel sot langage de domestique! Eh! il était si simple de vous en tenir à lui dire "Monsieur, je ne saurais; ce ne sont pas là mes affaires; parlez-en vous-même." Je voudrais qu'il osât m'en parler, pour raccommoder un peu votre malhonnêteté. Son congé! son congé! Il va se croire insulté. Lisette. - Eh! non, Madame; il était impossible de vous en débarrasser à moins de frais. Faut-il que vous l'aimiez, de peur de le fâcher? Voulez-vous être sa femme par politesse, lui qui doit épouser Hortense? Je ne lui ai rien dit de trop, et vous en voilà quitte. Mais je l'aperçois qui vient en rêvant; évitez-le, vous avez le temps. La Comtesse. - L'éviter? lui qui me voit? Ah! je m'en garderai bien. Après les discours que vous lui avez tenus, il croirait que je les ai dictés. Non, non, je ne changerai rien à ma façon de vivre avec lui. Allez porter ma lettre. Lisette, à part. - Hum! il y a ici quelque chose. Haut. Madame, je suis d'avis de rester auprès de vous; cela m'arrive souvent, et vous en serez plus à abri d'une déclaration. La Comtesse. - Belle finesse! quand je lui échapperais aujourd'hui, ne me retrouvera-t-il pas demain? Il faudrait donc vous avoir toujours à mes côtés? Non, non, partez. S'il me parle, je sais répondre. Lisette. - Je suis à vous dans l'instant; je n'ai qu'à donner cette lettre à un laquais. La Comtesse. - Non, Lisette; c'est une lettre de conséquence, et vous me ferez plaisir de la porter vous-même, parce que, si le courrier est passé, vous me la rapporterez, et je l'enverrai par une autre voie. Je ne me fie point aux valets, ils ne sont point exacts. Lisette. - Le courrier ne passe que dans deux heures, Madame. La Comtesse. - Eh! allez, vous dis-je. Que sait-on? Lisette, à part. - Quel prétexte! Cette femme-là ne va pas droit avec moi. Scène VII La Comtesse, seule. Elle avait la fureur de rester. Les domestiques sont haïssables; il n'y a pas jusqu'à leur zèle qui ne vous désoblige. C'est toujours de travers qu'ils vous servent. Scène VIII La Comtesse, Lépine Lépine. - Madame, Monsieur le Marquis vous a vue de loin avec Lisette. Il demande s'il n'y a point de mal qu'il approche; il a le désir de vous consulter, mais il se fait le scrupule de vous êtes importun. La Comtesse. - Lui importun! Il ne saurait l'être. Dites-lui que je l'attends, Lépine; qu'il vienne. Lépine. - Je vais le réjouir de la nouvelle. Vous l'allez voir dans la minute. Scène IX La Comtesse, Lépine, Le Marquis Lépine, appelant le Marquis. - Monsieur, venez prendre audience; Madame l'accorde. Quand le Marquis est venu, il lui dit à part Courage, Monsieur; l'accueil est gracieux, presque tendre; c'est un coeur qui demande qu'on le prenne. Scène X La Comtesse, Le Marquis La Comtesse. - Eh! d'où vient donc la cérémonie que vous faites, Marquis? Vous n'y songez pas. Le Marquis. - Madame, vous avez bien de la bonté; c'est que j'ai bien des choses à vous dire. La Comtesse. - Effectivement, vous me paraissez rêveur, inquiet. Le Marquis. - Oui, j'ai l'esprit en peine. J'ai besoin de conseil, j'ai besoin de grâces, et le tout de votre part. La Comtesse. - Tant mieux. Vous avez encore moins besoin de tout cela, que je n'ai d'envie de vous être bonne à quelque chose. Le Marquis. - Oh! bonne? Il ne tient qu'à vous de m'être excellente, si vous voulez. La Comtesse. - Comment! si je veux? Manquez-vous de confiance? Ah! je vous prie, ne me ménagez point; vous pouvez tout sur moi, marquis; je suis bien aise de vous le dire. Le Marquis. - Cette assurance m'est bien agréable, et je serais tenté d'en abuser. La Comtesse. - J'ai grande peur que vous ne résistiez à la tentation. Vous ne comptez pas assez sur vos amis; car vous êtes si réservé, si retenu! Le Marquis. - Oui, j'ai beaucoup de timidité. La Comtesse. - Je fais de mon mieux pour vous l'ôter, comme vous voyez. Le Marquis. - Vous savez dans quelle situation je suis avec Hortense, que je dois l'épouser ou lui donner deux cent mille francs. La Comtesse. - Oui, et je me suis aperçue que vous n'aviez pas grand goût pour elle. Le Marquis. - Oh! on ne peut pas moins; je ne l'aime point du tout. La Comtesse. - Je n'en suis pas surprise. Son caractère est si différent du vôtre! elle a quelque chose de trop arrangé pour vous. Le Marquis. - Vous y êtes; elle songe trop à ses grâces. Il faudrait toujours l'entretenir de compliments, et moi, ce n'est pas là mon fort. La coquetterie me gêne; elle me rend muet. La Comtesse. - Ah! Ah! je conviens qu'elle en a un peu; mais presque toutes les femmes sont de même. Vous ne trouverez que cela partout, Marquis. Le Marquis. - Hors chez vous. Quelle différence, par exemple! vous plaisez sans y penser, ce n'est pas votre faute. Vous ne savez pas seulement que vous êtes aimable; mais d'autres le savent pour vous. La Comtesse. - Moi, Marquis? Je pense qu'à cet égard-là les autres songent aussi peu à moi que j'y songe moi-même. Le Marquis. - Oh! j'en connais qui ne vous disent pas tout ce qu'ils songent. La Comtesse. - Eh! qui sont-ils, Marquis? Quelques amis comme vous, sans doute? Le Marquis. - Bon, des amis! voilà bien de quoi; vous n'en aurez encore de longtemps. La Comtesse. - Je vous suis obligée du petit compliment que vous me faites en passant. Le Marquis. - Point du tout. Je ne passe jamais, moi; je dis toujours exprès. La Comtesse, riant. - Comment? vous qui ne voulez pas que j'aie encore des amis! est-ce que vous n'êtes pas le mien? Le Marquis. - Vous m'excuserez; mais quand je serais autre chose, il n'y aurait rien de surprenant. La Comtesse. - Eh bien! je ne laisserais pas d'en être surprise. Le Marquis. - Et encore plus fâchée? La Comtesse. - En vérité, surprise. Je veux pourtant croire que je suis aimable, puisque vous le dites. Le Marquis. - Oh! charmante, et je serais bien heureux si Hortense vous ressemblait; je l'épouserais d'un grand coeur; et j'ai bien de la peine à m'y résoudre. La Comtesse. - Je le crois; et ce serait encore pis si vous aviez de l'inclination pour une autre. Le Marquis. - Eh bien! c'est que justement le pis s'y trouve. La Comtesse, par exclamation. - Oui! vous aimez ailleurs? Le Marquis. - De toute mon âme. La Comtesse, en souriant. - Je m'en suis doutée, Marquis. Le Marquis. - Et vous êtes-vous doutée de la personne? La Comtesse. - Non; mais vous me la direz. Le Marquis. - Vous me feriez grand plaisir de la deviner. La Comtesse. - Pourquoi m'en donneriez-vous la peine, puisque vous voilà ? Le Marquis. - C'est que vous ne connaissez qu'elle; c'est la plus aimable femme, la plus franche... Vous parlez de gens sans façon? il n'y a personne comme elle; plus je la vois, plus je l'admire. La Comtesse. - Epousez-la, Marquis, épousez-la, et laissez là Hortense; il n'y a point à hésiter, vous n'avez point d'autre parti à prendre. Le Marquis. - Oui; mais je songe à une chose; n'y aurait-il pas moyen de me sauver le deux cent mille francs? Je vous parle à coeur ouvert. La Comtesse. - Regardez-moi dans cette occasion-ci comme une autre vous-même. Le Marquis. - Ah! que c'est bien dit, une autre moi-même! La Comtesse. - Ce qui me plaÃt en vous, c'est votre franchise, qui est une qualité admirable. Revenons. Comment vous sauver ces deux cent mille francs? Le Marquis. - C'est qu'Hortense aime le Chevalier. Mais, à propos, c'est votre parent? La Comtesse. - Oh! parent, ...de loin. Le Marquis. - Or, de cet amour qu'elle a pour lui, je conclus qu'elle ne se soucie pas de moi. Je n'ai donc qu'à faire semblant de vouloir l'épouser; elle me refusera, et je ne lui devrai plus rien; son refus me servira de quittance. La Comtesse. - Oui-da, vous pouvez le tenter. Ce n'est pas qu'il n'y ait du risque; elle a du discernement, Marquis. Vous supposez qu'elle vous refusera? Je n'en sais rien; vous n'êtes pas un homme à dédaigner. Le Marquis. - Est-il vrai? La Comtesse. - C'est mon sentiment. Le Marquis. - Vous me flattez, vous encouragez ma franchise. La Comtesse. - Je vous encourage! eh! mais en êtes-vous encore là ? Mettez-vous donc dans l'esprit que je ne demande qu'à vous obliger, qu'il n'y a que l'impossible qui m'arrêtera, et que vous devez compter sur tout ce qui dépendra de moi. Ne perdez point cela de vue, étrange homme que vous êtes, et achevez hardiment. Vous voulez des conseils, je vous en donne. Quand nous en serons à l'article des grâces, il n'y aura qu'à parler; elles ne feront pas plus de difficulté que le reste, entendez-vous? et que cela soit dit pour toujours. Le Marquis. - Vous me ravissez d'espérance. La Comtesse. - Allons par ordre. Si Hortense allait vous prendre au mot? Le Marquis. - J'espère que non. En tout cas, je lui payerais sa somme, pourvu qu'auparavant la personne qui a pris mon coeur ait la bonté de me dire qu'elle veut bien de moi. La Comtesse. - Hélas! elle serait donc bien difficile? Mais, Marquis, est-ce qu'elle ne sait pas que vous l'aimez? Le Marquis. - Non vraiment; je n'ai pas osé le lui dire. La Comtesse. - Et le tout par timidité. Oh! en vérité, c'est la pousser trop loin, et, toute amie des bienséances que je suis, je ne vous approuve pas; ce n'est pas se rendre justice. Le Marquis. - Elle est si sensée, que j'ai peur d'elle. Vous me conseillez donc de lui en parler? La Comtesse. - Eh! cela devrait être fait. Peut-être vous attend-elle. Vous dites qu'elle est sensée; que craignez-vous? Il est louable de penser modestement de soi; mais avec de la modestie, on parle, on se propose. Parlez, Marquis; parlez, tout ira bien. Le Marquis. - Hélas! si vous saviez qui c'est, vous ne m'exhorteriez pas tant. Que vous êtes heureuse de n'aimer rien, et de mépriser l'amour! La Comtesse. - Moi, mépriser ce qu'il y a au monde de plus naturel! cela ne serait pas raisonnable. Ce n'est pas l'amour, ce sont les amants, tels qu'ils sont la plupart, que je méprise, et non pas le sentiment qui fait qu'on aime, qui n'a rien en soi que de fort honnête, de fort permis, et de fort involontaire. C'est le plus doux sentiment de la vie; comment le haïrais-je? Non, certes, et il y a tel homme à qui je pardonnerais de m'aimer s'il me l'avouait avec cette simplicité de caractère que je louais tout à l'heure en vous. Le Marquis. - En effet, quand on le dit naïvement, comme on le sent... La Comtesse. - Il n'y a point de mal alors. On a toujours bonne grâce; voilà ce que pense. Je ne suis pas une âme sauvage. Le Marquis. - Ce serait bien dommage... Vous avez la plus belle santé! La Comtesse, à part. - Il est bien question de ma santé! Haut. C'est l'air de la campagne. Le Marquis. - L'air de la ville vous fait de même l'oeil le plus vif, le teint le plus frais! La Comtesse. - Je me porte assez bien. Mais savez-vous bien que vous me dites des douceurs sans y penser? Le Marquis. - Pourquoi sans y penser? Moi, j'y pense. La Comtesse. - Gardez-les pour la personne que vous aimez. Le Marquis. - Eh! si c'était vous, il n'y aurait que faire de les garder. La Comtesse. - Comment, si c'était moi! Est-ce de moi dont il s'agit? Qu'est-ce que cela signifie? Est-ce une déclaration d'amour que vous me faites? Le Marquis. - Oh! Point du tout. La Comtesse. - Eh! de quoi vous avisez-vous donc de m'entretenir de ma santé? Qui est-ce qui ne s'y tromperait pas? Le Marquis. - Ce n'est que façon de parler je dis seulement qu'il est fâcheux que vous ne vouliez ni aimer, ni vous remarier, et que j'en suis mortifié, parce que je ne vois pas de femme qui peut convenir autant que vous. Mais je ne vous en dis mot, de peur de vous déplaire. La Comtesse. - Mais encore une fois, vous me parlez d'amour. Je ne me trompe pas c'est moi que vous aimez, vous me le dites en termes exprès. Le Marquis. - Hé bien, oui, quand ce serait vous, il n'est pas nécessaire de se fâcher. Ne dirait-on pas que tout est perdu? Calmez-vous; prenez que je n'aie rien dit. La Comtesse. - La belle chute! vous êtes bien singulier. Le Marquis. - Et vous de bien mauvaise humeur. Eh! tout à l'heure, à votre avis, on avait si bonne grâce à dire naïvement qu'on aime! Voyez comme cela réussit. Me voilà bien avancé! La Comtesse, à part. - Ne le voilà -t-il pas bien reculé? Haut. A qui en avez-vous? Je vous demande à qui vous parlez? Le Marquis. - A personne, Madame, à personne. Je ne dirai plus mot; êtes-vous contente? Si vous vous mettez en colère contre tous ceux qui me ressemblent, vous en querellerez bien d'autres. La Comtesse, à part. - Quel original! Haut. Et qui est-ce qui vous querelle? Le Marquis. - Ah! la manière dont vous me refusez n'est pas douce. La Comtesse. - Allez, vous rêvez. Le Marquis. - Courage! Avec la qualité d'original dont vous venez de m'honorer tout bas, il ne me manquait plus que celle de rêveur; au surplus, je ne m'en plains pas. Je ne vous conviens point; qu'y faire? il n'y a plus qu'à me taire, et je me tairai. Adieu, Comtesse; n'en soyons pas moins bons amis, et du moins ayez la bonté de m'aider à me tirer d'affaire avec Hortense. La Comtesse, seule un moment comme il s'en va. - Quel homme! Celui-ci ne m'ennuiera pas du récit de mes rigueurs. J'aime les gens simples et unis; mais en vérité celui-là l'est trop. Scène XI Hortense, La Comtesse, Le Marquis Hortense, arrêtant le Marquis. - Monsieur le Marquis, je vous prie, ne vous en allez pas; nous avons à nous parler, et Madame peut être présente. Le Marquis. - Comme vous voudrez, Madame. Hortense. - Vous savez ce dont il s'agit? Le Marquis. - Non, je ne sais pas ce que c'est; je ne m'en souviens plus. Hortense. - Vous me surprenez! Je me flattais que vous seriez le premier à rompre le silence. Il est humiliant pour moi d'être obligée de vous prévenir. Avez-vous oublié qu'il y a un testament qui nous regarde? Le Marquis. - Oh! oui, je me souviens du testament. Hortense. - Et qui dispose de ma main en votre faveur? Le Marquis. - Oui, Madame, oui; il faut que je vous épouse, cela est vrai. Hortense. - Eh bien, Monsieur, à quoi vous déterminez-vous? Il est temps de fixer mon état. Je ne vous cache point que vous avez un rival; c'est le Chevalier, qui est parent de Madame, que je ne vous préfère pas, mais que je préfère à tout autre, et que j'estime assez pour en faire mon époux si vous ne devenez pas le mien; c'est ce que je lui ai dit jusqu'ici; et comme il m'assure avoir des raisons pressantes de savoir aujourd'hui même à quoi s'en tenir, je n'ai pu lui refuser de vous parler. Monsieur, le congédierai-je, ou non? Que voulez-vous que je lui dise? Ma main est à vous, si vous la demandez. Le Marquis. - Vous me faites bien de la grâce; je la prends, Mademoiselle. Hortense. - Est-ce votre coeur qui me choisit, Monsieur le Marquis? Le Marquis. - N'êtes-vous pas assez aimable pour cela? Hortense. - Et vous m'aimez? Le Marquis. - Qui est-ce qui vous dit le contraire? Tout à l'heure j'en parlais à Madame. La Comtesse. - Il est vrai, c'était de vous dont il m'entretenait; il songeait à vous proposer ce mariage. Hortense. - Et vous disait-il aussi qu'il m'aimait? La Comtesse. - Il me semble que oui; du moins me parlait-il de penchant. Hortense. - D'où vient donc, Monsieur le Marquis, me l'avez-vous laissé ignorer depuis six semaines? Quand on aime, on en donne quelques marques, et dans le cas où nous sommes, vous aviez droit de vous déclarer. Le Marquis. - J'en conviens; mais le temps se passe; on est distrait; on ne sait pas si les gens sont de votre avis. Hortense. - Vous êtes bien modeste. Voilà qui est donc arrêté, et je vais l'annoncer au Chevalier qui entre. Scène XII Le Chevalier, Hortense, Le Marquis, La Comtesse Hortense, allant au-devant du Chevalier pour lui dire un mot à part. - Il accepte ma main, mais de mauvaise grâce; ce n'est qu'une ruse, ne vous effrayez pas. Le Chevalier, à part. - Vous m'inquiétez. Haut. Eh bien! Madame, il ne me reste plus d'espérance, sans doute? Je n'ai pas dû m'attendre que Monsieur le Marquis pût consentir à vous perdre. Hortense. - Oui, Chevalier, je l'épouse; la chose est conclue, et le ciel vous destine à une autre qu'à moi. Le Marquis m'aimait en secret, et c'était, dit-il, par distraction qu'il ne me le déclarait pas. Par distraction! Le Chevalier. - J'entends; il avait oublié de vous le dire. Hortense. - Oui, c'est cela même; mais il vient de me l'avouer, et il l'avait confié à Madame. Le Chevalier. - Eh! que ne m'avertissiez-vous, Comtesse? J'ai cru quelquefois qu'il vous aimait vous-même. La Comtesse. - Quelle imagination! A propos de quoi me citer ici? Hortense. - Il y a eu des instants où je le soupçonnais aussi. La Comtesse. - Encore! Où est donc la plaisanterie, Hortense? Le Marquis. - Pour moi, je ne dis mot. Le Chevalier. - Vous me désespérez, Marquis. Le Marquis. - J'en suis fâché, mais mettez-vous à ma place; il y a un testament, vous le savez bien; je ne peux pas faire autrement. Le Chevalier. - Sans le testament, vous n'aimeriez peut-être pas autant que moi. Le Marquis. - Oh! vous me pardonnerez, je n'aime que trop. Hortense. - Je tâcherai de le mériter, Monsieur. A part, au Chevalier. Demandez qu'on presse notre mariage. Le Chevalier, à part, à Hortense. - N'est-ce pas trop risquer? Haut. Dans l'état où je suis, Marquis, achevez de me prouver que mon malheur est sans remède. Le Marquis. - La preuve s'en verra quand je l'épouserai. Je ne peux pas l'épouser tout à l'heure. Le Chevalier, d'un air inquiet. - Vous avez raison. A part, à Hortense. Il vous épousera. Hortense, à part, au Chevalier. - Vous gâtez tout. Au Marquis. J'entends bien ce que le Chevalier veut dire; c'est qu'il espère toujours que nous ne nous marierons pas, Monsieur le Marquis; n'est-ce pas, Chevalier? Le Chevalier. - Non, Madame, je n'espère plus rien. Hortense. - Vous m'excuserez; vous n'êtes pas convaincu, vous ne l'êtes pas; et comme il faut, m'avez-vous dit, que vous alliez demain à Paris pour y prendre des mesures nécessaires en cette occasion-ci, vous voudriez, avant que de partir, savoir bien précisément s'il ne vous reste plus d'espoir? Voilà ce que c'est; vous avez besoin d'une entière certitude? A part, au Chevalier. Dites qu'oui. Le Chevalier. - Mais oui. Hortense. - Monsieur le Marquis, nous ne sommes qu'à une lieue de Paris; il est de bonne heure; envoyez Lépine chercher un notaire, et passons notre contrat aujourd'hui, pour donner au Chevalier la triste conviction qu'il demande. La Comtesse. - Mais il me paraÃt que vous lui faites accroire qu'il la demande; je suis persuadée qu'il ne s'en soucie pas. Hortense, à part, au Chevalier. - Soutenez donc. Le Chevalier. - Oui, Comtesse, un notaire me ferait plaisir. La Comtesse. - Voilà un sentiment bien bizarre! Hortense. - Point du tout. Ses affaires exigent qu'il sache à quoi s'en tenir; il n'y a rien de si simple, et il a raison; il n'osait le dire, et je le dis pour lui. Allez-vous envoyer Lépine, Monsieur le Marquis? Le Marquis. - Comme il vous plaira. Mais qui est-ce qui songeait à avoir un notaire aujourd'hui? Hortense, au Chevalier. - Insistez. Le Chevalier. - Je vous en prie, Marquis. La Comtesse. - Oh! vous aurez la bonté d'attendre à demain, Monsieur le Chevalier; vous n'êtes pas si pressé; votre fantaisie n'est pas d'une espèce à mériter qu'on se gêne tant pour elle; ce serait ce soir ici un embarras qui nous dérangerait. J'ai quelques affaires; demain, il sera temps. Hortense, à part, au Chevalier. - Pressez. Le Chevalier. - Eh! Comtesse, de grâce. La Comtesse. - De grâce! L'hétéroclite prière! Il est donc bien ragoûtant de voir sa maÃtresse mariée à son rival? Comme Monsieur voudra, au reste! Le Marquis. - Il serait impoli de gêner Madame; au surplus, je m'en rapporte à elle; demain serait bon. Hortense. - Dès qu'elle y consent, il n'y a qu'à envoyer Lépine. Scène XIII La Comtesse, Hortense, Le Chevalier, Le Marquis, Lisette Hortense. - Voici Lisette qui entre; je vais lui dire de nous l'aller chercher. Lisette, on doit passer ce soir un contrat de mariage entre Monsieur le Marquis et moi; il veut tout à l'heure faire partir Lépine pour amener son notaire de Paris; ayez la bonté de lui dire qu'il vienne recevoir ses ordres. Lisette. - J'y cours, Madame. La Comtesse, l'arrêtant. - Où allez-vous? En fait de mariage, je ne veux ni m'en mêler, ni que mes gens s'en mêlent. Lisette. - Moi, ce n'est que pour rendre service. Tenez, je n'ai que faire de sortir; je le vois sur la terrasse. Elle appelle. Monsieur de Lépine! La Comtesse, à part. - Cette sotte! Scène XIV Le Marquis, La Comtesse, Le Chevalier, Hortense, Lépine, Lisette Lépine. - Qui est-ce qui m'appelle? Lisette. - Vite, vite, à cheval. Il s'agit d'un contrat de mariage entre Madame et votre maÃtre, et il faut aller à Paris chercher le notaire de Monsieur le Marquis. Lépine, au Marquis. - Le notaire! Ce qu'elle conte est-il vrai, Monsieur? nous avons la partie de chasse pour tantôt; je me suis arrangé pour courir le lièvre, et non pas le notaire. Le Marquis. - C'est pourtant le dernier qu'on veut. Lépine. - Ce n'est pas la peine que je voyage pour avoir le vôtre; je le compte pour mort. Ne le savez-vous pas? La fièvre le travaillait quand nous partÃmes, avec le médecin par-dessus; il en avait le transport au cerveau. Le Marquis. - Vraiment, oui; à propos, il était très malade. Lépine. - Il agonisait, sandis!... Lisette, d'un air indifférent. - Il n'y a qu'à prendre celui de Madame. La Comtesse. - Il n'y a qu'à vous taire; car si celui de Monsieur est mort, le mien l'est aussi. Il y a quelque temps qu'il me dit qu'il était le sien. Lisette, indifféremment, d'un air modeste. - Il me semble qu'il n'y a pas longtemps que vous lui avez écrit, Madame. La Comtesse. - La belle conséquence! Ma lettre a-t-elle empêché qu'il ne mourût? Il est certain que je lui ai écrit; mais aussi ne m'a-t-il point fait de réponse. Le Chevalier, à part, à Hortense. - Je commence à me rassurer. Hortense, lui souriant, à part. - Il y a plus d'un notaire à Paris. Lépine verra s'il se porte mieux. Depuis six semaines que nous sommes ici, il a eu le temps de revenir en bonne santé. Allez lui écrire un mot, Monsieur le Marquis, et priez-le, s'il ne peut venir, d'en indiquer un autre. Lépine ira se préparer pendant que vous écrirez. Lépine. - Non, Madame; si je monte à cheval, c'est autant de resté par les chemins. Je parlais de la partie de chasse; mais voici que je me sens mal, extrêmement mal; d'aujourd'hui je ne prendrai ni gibier, ni notaire. Lisette, en souriant négligemment. - Est-ce que vous êtes mort aussi? Lépine, en feignant la douleur. - Non, Mademoiselle; mais je vis souffrant et je ne pourrais fournir la course. Ahi! sans le respect de la compagnie, je ferais des cris perçants. Je me brisai hier d'une chute sur l'escalier; je roulai tout un étage, et je commençais d'en entamer un autre quand on me retint sur le penchant. Jugez de la douleur; je la sens qui m'enveloppe. Le Chevalier. - Eh bien! tu n'as qu'à prendre ma chaise. Dites-lui qu'il parte, Marquis. Le Marquis. - Ce garçon qui est tout froissé, qui a roulé un étage, je m'étonne qu'il ne soit pas au lit. Pars si tu peux, au reste. Hortense. - Allez, partez, Lépine; on n'est point fatigué dans une chaise. Lépine. - Vous dirai-je le vrai, Mademoiselle? obligez-moi de me dispenser de la commission. Monsieur traite avec vous de sa ruine; vous ne l'aimez point, Madame; j'en ai connaissance, et ce mariage ne peut être que fatal; je me ferais un reproche d'y avoir part. Je parle en conscience. Si mon scrupule déplaÃt, qu'on me dise Va-t'en; qu'on me casse, je m'y soumets; ma probité me console. La Comtesse. - Voilà ce qu'on appelle un excellent domestique! ils sont bien rares! Le Marquis, à Hortense. - Vous l'entendez. Comment voulez-vous que je m'y prenne avec cet opiniâtre? Quand je me fâcherais, il n'en sera ni plus ni moins. Il faut donc le chasser. A Lépine. Retire-toi. Hortense. - On se passera de lui. Allez toujours écrire; un de mes gens portera la lettre, ou quelqu'un du village. Scène XV Hortense, Le Marquis, La Comtesse, Le Chevalier Hortense. - Ah! çà , vous allez faire votre billet; j'en vais écrire un qu'on laissera chez moi en passant. Le Marquis. - Oui-da; mais consultez-vous; si par hasard vous ne m'aimiez pas, tant pis; car j'y vais de bon eu. Le Chevalier, à part, à Hortense. - Vous le poussez trop. Hortense, à part. - Paix! Haut. Tout est consulté, Monsieur; adieu. Chevalier, vous voyez bien qu'il ne m'est plus permis de vous écouter. Le Chevalier. - Adieu, Mademoiselle; je vais me livrer à la douleur où vous me laissez. Scène XVI Le Marquis, consterné, La Comtesse Le Marquis. - Je n'en reviens point! C'est le diable qui m'en veut. Vous voulez que cette fille-là m'aime? La Comtesse. - Non; mais elle est assez mutine pour vous épouser. Croyez-moi, terminez avec elle. Le Marquis. - Si je lui offrais cent mille francs? Mais ils ne sont pas prêts; je ne les ai point. La Comtesse. - Que cela ne vous retienne pas; je vous les prêterai, moi; je les ai à Paris. Rappelez-les; votre situation me fait de la peine. Courez, je les vois encore tous deux. Le Marquis. - Je vous rends mille grâces. Il appelle. Madame! Monsieur le Chevalier! Scène XVII Le Chevalier, Hortense, Le Marquis, La Comtesse Le Marquis. - Voulez-vous bien revenir? J'ai un petit mot à vous communiquer. Hortense. - De quoi s'agit-il donc? Le Chevalier. - Vous me rappelez aussi; dois-je en tirer un bon augure? Hortense. - Je croyais que vous alliez écrire. Le Marquis. - Rien n'empêche. Mais c'est que j'ai une proposition à vous faire, et qui est tout à fait raisonnable. Hortense. - Une proposition, Monsieur le Marquis? Vous m'avez donc trompée? Votre amour n'est pas aussi vrai que vous me l'avez dit. Le Marquis. - Que diantre voulez-vous? On prétend aussi que vous ne m'aimez point; cela me chicane. Hortense. - Je ne vous aime pas encore, mais je vous aimerai. Et puis, Monsieur, avec de la vertu, on se passe d'amour pour un mari. Le Marquis. - Oh! je serais un mari qui ne s'en passerait pas, moi. Nous ne gagnerions, à nous marier, que le loisir de nous quereller à notre aise, et ce n'est pas là une partie de plaisir bien touchante; ainsi, tenez, accommodons-nous plutôt. Partageons le différend en deux; il y a deux cent mille francs sur le testament; prenez-en la moitié, quoique vous ne m'aimiez pas, et laissons là tous les notaires, tant vivants que morts. Le Chevalier, à part, à Hortense. - Je ne crains plus rien. Hortense. - Vous n'y pensez pas, Monsieur; cent mille francs ne peuvent entrer en comparaison avec l'avantage de vous épouser, et vous ne vous évaluez pas ce que vous valez. Le Marquis. - Ma foi, je ne les vaux pas quand je suis de mauvaise humeur, et je vous annonce que j'y serai toujours. Hortense. - Ma douceur naturelle me rassure. Le Marquis. - Vous ne voulez donc pas? Allons notre chemin; vous serez mariée. Hortense. - C'est le plus court et je m'en retourne. Le Marquis. - Ne suis-je pas bien malheureux d'être obligé de donner la moitié d'une pareille somme à une personne qui ne se soucie pas de moi? Il n'y a qu'à plaider, Madame; nous verrons un peu si on me condamnera à épouser une fille qui ne m'aime pas. Hortense. - Et moi je dirai que je vous aime; qui est-ce qui me prouvera le contraire dès que je vous accepte? Je soutiendrai que c'est vous qui ne m'aimez pas, et qui même, dit-on, en aime une autre. Le Marquis. - Du moins, en tout cas, ne la connaÃt-on point comme on connaÃt le Chevalier? Hortense. - Tout de même, Monsieur; je la connais, moi. La Comtesse. - Eh! finissez, Monsieur, finissez. Ah! l'odieuse contestation! Hortense. - Oui, finissons. Je vous épouserai, Monsieur; il n'y a que cela à dire. Le Marquis. - Eh bien! et moi aussi, Madame, et moi aussi. Hortense. - Epousez donc. Le Marquis. - Oui, parbleu! j'en aurai le plaisir; il faudra bien que l'amour vous vienne; et, pour début de mariage, je prétends, s'il vous plaÃt, que Monsieur le Chevalier ait la bonté d'être notre ami de loin. Le Chevalier, à part, à Hortense. - Ceci ne vaut rien; il se pique. Hortense, au Chevalier. - Taisez-vous. Au Marquis. Monsieur le Chevalier me connaÃt assez pour être persuadé qu'il ne me verra plus. Adieu, Monsieur; je vais écrire mon billet; tenez le vôtre prêt; ne perdons point de temps. La Comtesse. - Oh! pour votre contrat, je vous certifie que vous irez le signer où il vous plaira, mais que ce ne sera pas chez moi. C'est s'égorger que se marier comme vous faites, et je ne prêterai jamais ma maison pour une si funeste cérémonie; vos fureurs iront se passer ailleurs, si vous le trouvez bon. Hortense. - Eh bien! Comtesse, la Marquise est votre voisine; nous irons chez elle. Le Marquis. - Oui, si j'en suis d'avis; car, enfin, cela dépend de moi. Je ne connais point votre Marquise. Hortense, en s'en allant. - N'importe, vous y consentirez, Monsieur. Je vous quitte. Le Chevalier, en s'en allant. - A tout ce que je vois, mon espérance renaÃt un peu. Scène XVIII La Comtesse, Le Marquis, Le Chevalier La Comtesse, arrêtant le Chevalier. - Restez, Chevalier; parlons un peu de ceci. Y eut-il jamais rien de pareil? Qu'en pensez-vous, vous qui aimez Hortense, vous qu'elle aime? Le mariage ne vous fait-il pas trembler? Moi qui ne suis pas son amant, il m'effraie. Le Chevalier, avec un effroi hypocrite. - C'est une chose affreuse! il n'y a point d'exemple de cela. Le Marquis. - Je ne m'en soucie guère; elle sera ma femme, mais en revanche je serai son mari; c'est ce qui me console, et ce sont plus ses affaires que les miennes. Aujourd'hui le contrat, demain la noce, et ce soir confinée dans son appartement; pas plus de façon. Je suis piqué, je ne donnerais pas cela de plus. La Comtesse. - Pour moi, je serais d'avis qu'on les empêchât absolument de s'engager; et un notaire honnête homme, s'il était instruit, leur refuserait tout net son ministère. Je les enfermerais si j'étais la maÃtresse. Hortense peut-elle se sacrifier à un aussi vil intérêt? Vous qui êtes né généreux, Chevalier, et qui avez du pouvoir sur elle, retenez-la; faites-lui, par pitié, entendre raison, si ce n'est par amour. Je suis sûre qu'elle ne marchande si vilainement qu'à cause de vous. Le Chevalier, à part. - Il n'y a plus de risque à tenir bon. Haut. Que voulez-vous que j'y fasse, Comtesse? Je n'y vois point de remède. La Comtesse. - Comment? que dites-vous? Il faut que j'aie mal entendu; car je vous estime. Le Chevalier. - Je dis que je ne puis rien là -dedans, et que c'est ma tendresse qui me défend de la résoudre à ce que vous souhaitez. La Comtesse. - Et par quel trait d'esprit me prouverez-vous la justesse de ce petit raisonnement-là ? Le Chevalier. - Oui, Madame, je veux qu'elle soit heureuse. Si je l'épouse, elle ne le serait pas assez avec la fortune que j'ai; la douceur de notre union s'altérerait; je la verrais se repentir de m'avoir épousé, de n'avoir pas épousé Monsieur, et c'est à quoi je ne m'exposerai point. La Comtesse. - On ne peut vous répondre qu'en haussant les épaules. Est-ce vous qui me parlez, Chevalier? Le Chevalier. - Oui, Madame. La Comtesse. - Vous avez donc l'âme mercenaire aussi, mon petit cousin? je ne m'étonne plus de l'inclination que vous avez l'un pour l'autre. Oui, vous êtes digne d'elle; vos coeurs sont bien assortis. Ah! l'horrible façon d'aimer! Le Chevalier. - Madame, la vraie tendresse ne raisonne pas autrement que la mienne. La Comtesse. - Ah! Monsieur, ne prononcez pas seulement le mot de tendresse; vous le profanez. Le Chevalier. - Mais... La Comtesse. - Vous me scandalisez, vous dis-je. Vous êtes mon parent malheureusement, mais je ne m'en vanterai point. N'avez-vous pas de honte? Vous parlez de votre fortune, je la connais; elle vous met fort en état de supporter le retranchement d'une aussi misérable somme que celle dont il s'agit, et qui ne peut jamais être que mal acquise. Ah ciel! moi qui vous estimais! Quelle avarice sordide! Quel coeur sans sentiment! Et de pareils gens disent qu'ils aiment! Ah! le vilain amour! Vous pouvez vous retirer; je n'ai plus rien à vous dire. Le Marquis, brusquement. - Ni moi non plus rien à entendre. Le billet va partir; vous avez encore trois heures à entretenir Hortense, après quoi j'espère qu'on ne vous verra plus. Le Chevalier. - Monsieur, le contrat signé, je pars. Pour vous, Comtesse, quand vous y penserez bien sérieusement, vous excuserez votre parent et vous lui rendrez plus de justice. La Comtesse. - Ah! non; voilà qui est fini, je ne saurais le mépriser davantage. Scène XIX Le Marquis, La Comtesse Le Marquis. - Eh bien! suis-je assez à plaindre? La Comtesse. - Eh! Monsieur, délivrez-vous d'elle et donnez-lui les deux cent mille francs. Le Marquis. - Deux cent mille francs plutôt que de l'épouser! Non, parbleu! je n'irai pas m'incommoder jusque-là ; je ne pourrais pas les trouver sans me déranger. La Comtesse, négligemment. - Ne vous ai-je pas dit que j'ai justement la moitié de cette somme-là toute prête? A l'égard du reste, on tâchera de vous la faire. Le Marquis. - Eh! quand on emprunte, ne faut-il pas rendre? Si vous aviez voulu de moi, à la bonne heure; mais dès qu'il n'y a rien à faire, je retiens la demoiselle; elle serait trop chère à renvoyer. La Comtesse. - Trop chère! Prenez donc garde, vous parlez comme eux. Seriez-vous capable de sentiments si mesquins? Il vaudrait mieux qu'il vous en coûtât tout votre bien que de la retenir, puisque vous ne l'aimez pas, Monsieur. Le Marquis. - Eh! en aimerais-je une autre davantage? A l'exception de vous, toute femme m'est égale; brune, blonde, petite ou grande, tout cela revient au même, puisque je ne vous ai pas, que je ne puis vous avoir, et qu'il n'y a que vous que j'aimais. La Comtesse. - Voyez donc comment vous ferez; car enfin, est-ce une nécessité que je vous épouse à cause de la situation désagréable où vous êtes? En vérité, cela me paraÃt bien fort, Marquis. Le Marquis. - Oh! je ne dis pas que ce soit une nécessité; vous me faites plus ridicule que je ne le suis. Je sais bien que vous n'êtes obligée à rien. Ce n'est pas votre faute si je vous aime, et je ne prétends pas que vous m'aimiez; je ne vous en parle point non plus. La Comtesse, impatiente et d'un ton sérieux. - Vous faites fort bien, Monsieur; votre discrétion est tout à fait raisonnable; je m'y attendais, et vous avez tort de croire que je vous fais plus ridicule que vous ne l'êtes. Le Marquis. - Tout le mal qu'il y a, c'est que j'épouserai cette fille-ci avec un peu plus de peine que je n'en aurais eu sans vous. Voilà toute l'obligation que je vous ai. Adieu, Comtesse. La Comtesse. - Adieu, Marquis; vous vous en allez donc gaillardement comme cela, sans imaginer d'autre expédient que ce contrat extravagant! Le Marquis. - Eh! quel expédient? Je n'en savais qu'un qui n'a pas réussi, et je n'en sais plus. Je suis votre très humble serviteur. Il se retire en faisant plusieurs révérences. La Comtesse. - Bonsoir, Monsieur. Ne perdez point de temps en révérences, la chose presse. Scène XX La Comtesse La Comtesse, quand il est parti. - Qu'on me dise en vertu de quoi cet homme-là s'est mis dans la tête que je ne l'aime point! Je suis quelquefois, par impatience, tentée de lui dire que je l'aime, pour lui montrer qu'il n'est qu'un idiot. Il faut que je me satisfasse. Scène XXI Lépine, La Comtesse Lépine. - Puis-je prendre la licence de m'approcher de Madame la Comtesse? La Comtesse. - Qu'as-tu à me dire? Lépine. - De nous rendre réconciliés, Monsieur le Marquis et moi. La Comtesse. - Il est vrai qu'avec l'esprit tourné comme il l'a, il est homme à te punir de l'avoir bien servi. Lépine. - J'ai le contentement que vous avez approuvé mon refus de partir. Il vous a semblé que j'étais un serviteur excellent; Madame, ce sont les termes de la louange dont votre justice m'a gratifié. La Comtesse. - Oui, excellent, je le dis encore. Lépine. - C'est cependant mon excellence qui fait aujourd'hui que je chancelle dans mon poste. Tout estimé que je suis de la plus aimable Comtesse, elle verra qu'on me supprime. La Comtesse. - Non, non, il n'y a pas d'apparence. Je parlerai pour toi. Lépine. - Madame, enseignez à Monsieur le Marquis le mérite de mon procédé. Ce notaire me consternait dans l'excès de mon zèle, je l'ai fait malade, je l'ai fait mort; je l'aurais enterré, sandis, le tout par affection, et néanmoins on me gronde! S'approchant de la Comtesse d'un air mystérieux. Je sais au demeurant que Monsieur le Marquis vous aime; Lisette le sait; nous l'avions même priée de vous en toucher deux mots pour exciter votre compassion, mais elle a craint la diminution de ses petits profits. La Comtesse. - Je n'entends pas ce que cela veut dire. Lépine. - Le voici au net. Elle prétend que votre état de veuve lui rapporte davantage que ne ferait votre état de femme en puissance d'époux, que vous lui êtes plus profitable, autrement dit, plus lucrative. La Comtesse. - Plus lucrative! c'était donc là le motif de ses refus? Lisette est une jolie petite personne! Lépine. - Cette prudence ne vous rit pas, elle vous répugne; votre belle âme de comtesse s'en scandalise; mais tout le monde n'est pas comtesse; c'est une pensée de soubrette que je rapporte. Il faut excuser la servitude. Se fâche-t-on qu'une fourmi rampe? La médiocrité de l'état fait que les pensées sont médiocres. Lisette n'a point de bien, et c'est avec de petits sentiments qu'on en amasse. La Comtesse. - L'impertinente! La voici. Va, laisse-nous; je te raccommoderai avec ton maÃtre; dis-lui que je le prie de me venir parler. Scène XXII Lisette, La Comtesse, Lépine Lépine, à Lisette, en sortant. - Mademoiselle, vous allez trouver le temps orageux; mais ce n'est qu'une gentillesse de ma façon pour obtenir votre coeur. Lénine part. Scène XXIII Lisette, La Comtesse Lisette, en s'approchant. - Que veut-il dire? La Comtesse. - Ah! c'est donc vous? Lisette. - Oui, Madame; et la poste n'était point partie. Eh bien! que vous a dit le Marquis? La Comtesse. - Vous méritez bien que je l'épouse! Lisette. - Je ne sais pas en quoi je le mérite; mais ce qui est de certain, c'est que, toute réflexion faite, je venais pour vous le conseiller. A part. Il faut céder au torrent. La Comtesse. - Vous me surprenez. Et vos profits, que deviendront-ils? Lisette. - Qu'est-ce que c'est que mes profits? La Comtesse. - Oui, vous ne gagneriez plus tant avec moi si j'avais un mari, avez-vous dit à Lépine. Penserait-on que je serai peut-être obligée de me remarier, pour échapper à la fourberie et aux services intéressés de mes domestiques? Lisette. - Ah! le coquin! il m'a donc tenu parole. Vous ne savez pas qu'il m'aime, Madame; que par là il a intérêt que vous épousiez son maÃtre; et, comme j'ai refusé de vous parler en faveur du Marquis, Lépine a cru que je le desservais auprès de vous; il m'a dit que je m'en repentirais; et voilà comme il s'y prend! Mais, en bonne foi, me reconnaissez-vous au discours qu'il me fait tenir? Y a-t-il même du bon sens? M'en aimerez-vous moins quand vous serez mariée? En serez-vous moins bonne, moins généreuse? La Comtesse. - Je ne pense pas. Lisette. - Surtout avec le Marquis, qui, de son côté, est le meilleur homme du monde? Ainsi, qu'est-ce que j'y perdrais? Au contraire, si j'aime tant mes profits, avec vos bienfaits je pourrai encore espérer les siens. La Comtesse. - Sans difficulté. Lisette. - Et enfin, je pense si différemment, que je venais actuellement, comme je vous l'ai dit, tâcher de vous porter au mariage en question, parce que je le juge nécessaire. La Comtesse. - Voilà qui est bien, je vous crois. Je ne savais pas que Lépine vous aimait; et cela change tout, c'est un article qui vous justifie. Lisette. - Oui; mais on vous prévient bien aisément contre moi, Madame; vous ne rendez guère justice à mon attachement pour vous. La Comtesse. - Tu te trompes; je sais ce que tu vaux, et je n'étais pas si persuadée que tu te l'imagines. N'en parlons plus. Qu'est-ce que tu voulais me dire? Lisette. - Que je songeais que le Marquis est un homme estimable. La Comtesse. - Sans contredit, je n'ai jamais pensé autrement. Lisette. - Un homme avec qui vous aurez l'agrément d'avoir un ami sûr, sans avoir de maÃtre. La Comtesse. - Cela est encore vrai; ce n'est pas là ce que je dispute. Lisette. - Vos affaires vous fatiguent. La Comtesse. - Plus que je ne puis dire; je les entends mal, et je suis une paresseuse. Lisette. - Vous en avez des instants de mauvaise humeur qui nuisent à votre santé. La Comtesse. - Je n'ai connu mes migraines que depuis mon veuvage. Lisette. - Procureurs, avocats, fermiers, le Marquis vous délivrerait de tous ces gens-là . La Comtesse. - Je t'avoue que tu as réfléchi là -dessus plus sûrement que moi. Jusqu'ici je n'ai point de raisons qui combattent les tiennes. Lisette. - Savez-vous bien que c'est peut-être le seul homme qui vous convienne? La Comtesse. - Il faut donc que j'y rêve. Lisette. - Vous ne vous sentez point de l'éloignement pour lui? La Comtesse. - Non, aucun. Je ne dis pas que je l'aime de ce qu'on appelle passion; mais je n'ai rien dans le coeur qui lui soit contraire. Lisette. - Eh! n'est-ce pas assez, vraiment! De la passion! Si, pour vous marier, vous attendez qu'il vous en vienne, vous resterez toujours veuve; et à proprement parler, ce n'est pas lui que je vous propose d'épouser, c'est son caractère. La Comtesse. - Qui est admirable, j'en conviens. Lisette. - Et puis, voyez le service que vous lui rendrez chemin faisant, en rompant le triste mariage qu'il va conclure plus par désespoir que par intérêt! La Comtesse. - Oui, c'est une bonne action que je ferai, et il est louable d'en faire autant qu'on peut. Lisette. - Surtout quand il n'en coûte rien au coeur. La Comtesse. - D'accord. On peut dire assurément que tu plaides bien pour lui. Tu me disposes on ne peut pas mieux; mais il n'aura pas l'esprit d'en profiter, mon enfant. Lisette. - D'où vient donc? Ne vous a-t-il pas parlé de son amour? La Comtesse. - Oui, il m'a dit qu'il m'aimait, et mon premier mouvement a été d'en paraÃtre étonnée; c'était bien le moins. Sais-tu ce qui est arrivé? Qu'il a pris mon étonnement pour de la colère. Il a commencé par établir que je ne pouvais pas le souffrir. En un mot, je le déteste, je suis furieuse contre son amour; voilà d'où il part; moyennant quoi je ne saurais le désabuser sans lui dire Monsieur, vous ne savez ce que vous dites. Ce serait me jeter à sa tête; aussi n'en ferai-je rien. Lisette. - Oh! c'est une autre affaire vous avez raison; ce n'est point ce que je vous conseille non plus, et il n'y a qu'à le laisser là . La Comtesse. - Bon! tu veux que je l'épouse, tu veux que je le laisse là ; tu me promènes d'une extrémité à l'autre. Eh! peut-être n'a-t-il pas tant de tort, et que c'est ma faute. Je lui réponds quelquefois avec aigreur. Lisette. - J'y pensais c'est ce que j'allais vous dire. Voulez-vous que j'en parle à Lépine, et que je lui insinue de l'encourager? La Comtesse. - Non, je te le défends, Lisette, à moins que je n'y sois pour rien. Lisette. - Apparemment, ce n'est pas vous qui vous en avisez, c'est moi. La Comtesse. - En ce cas, je n'y prends point de part. Si je l'épouse, c'est à toi à qui il en aura l'obligation; et je prétends qu'il le sache, afin qu'il t'en récompense. Lisette. - Comme il vous plaira, Madame. La Comtesse. - A propos, cette robe brune qui me déplaÃt, l'as-tu prise? J'ai oublié de te dire que je te la donne. Lisette. - Voyez comme votre mariage diminuera mes profits. Je vous quitte pour chercher Lépine, mais ce n'est pas la peine; je vois le Marquis, et je vous laisse. Scène XXIV Le Marquis, La Comtesse Le Marquis, à part, sans voir la Comtesse. - Voici cette lettre que je viens de faire pour le notaire, mais je ne sais pas si elle partira; je ne suis pas d'accord avec moi-même. A la Comtesse. On dit que vous souhaitez me parler, Comtesse? La Comtesse. - Oui, c'est en faveur de Lépine. Il n'a voulu que vous rendre service; il craint que vous ne le congédiiez, et vous m'obligerez de le garder; c'est une grâce que vous ne me refuserez pas, puisque vous dites que vous m'aimez. Le Marquis. - Vraiment oui, je vous aime, et ne vous aimerai encore que trop longtemps. La Comtesse. - Je ne vous en empêche pas. Le Marquis. - Parbleu! je vous en défierais, puisque je ne saurais m'en empêcher moi-même. La Comtesse, riant. - Ah! ah! ah! Ce ton brusque me fait rire. Le Marquis. - Oh! oui, la chose est fort plaisante! La Comtesse. - Plus que vous ne pensez. Le Marquis. - Ma foi, je pense que je voudrais ne vous avoir jamais vue. La Comtesse. - Votre inclination s'explique avec des grâces infinies. Le Marquis. - Bon! des grâces! A quoi me serviraient-elles? N'a-t-il pas plu à votre coeur de me trouver haïssable? La Comtesse. - Que vous êtes impatientant avec votre haine! Eh! quelles preuves avez-vous de la mienne? Vous n'en avez que de ma patience à écouter la bizarrerie des discours que vous me tenez toujours. Vous ai-je jamais dit un mot de ce que vous m'avez fait dire, ni que vous me fâchiez, ni que je vous hais, ni que je vous raille? Toutes visions que vous prenez, je ne sais comment, dans votre tête, et que vous vous figurez venir de moi; visions que vous grossissez, que vous multipliez à chaque fois que vous me répondez ou que vous croyez me répondre; car vous êtes d'une maladresse! Ce n'est non plus à moi que vous répondez, qu'à qui ne vous parla jamais; et cependant Monsieur se plaint! Le Marquis. - C'est que Monsieur est un extravagant. La Comtesse. - C'est du moins le plus insupportable homme que je connaisse. Oui, vous pouvez être persuadé qu'il n'y a rien de si original que vos conversations avec moi, de si incroyable! Le Marquis. - Comme votre aversion m'accommode! La Comtesse. - Vous allez voir. Tenez; vous dites que vous m'aimez, n'est-ce pas? Et je vous crois. Mais voyons, que souhaiteriez-vous que je vous répondisse? Le Marquis. - Ce que je souhaiterais? Voilà qui est bien difficile à deviner. Parbleu, vous le savez de reste. La Comtesse. - Eh bien! ne l'ai-je pas dit? Est-ce là me répondre? Allez, Monsieur, je ne vous aimerai jamais, non, jamais. Le Marquis. - Tant pis, Madame, tant pis; je vous prie de trouver bon que j'en sois fâché. La Comtesse. - Apprenez donc, lorsqu'on dit aux gens qu'on les aime, qu'il faut du moins leur demander ce qu'ils en pensent. Le Marquis. - Quelle chicane vous me faites! La Comtesse. - Je n'y saurais tenir; adieu. Elle veut s'en aller. Le Marquis, la retenant. - Eh bien! Madame, je vous aime; qu'en pensez-vous? et encore une fois, qu'en pensez-vous? La Comtesse. - Ah! ce que j'en pense? Que je le veux bien, Monsieur; et encore une fois, que je le veux bien; car, si je ne m'y prenais pas de cette façon, nous ne finirions jamais. Le Marquis, charmé. - Ah! Vous le voulez bien? Ah! je respire, Comtesse, donnez-moi votre main, que je la baise. Il baise avec transport la main de la Comtesse. Scène XXV et dernière La Comtesse, Le Marquis, Hortense, Le Chevalier, Lisette, Lépine Hortense. - Votre billet est-il prêt, Marquis? Mais vous baisez la main de la Comtesse, ce me semble? Le Marquis. - Oui; c'est pour la remercier du peu de regret que j'ai aux deux cent mille francs que je vous donne. Hortense. - Et moi, sans compliment, je vous remercie de vouloir bien les perdre. Le Chevalier. - Nous voilà donc contents. Que je vous embrasse, Marquis. A la Comtesse. Comtesse, voilà le dénouement que nous attendions. La Comtesse, en s'en allant. - Eh bien! vous n'attendrez plus. Lisette, à Lépine. - Maraud! je crois en effet qu'il faudra que je t'épouse. Lépine. - Je l'avais entrepris. Fin Les Fausses confidences Acteurs Comédie en trois actes, en prose, représentée pour la première fois par les comédiens Italiens le 16 mars 1737 Acteurs Araminte, fille de Madame Argante. Dorante, neveu de Monsieur Remy. Monsieur Remy, procureur. Madame Argante. Arlequin, valet d'Araminte. Dubois, ancien valet de Dorante. Marton, suivante d'Araminte. Le Comte. Un domestique parlant. Un garçon joaillier. La scène est chez Madame Argante. Acte premier Scène première Dorante, Arlequin Arlequin, introduisant Dorante. - Ayez la bonté, Monsieur, de vous asseoir un moment dans cette salle; Mademoiselle Marton est chez Madame et ne tardera pas à descendre. Dorante. - Je vous suis obligé. Arlequin. - Si vous voulez, je vous tiendrai compagnie, de peur que l'ennui ne vous prenne; nous discourrons en attendant. Dorante. - Je vous remercie; ce n'est pas la peine, ne vous détournez point. Arlequin. - Voyez, Monsieur, n'en faites pas de façon nous avons ordre de Madame d'être honnête, et vous êtes témoin que je le suis. Dorante. - Non, vous dis-je, je serai bien aise d'être un moment seul. Arlequin. - Excusez, Monsieur, et restez à votre fantaisie. Scène II Dorante, Dubois, entrant avec un air de mystère. Dorante. - Ah! te voilà ? Dubois. - Oui, je vous guettais. Dorante. - J'ai cru que je ne pourrais me débarrasser d'un domestique qui m'a introduit ici et qui voulait absolument me désennuyer en restant. Dis-moi, Monsieur Remy n'est donc pas encore venu? Dubois. - Non mais voici l'heure à peu près qu'il vous a dit qu'il arriverait. Il cherche et regarde. N'y a-t-il là personne qui nous voie ensemble? Il est essentiel que les domestiques ici ne sachent pas que je vous connaisse. Dorante. - Je ne vois personne. Dubois. - Vous n'avez rien dit de notre projet à Monsieur Remy, votre parent? Dorante. - Pas le moindre mot. Il me présente de la meilleure foi du monde, en qualité d'intendant, à cette dame-ci dont je lui ai parlé, et dont il se trouve le procureur; il ne sait point du tout que c'est toi qui m'as adressé à lui il la prévint hier; il m'a dit que je me rendisse ce matin ici, qu'il me présenterait à elle, qu'il y serait avant moi, ou que s'il n'y était pas encore, je demandasse une Mademoiselle Marton. Voilà tout, et je n'aurais garde de lui confier notre projet, non plus qu'à personne, il me paraÃt extravagant, à moi qui m'y prête. Je n'en suis pourtant pas moins sensible à ta bonne volonté, Dubois; tu m'as servi, je n'ai pu te garder, je n'ai pu même te bien récompenser de ton zèle; malgré cela, il t'est venu dans l'esprit de faire ma fortune! en vérité, il n'est point de reconnaissance que je ne te doive. Dubois. - Laissons cela, Monsieur; tenez, en un mot, je suis content de vous; vous m'avez toujours plu; vous êtes un excellent homme, un homme que j'aime; et si j'avais bien de l'argent, il serait encore à votre service. Dorante. - Quand pourrai-je reconnaÃtre tes sentiments pour moi? Ma fortune serait la tienne; mais je n'attends rien de notre entreprise, que la honte d'être renvoyé demain. Dubois. - Eh bien, vous vous en retournerez. Dorante. - Cette femme-ci a un rang dans le monde; elle est liée avec tout ce qu'il y a de mieux, veuve d'un mari qui avait une grande charge dans les finances, et tu crois qu'elle fera quelque attention à moi, que je l'épouserai, moi qui ne suis rien, moi qui n'ai point de bien? Dubois. - Point de bien! votre bonne mine est un Pérou! Tournez-vous un peu, que je vous considère encore; allons, Monsieur, vous vous moquez, il n'y a point de plus grand seigneur que vous à Paris voilà une taille qui vaut toutes les dignités possibles, et notre affaire est infaillible, absolument infaillible; il me semble que je vous vois déjà en déshabillé dans l'appartement de Madame. Dorante. - Quelle chimère! Dubois. - Oui, je le soutiens. Vous êtes actuellement dans votre salle et vos équipages sont sous la remise. Dorante. - Elle a plus de cinquante mille livres de rente, Dubois. Dubois. - Ah! vous en avez bien soixante pour le moins. Dorante. - Et tu me dis qu'elle est extrêmement raisonnable? Dubois. - Tant mieux pour vous, et tant pis pour elle. Si vous lui plaisez, elle en sera si honteuse, elle se débattra tant, elle deviendra si faible, qu'elle ne pourra se soutenir qu'en épousant; vous m'en direz des nouvelles. Vous l'avez vue et vous l'aimez? Dorante. - Je l'aime avec passion, et c'est ce qui fait que je tremble! Dubois. - Oh! vous m'impatientez avec vos terreurs eh que diantre! un peu de confiance; vous réussirez, vous dis-je. Je m'en charge, je le veux, je l'ai mis là ; nous sommes convenus de toutes nos actions; toutes nos mesures sont prises; je connais l'humeur de ma maÃtresse, je sais votre mérite, je sais mes talents, je vous conduis, et on vous aimera, toute raisonnable qu'on est; on vous épousera, toute fière qu'on est, et on vous enrichira, tout ruiné que vous êtes, entendez-vous? Fierté, raison et richesse, il faudra que tout se rende. Quand l'amour parle, il est le maÃtre, et il parlera adieu; je vous quitte; j'entends quelqu'un, c'est peut-être Monsieur Remy; nous voilà embarqués poursuivons. Il fait quelques pas, et revient. A propos, tâchez que Marton prenne un peu de goût pour vous. L'amour et moi nous ferons le reste. Scène III Monsieur Remy, Dorante Monsieur Remy. - Bonjour, mon neveu; je suis bien aise de vous voir exact. Mademoiselle Marton va venir, on est allé l'avertir. La connaissez-vous? Dorante. - Non, monsieur, pourquoi me le demandez-vous? Monsieur Remy. - C'est qu'en venant ici, j'ai rêvé à une chose... Elle est jolie, au moins. Dorante. - Je le crois. Monsieur Remy. - Et de fort bonne famille c'est moi qui ai succédé à son père; il était fort ami du vôtre; homme un peu dérangé; sa fille est restée sans bien; la dame d'ici a voulu l'avoir; elle l'aime, la traite bien moins en suivante qu'en amie, lui a fait beaucoup de bien, lui en fera encore, et a offert même de la marier. Marton a d'ailleurs une vieille parente asthmatique dont elle hérite, et qui est à son aise; vous allez être tous deux dans la même maison; je suis d'avis que vous l'épousiez qu'en dites-vous? Dorante. - Eh!... mais je ne pensais pas à elle. Monsieur Remy. - Eh bien, je vous avertis d'y penser; tâchez de lui plaire. Vous n'avez rien, mon neveu, je dis rien qu'un peu d'espérance. Vous êtes mon héritier; mais je me porte bien, et je ferai durer cela le plus longtemps que je pourrai, sans compter que je puis me marier je n'en ai point d'envie; mais cette envie-là vient tout d'un coup il y a tant de minois qui vous la donnent; avec une femme on a des enfants, c'est la coutume; auquel cas, serviteur au collatéral. Ainsi, mon neveu, prenez toujours vos petites précautions, et vous mettez en état de vous passer de mon bien, que je vous destine aujourd'hui, et que je vous ôterai demain peut-être. Dorante. - Vous avez raison, Monsieur, et c'est aussi à quoi je vais travailler. Monsieur Remy. - Je vous y exhorte. Voici Mademoiselle Marton éloignez-vous de deux pas pour me donner le temps de lui demander comment elle vous trouve. Dorante s'écarte un peu. Scène IV Monsieur Remy, Marton, Dorante Marton. - Je suis fâchée, Monsieur, de vous avoir fait attendre; mais j'avais affaire chez Madame. Monsieur Remy. - Il n'y a pas grand mal, Mademoiselle, j'arrive. Que pensez-vous de ce grand garçon-là ? Montrant Dorante. Marton, riant. - Eh! par quelle raison, Monsieur Remy, faut-il que je vous le dise? Monsieur Remy. - C'est qu'il est mon neveu. Marton. - Eh bien! ce neveu-là est bon à montrer; il ne dépare point la famille. Monsieur Remy. - Tout de bon? C'est de lui dont j'ai parlé à Madame pour intendant, et je suis charmé qu'il vous revienne il vous a déjà vue plus d'une fois chez moi quand vous y êtes venue; vous en souvenez-vous? Marton. - Non, je n'en ai point d'idée. Monsieur Remy. - On ne prend pas garde à tout. Savez-vous ce qu'il me dit la première fois qu'il vous vit? Quelle est cette jolie fille-là ? Marton sourit. Approchez, mon neveu. Mademoiselle, votre père et le sien s'aimaient beaucoup; pourquoi les enfants ne s'aimeraient-ils pas? En voilà un qui ne demande pas mieux; c'est un coeur qui se présente bien. Dorante, embarrassé. - Il n'y a rien là de difficile à croire. Monsieur Remy. - Voyez comme il vous regarde; vous ne feriez pas là une si mauvaise emplette. Marton. - J'en suis persuadée; Monsieur prévient en sa faveur, et il faudra voir. Monsieur Remy. - Bon, bon! il faudra! Je ne m'en irai point que cela ne soit vu. Marton, riant. - Je craindrais d'aller trop vite. Dorante. - Vous importunez Mademoiselle, Monsieur. Marton, riant. - Je n'ai pourtant pas l'air si indocile. Monsieur Remy, joyeux. - Ah! je suis content, vous voilà d'accord. Oh! ça, mes enfants il leur prend les mains à tous deux, je vous fiance, en attendant mieux. Je ne saurais rester; je reviendrai tantôt. Je vous laisse le soin de présenter votre futur à Madame. Adieu, ma nièce. Il sort. Marton, riant. - Adieu donc, mon oncle. Scène V Marton, Dorante Marton. - En vérité, tout ceci a l'air d'un songe. Comme Monsieur Remy expédie! Votre amour me paraÃt bien prompt, sera-t-il aussi durable? Dorante. - Autant l'un que l'autre, Mademoiselle. Marton. - Il s'est trop hâté de partir. J'entends Madame qui vient, et comme, grâce aux arrangements de Monsieur Remy, vos intérêts sont presque les miens, ayez la bonté d'aller un moment sur la terrasse, afin que je la prévienne. Dorante. - Volontiers, Mademoiselle. Marton, en le voyant sortir. - J'admire ce penchant dont on se prend tout d'un coup l'un pour l'autre. Scène VI Araminte, Marton Araminte. - Marton, quel est donc cet homme qui vient de me saluer si gracieusement, et qui passe sur la terrasse? Est-ce à vous à qui il en veut? Marton. - Non, Madame, c'est à vous-même. Araminte, d'un air assez vif. - Eh bien, qu'on le fasse venir; pourquoi s'en va-t-il? Marton. - C'est qu'il a souhaité que je vous parlasse auparavant. C'est le neveu de Monsieur Remy, celui qu'il vous a proposé pour homme d'affaires. Araminte. - Ah! c'est là lui! Il a vraiment très bonne façon. Marton. - Il est généralement estimé, je le sais. Araminte. - Je n'ai pas de peine à le croire il a tout l'air de le mériter. Mais, Marton, il a si bonne mine pour un intendant, que je me fais quelque scrupule de le prendre; n'en dira-t-on rien? Marton. - Et que voulez-vous qu'on dise? Est-on obligé de n'avoir que des intendants mal faits? Araminte. - Tu as raison. Dis-lui qu'il revienne. Il n'était pas nécessaire de me préparer à le recevoir dès que c'est Monsieur Remy qui me le donne, c'en est assez; je le prends. Marton, comme s'en allant. - Vous ne sauriez mieux choisir. Et puis revenant. Etes-vous convenue du parti que vous lui faites? Monsieur Remy m'a chargée de vous en parler. Araminte. - Cela est inutile. Il n'y aura point de dispute là -dessus. Dès que c'est un honnête homme, il aura lieu d'être content. Appelez-le. Marton, hésitant à partir. - On lui laissera ce petit appartement qui donne sur le jardin, n'est-ce pas? Araminte. - Oui, comme il voudra; qu'il vienne. Marton va dans la coulisse. Scène VII Dorante, Araminte, Marton Marton. - Monsieur Dorante, Madame vous attend. Araminte. - Venez, Monsieur; je suis obligée à Monsieur Remy d'avoir songé à moi. Puisqu'il me donne son neveu, je ne doute pas que ce ne soit un présent qu'il me fasse. Un de mes amis me parla avant-hier d'un intendant qu'il doit m'envoyer aujourd'hui; mais je m'en tiens à vous. Dorante. - J'espère, Madame, que mon zèle justifiera la préférence dont vous m'honorez, et que je vous supplie de me conserver. Rien ne m'affligerait tant à présent que de la perdre. Marton. - Madame n'a pas deux paroles. Araminte. - Non, Monsieur; c'est une affaire terminée, je renverrai tout. Vous êtes au fait des affaires apparemment; vous y avez travaillé? Dorante. - Oui, Madame; mon père était avocat, et je pourrais l'être moi-même. Araminte. - C'est-à -dire que vous êtes un homme de très bonne famille, et même au-dessus du parti que vous prenez? Dorante. - Je ne sens rien qui m'humilie dans le parti que je prends, Madame; l'honneur de servir une dame comme vous n'est au-dessous de qui que ce soit, et je n'envierai la condition de personne. Araminte. - Mes façons ne vous feront point changer de sentiment. Vous trouverez ici tous les égards que vous méritez; et si, dans les suites, il y avait occasion de vous rendre service, je ne la manquerai point. Marton. - Voilà Madame je la reconnais. Araminte. - Il est vrai que je suis toujours fâchée de voir d'honnêtes gens sans fortune, tandis qu'une infinité de gens de rien et sans mérite en ont une éclatante. C'est une chose qui me blesse, surtout dans les personnes de son âge; car vous n'avez que trente ans tout au plus? Dorante. - Pas tout à fait encore, Madame. Araminte. - Ce qu'il y a de consolant pour vous, c'est que vous avez le temps de devenir heureux. Dorante. - Je commence à l'être aujourd'hui, Madame. Araminte. - On vous montrera l'appartement que je vous destine; s'il ne vous convient pas, il y en a d'autres, et vous choisirez. Il faut aussi quelqu'un qui vous serve et c'est à quoi je vais pourvoir. Qui lui donnerons-nous, Marton? Marton. - Il n'y a qu'à prendre Arlequin, Madame. Je le vois à l'entrée de la salle et je vais l'appeler. Arlequin, parlez à Madame. Scène VIII Araminte, Dorante, Marton, Arlequin, un domestique Arlequin. - Me voilà , Madame. Araminte. - Arlequin, vous êtes à présent à Monsieur; vous le servirez; je vous donne à lui. Arlequin. - Comment, Madame, vous me donnez à lui! Est-ce que je ne serai plus à moi? Ma personne ne m'appartiendra donc plus? Marton. - Quel benêt! Araminte. - J'entends qu'au lieu de me servir, ce sera lui que tu serviras. Arlequin, comme pleurant. - Je ne sais pas pourquoi Madame me donne mon congé je n'ai pas mérité ce traitement; je l'ai toujours servie à faire plaisir. Araminte. - Je ne te donne point ton congé, je te payerai pour être à Monsieur. Arlequin. - Je représente à Madame que cela ne serait pas juste je ne donnerai pas ma peine d'un côté, pendant que l'argent me viendra d'un autre. Il faut que vous ayez mon service, puisque j'aurai vos gages; autrement je friponnerais, Madame. Araminte. - Je désespère de lui faire entendre raison. Marton. - Tu es bien sot! quand je t'envoie quelque part ou que je te dis fais telle ou telle chose, n'obéis-tu pas? Arlequin. - Toujours. Marton. - Eh bien! ce sera Monsieur qui te le dira comme moi, et ce sera à la place de Madame et par son ordre. Arlequin. - Ah! c'est une autre affaire. C'est Madame qui donnera ordre à Monsieur de souffrir mon service, que je lui prêterai par le commandement de Madame. Marton. - Voilà ce que c'est. Arlequin. - Vous voyez bien que cela méritait explication. Un domestique. - Voici votre marchande qui vous apporte des étoffes, Madame. Araminte. - Je vais les voir et je reviendrai. Monsieur, j'ai à vous parler d'une affaire; ne vous éloignez pas. Scène IX Dorante, Marton, Arlequin Arlequin. - Oh ça, Monsieur, nous sommes donc l'un à l'autre, et vous avez le pas sur moi? Je sera le valet qui sert, et vous le valet qui serez servi par ordre. Marton. - Ce faquin avec ses comparaisons! Va-t'en. Arlequin. - Un moment, avec votre permission. Monsieur, ne payerez-vous rien? Vous a-t-on donné ordre d'être servi gratis? Dorante rit. Marton. - Allons, laisse-nous. Madame te payera; n'est-ce pas assez? Arlequin. - Pardi, Monsieur, je ne vous coûterai donc guère? On ne saurait avoir un valet à meilleur marché. Dorante. - Arlequin a raison. Tiens, voilà d'avance ce que je te donne. Arlequin. - Ah! voilà une action de maÃtre. A votre aise le reste. Dorante. - Va boire à ma santé. Arlequin, s'en allant. - Oh! s'il ne faut que boire afin qu'elle soit bonne, tant que je vivrai, je vous la promets excellente. A part. Le gracieux camarade qui m'est venu là par hasard! Scène X Dorante, Marton, Madame Argante, qui arrive un instant après. Marton. - Vous avez lieu d'être satisfait de l'accueil de Madame; elle paraÃt faire cas de vous, et tant mieux, nous n'y perdons point. Mais voici Madame Argante; je vous avertis que c'est sa mère, et je devine à peu près ce qui l'amène. Madame Argante, femme brusque et vaine. - Eh bien, Marton, ma fille a un nouvel intendant que son procureur lui a donné, m'a-t-elle dit j'en suis fâchée; cela n'est point obligeant pour Monsieur le Comte, qui lui en avait retenu un. Du moins devait-elle attendre, et les voir tous deux. D'où vient préférer celui-ci? Quelle espèce d'homme est-ce? Marton. - C'est Monsieur, Madame. Madame Argante. - Hé! c'est Monsieur! Je ne m'en serais pas doutée; il est bien jeune. Marton. - A trente ans, on est en âge d'être intendant de maison, Madame. Madame Argante. - C'est selon. Etes-vous arrêté, Monsieur? Dorante. - Oui, Madame. Madame Argante. - Et de chez qui sortez-vous? Dorante. - De chez moi, Madame je n'ai encore été chez personne. Madame Argante. - De chez vous! Vous allez donc faire ici votre apprentissage? Marton. - Point du tout. Monsieur entend les affaires; il est fils d'un père extrêmement habile. Madame Argante, à Marton, à part. - Je n'ai pas grande opinion de cet homme-là . Est-ce là la figure d'un intendant? Il n'en a non plus l'air... Marton, à part aussi. - L'air n'y fait rien. Je vous réponds de lui; c'est l'homme qu'il nous faut. Madame Argante. - Pourvu que Monsieur ne s'écarte pas des intentions que nous avons, il me sera indifférent que ce soit lui ou un autre. Dorante. - Peut-on savoir ces intentions, Madame? Madame Argante. - Connaissez-vous Monsieur le comte Dorimont? C'est un homme d'un beau nom; ma fille et lui allaient avoir un procès ensemble au sujet d'une terre considérable, il ne s'agissait pas moins que de savoir à qui elle resterait, et on a songé à les marier, pour empêcher qu'ils ne plaident. Ma fille est veuve d'un homme qui était fort considéré dans le monde, et qui l'a laissée fort riche. Mais Madame la comtesse Dorimont aurait un rang si élevé, irait de pair avec des personnes d'une si grande distinction, qu'il me tarde de voir ce mariage conclu; et, je l'avoue, je serai charmée moi-même d'être la mère de Madame la comtesse Dorimont, et de plus que cela peut-être; car Monsieur le comte Dorimont est en passe d'aller à tout. Dorante. - Les paroles sont-elles données de part et d'autre? Madame Argante. - Pas tout à fait encore, mais à peu près; ma fille n'en est pas éloignée. Elle souhaiterait seulement, dit-elle, d'être bien instruite de l'état de l'affaire et savoir si elle n'a pas meilleur droit que Monsieur le Comte, afin que, si elle l'épouse, il lui en ait plus d'obligation. Mais j'ai quelquefois peur que ce ne soit une défaite. Ma fille n'a qu'un défaut; c'est que je ne lui trouve pas assez d'élévation. Le beau nom de Dorimont et le rang de comtesse ne la touchent pas assez; elle ne sent pas le désagrément qu'il y a de n'être qu'une bourgeoise. Elle s'endort dans cet état, malgré le bien qu'elle a. Dorante, doucement. - Peut-être n'en sera-t-elle pas plus heureuse, si elle en sort. Madame Argante, vivement. - Il ne s'agit pas de ce que vous en pensez. Gardez votre petite réflexion roturière, et servez-nous, si vous voulez être de nos amis. Marton. - C'est un petit trait de morale qui ne gâte rien à notre affaire. Madame Argante. - Morale subalterne qui me déplaÃt. Dorante. - De quoi est-il question, Madame? Madame Argante. - De dire à ma fille, quand vous aurez vu ses papiers, que son droit est le moins bon; que si elle plaidait, elle perdrait. Dorante. - Si effectivement son droit est le plus faible, je ne manquerai pas de l'en avertir, Madame. Madame Argante, à part, à Marton. - Hum! quel esprit borné! A Dorante. Vous n'y êtes point; ce n'est pas là ce qu'on vous dit; on vous charge de lui parler ainsi, indépendamment de son droit bien ou mal fondé. Dorante. - Mais, Madame, il n'y aurait point de probité à la tromper. Madame Argante. - De probité! J'en manque donc, moi? Quel raisonnement! C'est moi qui suis sa mère, et qui vous ordonne de la tromper à son avantage, entendez-vous? c'est moi, moi. Dorante. - Il y aura toujours de la mauvaise foi de ma part. Madame Argante, à part, à Marton. - C'est un ignorant que cela, qu'il faut renvoyer. Adieu, Monsieur l'homme d'affaires, qui n'avez fait celles de personne. Elle sort. Scène XI Dorante, Marton Dorante. - Cette mère-là ne ressemble guère à sa fille. Marton. - Oui, il y a quelque différence; et je suis fâchée de n'avoir pas eu le temps de vous prévenir sur son humeur brusque. Elle est extrêmement entêtée de ce mariage, comme vous voyez. Au surplus, que vous importe ce que vous direz à la fille, dès que la mère sera votre garant? Vous n'aurez rien à vous reprocher, ce me semble; ce ne sera pas là une tromperie. Dorante. - Eh! vous m'excuserez ce sera toujours l'engager à prendre un parti qu'elle ne prendrait peut-être pas sans cela. Puisque l'on veut que j'aide à l'y déterminer, elle y résiste donc? Marton. - C'est par indolence. Dorante. - Croyez-moi, disons la vérité. Marton. - Oh ça, il y a une petite raison à laquelle vous devez vous rendre; c'est que Monsieur le Comte me fait présent de mille écus le jour de la signature du contrat; et cet argent-là , suivant le projet de Monsieur Remy, vous regarde aussi bien que moi, comme vous voyez. Dorante. - Tenez, Mademoiselle Marton, vous êtes la plus aimable fille du monde; mais ce n'est que faute de réflexion que ces mille écus vous tentent. Marton. - Au contraire, c'est par réflexion qu'ils me tentent plus j'y rêve, et plus je les trouve bons. Dorante. - Mais vous aimez votre maÃtresse et si elle n'était pas heureuse avec cet homme-là , ne vous reprocheriez-vous pas d'y avoir contribué pour une si misérable somme? Marton. - Ma foi, vous avez beau dire d'ailleurs, le Comte est un honnête homme, et je n'y entends point de finesse. Voilà Madame qui revient, elle a à vous parler. Je me retire; méditez sur cette somme, vous la goûterez aussi bien que moi. Elle sort. Dorante. - Je ne suis plus si fâché de la tromper. Scène XII Araminte, Dorante Araminte. - Vous avez donc vu ma mère? Dorante. - Oui, Madame, il n'y a qu'un moment. Araminte. - Elle me l'a dit, et voudrait bien que j'en eusse pris un autre que vous. Dorante. - Il me l'a paru. Araminte. - Oui, mais ne vous embarrassez point, vous me convenez. Dorante. - Je n'ai point d'autre ambition. Araminte. - Parlons de ce que j'ai à vous dire; mais que ceci soit secret entre nous, je vous prie. Dorante. - Je me trahirais plutôt moi-même. Araminte. - Je n'hésite point non plus à vous donner ma confiance. Voici ce que c'est on veut me marier avec Monsieur le comte Dorimont pour éviter un grand procès que nous aurions ensemble au sujet d'une terre que je possède. Dorante. - Je le sais, Madame, et j'ai le malheur d'avoir déplu tout à l'heure là -dessus à Madame Argante. Araminte. - Eh! d'où vient? Dorante. - C'est que si, dans votre procès, vous avez le bon droit de votre côté, on souhaite que je vous dise le contraire, afin de vous engager plus vite à ce mariage; et j'ai prié qu'on m'en dispensât. Araminte. - Que ma mère est frivole! Votre fidélité ne me surprend point; j'y comptais. Faites toujours de même, et ne vous choquez point de ce que ma mère vous a dit; je la désapprouve a-t-elle tenu quelque discours désagréable? Dorante. - Il n'importe, Madame, mon zèle et mon attachement en augmentent voilà tout. Araminte. - Et voilà pourquoi aussi je ne veux pas qu'on vous chagrine, et j'y mettrai bon ordre. Qu'est-ce que cela signifie? Je me fâcherai, si cela continue. Comment donc? vous ne seriez pas en repos! On aura de mauvais procédés avec vous, parce que vous en avez d'estimables; cela serait plaisant! Dorante. - Madame, par toute la reconnaissance que je vous dois, n'y prenez point garde je suis confus de vos bontés, et je suis trop heureux d'avoir été querellé. Araminte. - Je loue vos sentiments. Revenons à ce procès dont il est question si je n'épouse point Monsieur le Comte... Scène XIII Dorante, Araminte, Dubois Dubois. - Madame la Marquise se porte mieux, Madame il feint de voir Dorante avec surprise, et vous est fort obligée... fort obligée de votre attention. Dorante feint de détourner la tête, pour se cacher de Dubois. Araminte. - Voilà qui est bien. Dubois, regardant toujours Dorante. - Madame, on m'a chargé aussi de vous dire un mot qui presse. Araminte. - De quoi s'agit-il? Dubois. - Il m'est recommandé de ne vous parler qu'en particulier. Araminte, à Dorante. - Je n'ai point achevé ce que je voulais vous dire; laissez-moi, je vous prie, un moment, et revenez. Scène XIV Araminte, Dubois Araminte. - Qu'est-ce que c'est donc que cet air étonné que tu as marqué, ce me semble, en voyant Dorante? D'où vient cette attention à le regarder? Dubois. - Ce n'est rien, sinon que je ne saurais plus avoir l'honneur de servir Madame, et qu'il faut que je lui demande mon congé. Araminte, surprise. - Quoi! seulement pour avoir vu Dorante ici? Dubois. - Savez-vous à qui vous avez affaire? Araminte. - Au neveu de Monsieur Remy, mon procureur. Dubois. - Eh! par quel tour d'adresse est-il connu de Madame? comment a-t-il fait pour arriver jusqu'ici? Araminte. - C'est Monsieur Remy qui me l'a envoyé pour intendant. Dubois. - Lui, votre intendant! Et c'est Monsieur Remy qui vous l'envoie hélas! le bon homme, il ne sait pas qui il vous donne; c'est un démon que ce garçon-là . Araminte. - Mais que signifient tes exclamations? Explique-toi est-ce que tu le connais? Dubois. - Si je le connais, Madame! si je le connais! Ah vraiment oui; et il me connaÃt bien aussi. N'avez-vous pas vu comme il se détournait de peur que je ne le visse? Araminte. - Il est vrai; et tu me surprends à mon tour. Serait-il capable de quelque mauvaise action, que tu saches? Est-ce que ce n'est pas un honnête homme? Dubois. - Lui! il n'y a point de plus brave homme dans toute la terre; il a, peut-être, plus d'honneur à lui tout seul que cinquante honnêtes gens ensemble. Oh! c'est une probité merveilleuse; il n'a peut-être pas son pareil. Araminte. - Eh! de quoi peut-il donc être question? D'où vient que tu m'alarmes? En vérité, j'en suis toute émue. Dubois. - Son défaut, c'est là . Il se touche le front. C'est à la tête que le mal le tient. Araminte. - A la tête? Dubois. - Oui, il est timbré, mais timbré comme cent. Araminte. - Dorante! il m'a paru de très bon sens. Quelle preuve as-tu de sa folie? Dubois. - Quelle preuve? Il y a six mois qu'il est tombé fou; il y a six mois qu'il extravague d'amour, qu'il en a la cervelle brûlée, qu'il en est comme un perdu; je dois bien le savoir, car j'étais à lui, je le servais; et c'est ce qui m'a obligé de le quitter, et c'est ce qui me force de m'en aller encore, ôtez cela, c'est un homme incomparable. Araminte, un peu boudant. - Oh bien! il fera ce qu'il voudra; mais je ne le garderai pas on a bien affaire d'un esprit renversé; et peut-être encore, je gage, pour quelque objet qui n'en vaut pas la peine; car les hommes ont des fantaisies... Dubois. - Ah! vous m'excuserez; pour ce qui est de l'objet, il n'y a rien à dire. Malepeste! sa folie est de bon goût. Araminte. - N'importe, je veux le congédier. Est-ce que tu la connais, cette personne? Dubois. - J'ai l'honneur de la voir tous les jours; c'est vous, Madame. Araminte. - Moi, dis-tu? Dubois. - Il vous adore; il y a six mois qu'il n'en vit point, qu'il donnerait sa vie pour avoir le plaisir de vous contempler un instant. Vous avez dû voir qu'il a l'air enchanté, quand il vous parle. Araminte. - Il y a bien en effet quelque petite chose qui m'a paru extraordinaire. Eh! juste ciel! le pauvre garçon, de quoi s'avise-t-il? Dubois. - Vous ne croiriez pas jusqu'où va sa démence; elle le ruine, elle lui coupe la gorge. Il est bien fait, d'une figure passable, bien élevé et de bonne famille; mais il n'est pas riche; et vous saurez qu'il n'a tenu qu'à lui d'épouser des femmes qui l'étaient, et de fort aimables, ma foi, qui offraient de lui faire sa fortune et qui auraient mérité qu'on la leur fÃt à elles-mêmes il y en a une qui n'en saurait revenir, et qui le poursuit encore tous les jours; je le sais, car je l'ai rencontrée. Araminte, avec négligence. - Actuellement? Dubois. - Oui, Madame, actuellement, une grande brune très piquante, et qu'il fuit. Il n'y a pas moyen; Monsieur refuse tout. Je les tromperais, me disait-il; je ne puis les aimer, mon coeur est parti. Ce qu'il disait quelquefois la larme à l'oeil; car il sent bien son tort. Araminte. - Cela est fâcheux; mais où m'a-t-il vue, avant que de venir chez moi, Dubois? Dubois. - Hélas! Madame, ce fut un jour que vous sortÃtes de l'Opéra, qu'il perdit la raison; c'était un vendredi, je m'en ressouviens; oui, un vendredi; il vous vit descendre l'escalier, à ce qu'il me raconta, et vous suivit jusqu'à votre carrosse; il avait demandé votre nom, et je le trouvai qui était comme extasié; il ne remuait plus. Araminte. - Quelle aventure! Dubois. - J'eus beau lui crier Monsieur! Point de nouvelles, il n'y avait personne au logis. A la fin, pourtant, il revint à lui avec un air égaré; je le jetai dans une voiture, et nous retournâmes à la maison. J'espérais que cela se passerait, car je l'aimais c'est le meilleur maÃtre! Point du tout, il n'y avait plus de ressource ce bon sens, cet esprit jovial, cette humeur charmante, vous aviez tout expédié; et dès le lendemain nous ne fÃmes plus tous deux, lui, que rêver à vous, que vous aimer; moi, d'épier depuis le matin jusqu'au soir où vous alliez. Araminte. - Tu m'étonnes à un point!... Dubois. - Je me fis même ami d'un de vos gens qui n'y est plus, un garçon fort exact, et qui m'instruisait, et à qui je payais bouteille. C'est à la Comédie qu'on va, me disait-il; et je courais faire mon rapport, sur lequel, dès quatre heures, mon homme était à la porte. C'est chez Madame celle-ci, c'est chez Madame celle-là ; et sur cet avis, nous allions toute la soirée habiter la rue, ne vous déplaise, pour voir Madame entrer et sortir, lui dans un fiacre, et moi derrière, tous deux morfondus et gelés; car c'était dans l'hiver; lui, ne s'en souciant guère; moi, jurant par-ci par-là pour me soulager. Araminte. - Est-il possible? Dubois. - Oui, Madame. A la fin, ce train de vie m'ennuya; ma santé s'altérait, la sienne aussi. Je lui fis accroire que vous étiez à la campagne, il le crut, et j'eus quelque repos. Mais n'alla-t-il pas, deux jours après, vous rencontrer aux Tuileries, où il avait été s'attrister de votre absence. Au retour il était furieux, il voulut me battre, tout bon qu'il est; moi, je ne le voulus point, et je le quittai. Mon bonheur ensuite m'a mis chez Madame, où, à force de se démener, je le trouve parvenu à votre intendance, ce qu'il ne troquerait pas contre la place de l'empereur. Araminte. - Y a-t-il rien de si particulier? Je suis si lasse d'avoir des gens qui me trompent, que je me réjouissais de l'avoir, parce qu'il a de la probité; ce n'est pas que je sois fâchée, car je suis bien au-dessus de cela. Dubois. - Il y aura de la bonté à le renvoyer. Plus il voit Madame, plus il s'achève. Araminte. - Vraiment, je le renverrais bien; mais ce n'est pas là ce qui le guérira. D'ailleurs, je ne sais que dire à Monsieur Remy, qui me l'a recommandé, et ceci m'embarrasse. Je ne vois pas trop comment m'en défaire, honnêtement. Dubois. - Oui; mais vous ferez un incurable, Madame. Araminte, vivement. - Oh! tant pis pour lui. Je suis dans des circonstances où je ne saurais me passer d'un intendant; et puis, il n'y a pas tant de risque que tu le crois au contraire, s'il y avait quelque chose qui pût ramener cet homme, c'est l'habitude de me voir plus qu'il n'a fait, ce serait même un service à lui rendre. Dubois. - Oui; c'est un remède bien innocent. Premièrement, il ne vous dira mot; jamais vous n'entendrez parler de son amour. Araminte. - En es-tu bien sûr? Dubois. - Oh! il ne faut pas en avoir peur; il mourrait plutôt. Il a un respect, une adoration, une humilité pour vous, qui n'est pas concevable. Est-ce que vous croyez qu'il songe à être aimé? Nullement. Il dit que dans l'univers il n'y a personne qui le mérite; il ne veut que vous voir, vous considérer, regarder vos yeux, vos grâces, votre belle taille; et puis c'est tout il me l'a dit mille fois. Araminte, haussant les épaules. - Voilà qui est bien digne de compassion! Allons, je patienterai quelques jours, en attendant que j'en aie un autre; au surplus, ne crains rien, je suis contente de toi; je récompenserai ton zèle, et je ne veux pas que tu me quittes, entends-tu, Dubois. Dubois. - Madame, je vous suis dévoué pour la vie. Araminte. - J'aurai soin de toi; surtout qu'il ne sache pas que je suis instruite; garde un profond secret; et que tout le monde, jusqu'à Marton, ignore ce que tu m'as dit; ce sont de ces choses qui ne doivent jamais percer. Dubois. - Je n'en ai jamais parlé qu'à Madame. Araminte. - Le voici qui revient; va-t'en. Scène XV Dorante, Araminte Araminte, un moment seule. - La vérité est que voici une confidence dont je me serais bien passée moi-même. Dorante. - Madame, je me rends à vos ordres. Araminte. - Oui, Monsieur; de quoi vous parlais-je? Je l'ai oublié. Dorante. - D'un procès avec Monsieur le comte Dorimont. Araminte. - Je me remets; je vous disais qu'on veut nous marier. Dorante. - Oui, Madame, et vous alliez, je crois, ajouter que vous n'étiez pas portée à ce mariage. Araminte. - Il est vrai. J'avais envie de vous charger d'examiner l'affaire, afin de savoir si je ne risquerais rien à plaider; mais je crois devoir vous dispenser de ce travail; je ne suis pas sûre de pouvoir vous garder. Dorante. - Ah! Madame, vous avez eu la bonté de me rassurer là -dessus. Araminte. - Oui; mais je ne faisais pas réflexion que j'ai promis à Monsieur le Comte de prendre un intendant de sa main; vous voyez bien qu'il ne serait pas honnête de lui manquer de parole; et du moins faut-il que je parle à celui qu'il m'amènera. Dorante. - Je ne suis pas heureux; rien ne me réussit, et j'aurai la douleur d'être renvoyé. Araminte, par faiblesse. - Je ne dis pas cela; il n'y a rien de résolu là -dessus. Dorante. - Ne me laissez point dans l'incertitude où je suis, Madame. Araminte. - Eh! mais, oui, je tâcherai que vous restiez; je tâcherai. Dorante. - Vous m'ordonnez donc de vous rendre compte de l'affaire en question? Araminte. - Attendons; si j'allais épouser le Comte, vous auriez pris une peine inutile. Dorante. - Je croyais avoir entendu dire à Madame qu'elle n'avait point de penchant pour lui. Araminte. - Pas encore. Dorante. - Et d'ailleurs, votre situation est si tranquille et si douce. Araminte, à part. - Je n'ai pas le courage de l'affliger!... Eh bien, oui-da; examinez toujours, examinez. J'ai des papiers dans mon cabinet, je vais les chercher. Vous viendrez les prendre, et je vous les donnerai. En s'en allant. Je n'oserais presque le regarder. Scène XVI Dorante, Dubois, venant d'un air mystérieux et comme passant. Dubois. - Marton vous cherche pour vous montrer l'appartement qu'on vous destine. Arlequin est allé boire. J'ai dit que j'allais vous avertir. Comment vous traite-t-on? Dorante. - Qu'elle est aimable! Je suis enchanté! De quelle façon a-t-elle reçu ce que tu lui as dit? Dubois, comme en fuyant. - Elle opine tout doucement à vous garder par compassion elle espère vous guérir par l'habitude de la voir. Dorante, charmé. - Sincèrement? Dubois. - Elle n'en réchappera point; c'est autant de pris. Je m'en retourne. Dorante. - Reste, au contraire; je crois que voici Marton. Dis-lui que Madame m'attend pour me remettre des papiers, et que j'irai la trouver dès que je les aurai. Dubois. - Partez; aussi bien ai-je un petit avis à donner à Marton. Il est bon de jeter dans tous les esprits les soupçons dont nous avons besoin. Scène XVII Dubois, Marton Marton. - Où est donc Dorante? il me semble l'avoir vu avec toi. Dubois, brusquement. - Il dit que Madame l'attend pour des papiers, il reviendra ensuite. Au reste, qu'est-il nécessaire qu'il voie cet appartement? S'il n'en voulait pas, il serait bien délicat pardi, je lui conseillerais... Marton. - Ce ne sont pas là tes affaires je suis les ordres de Madame. Dubois. - Madame est bonne et sage; mais prenez garde, ne trouvez-vous pas que ce petit galant-là fait les yeux doux? Marton. - Il les fait comme il les a. Dubois. - Je me trompe fort, si je n'ai pas vu la mine de ce freluquet considérer, je ne sais où, celle de Madame. Marton. - Eh bien, est-ce qu'on te fâche quand on la trouve belle? Dubois. - Non. Mais je me figure quelquefois qu'il n'est venu ici que pour la voir de plus près. Marton, riant. - Ah! ah! quelle idée! Va, tu n'y entends rien; tu t'y connais mal. Dubois, riant. - Ah! ah! je suis donc bien sot. Marton, riant en s'en allant. - Ah! ah! l'original avec ses observations! Dubois, seul. - Allez, allez, prenez toujours. J'aurais soin de vous les faire trouver meilleures. Allons faire jouer toutes nos batteries. Acte II Scène première Araminte, Dorante Dorante. - Non, Madame, vous ne risquez rien; vous pouvez plaider en toute sûreté. J'ai même consulté plusieurs personnes, l'affaire est excellente; et si vous n'avez que le motif dont vous parlez pour épouser Monsieur le Comte, rien ne vous oblige à ce mariage. Araminte. - Je l'affligerai beaucoup, et j'ai de la peine à m'y résoudre. Dorante. - Il ne serait pas juste de vous sacrifier à la crainte de l'affliger. Araminte. - Mais avez-vous bien examiné? Vous me disiez tantôt que mon état était doux et tranquille; n'aimeriez-vous pas mieux que j'y restasse? N'êtes-vous pas un peu trop prévenu contre le mariage, et par conséquent contre Monsieur le Comte? Dorante. - Madame, j'aime mieux vos intérêts que les siens, et que ceux de qui que ce soit au monde. Araminte. - Je ne saurais y trouver à redire. En tout cas, si je l'épouse, et qu'il veuille en mettre un autre ici à votre place, vous n'y perdrez point; je vous promets de vous en trouver une meilleure. Dorante, tristement. - Non, Madame, si j'ai le malheur de perdre celle-ci, je ne serai plus à personne; et apparemment que je la perdrai; je m'y attends. Araminte. - Je crois pourtant que je plaiderai nous verrons. Dorante. - J'avais encore une petite chose à vous dire, Madame. Je viens d'apprendre que le concierge d'une de vos terres est mort on pourrait y mettre un de vos gens; et j'ai songé à Dubois, que je remplacerai ici par un domestique dont je réponds. Araminte. - Non, envoyez plutôt votre homme au château, et laissez-moi Dubois c'est un garçon de confiance, qui me sert bien et que je veux garder. A propos, il m'a dit, ce me semble, qu'il avait été à vous quelque temps? Dorante, feignant un peu d'embarras. - Il est vrai, Madame; il est fidèle, mais peu exact. Rarement, au reste, ces gens-là parlent-ils bien de ceux qu'ils ont servis. Ne me nuirait-il point dans votre esprit? Araminte, négligemment. - Celui-ci dit beaucoup de bien de vous, et voilà tout. Que me veut Monsieur Remy? Scène II Araminte, Dorante, Monsieur Remy Monsieur Remy. - Madame, je suis votre très humble serviteur. Je viens vous remercier de la bonté que vous avez eue de prendre mon neveu à ma recommandation. Araminte. - Je n'ai pas hésité, comme vous l'avez vu. Monsieur Remy. - Je vous rends mille grâces. Ne m'aviez-vous pas dit qu'on vous en offrait un autre? Araminte. - Oui, Monsieur. Monsieur Remy. - Tant mieux; car je viens vous demander celui-ci pour une affaire d'importance. Dorante, d'un air de refus. - Et d'où vient, Monsieur? Monsieur Remy. - Patience! Araminte. - Mais, Monsieur Remy, ceci est un peu vif; vous prenez assez mal votre temps, et j'ai refusé l'autre personne. Dorante. - Pour moi, je ne sortirai jamais de chez Madame, qu'elle ne me congédie. Monsieur Remy, brusquement. - Vous ne savez ce que vous dites. Il faut pourtant sortir; vous allez voir. Tenez, Madame, jugez-en vous-même; voici de quoi il est question c'est une dame de trente-cinq ans, qu'on dit jolie femme, estimable, et de quelque distinction; qui ne déclare pas son nom; qui dit que j'ai été son procureur; qui a quinze mille livres de rente pour le moins, ce qu'elle prouvera; qui a vu Monsieur chez moi, qui lui a parlé, qui sait qu'il n'a pas de bien, et qui offre de l'épouser sans délai. Et la personne qui est venue chez moi de sa part doit revenir tantôt pour savoir la réponse, et vous mener tout de suite chez elle. Cela est-il net? Y a-t-il à consulter là -dessus? Dans deux heures il faut être au logis. Ai-je tort, Madame? Araminte, froidement. - C'est à lui à répondre. Monsieur Remy. - Eh bien! à quoi pense-t-il donc? Viendrez-vous? Dorante. - Non, Monsieur, je ne suis pas dans cette disposition-là . Monsieur Remy. - Hum! Quoi? Entendez-vous ce que je vous dis, qu'elle a quinze mille livres de rente? entendez-vous? Dorante. - Oui, Monsieur; mais en eût-elle vingt fois davantage, je ne l'épouserais pas; nous ne serions heureux ni l'un ni l'autre j'ai le coeur pris; j'aime ailleurs. Monsieur Remy, d'un ton railleur, et traÃnant ses mots. - J'ai le coeur pris voilà qui est fâcheux! Ah, ah, le coeur est admirable! Je n'aurais jamais deviné la beauté des scrupules de ce coeur-là , qui veut qu'on reste intendant de la maison d'autrui pendant qu'on peut l'être de la sienne! Est-ce là votre dernier mot, berger fidèle? Dorante. - Je ne saurais changer de sentiment; Monsieur. Monsieur Remy. - Oh! le sot coeur, mon neveu; vous êtes un imbécile, un insensé; et je tiens celle que vous aimez pour une guenon, si elle n'est pas de mon sentiment, n'est-il pas vrai, Madame, et ne le trouvez-vous pas extravagant? Araminte, doucement. - Ne le querellez point. Il paraÃt avoir tort; j'en conviens. Monsieur Remy, vivement. - Comment, Madame! il pourrait... Araminte. - Dans sa façon de penser je l'excuse. Voyez pourtant, Dorante, tâchez de vaincre votre penchant, si vous le pouvez. Je sais bien que cela est difficile. Dorante. - Il n'y a pas moyen, Madame, mon amour m'est plus cher que ma vie. Monsieur Remy, d'un air étonné. - Ceux qui aiment les beaux sentiments doivent être contents; en voilà un des plus curieux qui se fassent. Vous trouvez donc cela raisonnable, Madame? Araminte. - Je vous laisse, parlez-lui vous-même. A part. Il me touche tant, qu'il faut que je m'en aille. Elle sort. Dorante, à part. - Il ne croit pas si bien me servir. Scène III Dorante, Monsieur Remy, Marton Monsieur Remy, regardant son neveu. - Dorante, sais-tu bien qu'il n'y a pas de fou aux Petites-Maisons de ta force? Marton arrive. Venez, Mademoiselle Marton. Marton. - Je viens d'apprendre que vous étiez ici. Monsieur Remy. - Dites-nous un peu votre sentiment; que pensez-vous de quelqu'un qui n'a point de bien, et qui refuse d'épouser une honnête et fort jolie femme, avec quinze mille livres de rente bien venants? Marton. - Votre question est bien aisée à décider. Ce quelqu'un rêve. Monsieur Remy, montrant Dorante. - Voilà le rêveur; et pour excuse, il allègue son coeur que vous avez pris; mais comme apparemment il n'a pas encore emporté le vôtre, et que je vous crois encore à peu près dans tout votre bon sens, vu le peu de temps qu'il y a que vous le connaissez, je vous prie de m'aider à le rendre plus sage. Assurément vous êtes fort jolie, mais vous ne le disputerez point à un pareil établissement; il n'y a point de beaux yeux qui vaillent ce prix-là . Marton. - Quoi! Monsieur Remy, c'est de Dorante que vous parlez? C'est pour se garder à moi qu'il refuse d'être riche? Monsieur Remy. - Tout juste, et vous êtes trop généreuse pour le souffrir. Marton, avec un air de passion. - Vous vous trompez, Monsieur, je l'aime trop moi-même pour l'en empêcher, et je suis enchantée oh! Dorante, que je vous estime! Je n'aurais pas cru que vous m'aimassiez tant. Monsieur Remy. - Courage! je ne fais que vous le montrer, et vous en êtes déjà coiffée! Pardi, le coeur d'une femme est bien étonnant! le feu y prend bien vite. Marton, comme chagrine. - Eh! Monsieur, faut-il tant de bien pour être heureux? Madame, qui a de la bonté pour moi, suppléera en partie par sa générosité à ce qu'il me sacrifie. Que je vous ai d'obligation, Dorante! Dorante. - Oh! non, Mademoiselle, aucune; vous n'avez point de gré à me savoir de ce que je fais; je me livre à mes sentiments, et ne regarde que moi là -dedans. Vous ne me devez rien; je ne pense pas à votre reconnaissance. Marton. - Vous me charmez que de délicatesse! Il n'y a encore rien de si tendre que ce que vous me dites. Monsieur Remy. - Par ma foi, je ne m'y connais donc guère; car je le trouve bien plat. A Marton. Adieu, la belle enfant; je ne vous aurais, ma foi, pas évaluée ce qu'il vous achète. Serviteur, idiot, garde ta tendresse, et moi ma succession. Il sort. Marton. - Il est en colère, mais nous l'apaiserons. Dorante. - Je l'espère. Quelqu'un vient. Marton. - C'est le Comte, celui dont je vous ai parlé, et qui doit épouser Madame. Dorante. - Je vous laisse donc; il pourrait me parler de son procès vous savez ce que je vous ai dit là -dessus, et il est inutile que je le voie. Scène IV Le Comte, Marton Le Comte. - Bonjour, Marton. Marton. - Vous voilà donc revenu, Monsieur? Le Comte. - Oui. On m'a dit qu'Araminte se promenait dans le jardin, et je viens d'apprendre de sa mère une chose qui me chagrine je lui avais retenu un intendant, qui devait aujourd'hui entrer chez elle, et cependant elle en a pris un autre, qui ne plaÃt point à la mère, et dont nous n'avons rien à espérer. Marton. - Nous n'en devons rien craindre non plus, Monsieur. Allez, ne vous inquiétez point, c'est un galant homme; et si la mère n'en est pas contente, c'est un peu de sa faute; elle a débuté tantôt par le brusquer d'une manière si outrée, l'a traité si mal, qu'il n'est pas étonnant qu'elle ne l'ait point gagné. Imaginez-vous qu'elle l'a querellé de ce qu'il est bien fait. Le Comte. - Ne serait-ce point lui que je viens de voir sortir d'avec vous? Marton. - Lui-même. Le Comte. - Il a bonne mine, en effet, et n'a pas trop l'air de ce qu'il est. Marton. - Pardonnez-moi, Monsieur; car il est honnête homme. Le Comte. - N'y aurait-il pas moyen de raccommoder cela? Araminte ne me hait pas, je pense, mais elle est lente à se déterminer; et pour achever de la résoudre, il ne s'agirait plus que de lui dire que le sujet de notre discussion est douteux pour elle. Elle ne voudra pas soutenir l'embarras d'un procès. Parlons à cet intendant; s'il ne faut que de l'argent pour le mettre dans nos intérêts, je ne l'épargnerai pas. Marton. - Oh! non, ce n'est point un homme à mener par là ; c'est le garçon de France le plus désintéressé. Le Comte. - Tant pis! ces gens-là ne sont bons à rien. Marton. - Laissez-moi faire. Scène V Le Comte, Arlequin, Marton Arlequin. - Mademoiselle, voilà un homme qui en demande un autre; savez-vous qui c'est? Marton, brusquement. - Et qui est cet autre? A quel homme en veut-il? Arlequin. - Ma foi, je n'en sais rien; c'est de quoi je m'informe à vous. Marton. - Fais-le entrer. Arlequin, le faisant sortir des coulisses. - Hé! le garçon venez ici dire votre affaire. Scène VI Le Comte, Marton, Le Garçon Marton. - Qui cherchez-vous? Le Garçon. - Mademoiselle, je cherche un certain Monsieur à qui j'ai à rendre un portrait avec une boÃte qu'il nous a fait faire. Il nous a dit qu'on ne la remÃt qu'à lui-même, et qu'il viendrait la prendre; mais comme mon père est obligé de partir demain pour un petit voyage, il m'a envoyé pour la lui rendre, et on m'a dit que je saurais de ses nouvelles ici. Je le connais de vue, mais je ne sais pas son nom. Marton. - N'est-ce pas vous, Monsieur le Comte? Le Comte. - Non, sûrement. Le Garçon. - Je n'ai point affaire à Monsieur, Mademoiselle; c'est une autre personne. Marton. - Et chez qui vous a-t-on dit que vous le trouveriez? Le Garçon. - Chez un procureur qui s'appelle Monsieur Remy. Le Comte. - Ah! n'est-ce pas le procureur de Madame? montrez-nous la boÃte. Le Garçon. - Monsieur, cela m'est défendu; je n'ai ordre de la donner qu'à celui à qui elle est le portrait de la dame est dedans. Le Comte. - Le portrait d'une dame? Qu'est-ce que cela signifie? Serait-ce celui d'Araminte? Je vais tout à l'heure savoir ce qu'il en est. Scène VII Marton, Le Garçon Marton. - Vous avez mal fait de parler de ce portrait devant lui. Je sais qui vous cherchez; c'est le neveu de Monsieur Remy, de chez qui vous venez. Le Garçon. - Je le crois aussi, Mademoiselle. Marton. - Un grand homme qui s'appelle Monsieur Dorante. Le Garçon. - Il me semble que c'est son nom. Marton. - Il me l'a dit; je suis dans sa confidence. Avez-vous remarqué le portrait? Le Garçon. - Non, je n'ai pas pris garde à qui il ressemble. Marton. - Eh bien, c'est de moi dont il s'agit. Monsieur Dorante n'est pas ici, et ne reviendra pas sitôt. Vous n'avez qu'à me remettre la boÃte; vous le pouvez en toute sûreté; vous lui ferez même plaisir. Vous voyez que je suis au fait. Le Garçon. - C'est ce qui me paraÃt. La voilà , Mademoiselle. A
c est pas sorcier le champagne